L’ONU dépassée par l’ampleur du trafic
Un coup de tonnerre. Cest leffet produit par le repentir du père de la bombe pakistanaise sur lAgence internationale de lénergie atomique (AIEA), lagence spécialisée de lONU établie à Vienne. Les aveux du docteur Khan concernant lexistence dun marché noir international de la prolifération nucléaire sont venus étayer les déclarations récentes de la Libye à lAIEA.
Stupéfiantes révélations
Soucieux dun retour en grâce sur la scène internationale, le colonel Mouammar Kadhafi avait autorisé ses ingénieurs à faire de stupéfiantes révélations aux inspecteurs onusiens : dans le cadre dun trafic beaucoup plus développé quon ne limaginait, les plans, les schémas, les pièces détachées, les conseillers du programme nucléaire libyen provenaient de trois continents différents au moins. Un réseau dense de fournisseurs industriels européens, asiatiques, sud-américains, des entreprises malaisiennes, japonaises, allemandes et espagnoles, comme le révélait le quotidien El Pais dans son édition de lundi. Dubaï, dans les Emirats arabes unis, a été identifié comme la plaque tournante du trafic de composants destinés au processus denrichissement de luranium.
Face à ces révélations en cascade, le directeur de lAIEA, Mohamed ElBaradei, lhumeur sombre, na pas mâché ses mots. Le Dr. Khan est pour nous la partie émergée de liceberg. (...) Il ne travaillait pas seul (et) il nous faut aller à présent jusquau bout. Nous devons savoir qui produisait les centrifugeuses. Ces instruments servent à fabriquer de luranium hautement enrichi destiné aux bombes nucléaires. Laffaire a choqué lAgence de Vienne. Si certains renseignements étaient connus de manière parcellaire des services de renseignement occidentaux, cest lampleur du trafic et le nombre dintervenants qui surprend. Le faisceau dinformations en provenance dIslamabad et de Tripoli devrait entraîner lAIEA dans un gigantesque travail dinvestigation planétaire : lEurope, lAmérique du Sud et certains pays dAsie, dont on ne soupçonnait jusqualors pas les compétences en matière de technologie nucléaire, note un diplomate occidental.
A la lumière de ces développements, les inspections en Iran pourraient, elles, prendre un nouveau tour. Il faut sattendre à des questions plus pointues, des visites plus ciblées, note un diplomate occidental. A quinze jours de la remise du rapport des inspecteurs sur lIran au Conseil des gouverneurs de lAIEA, les Etats-Unis, eux, marchent sur des ufs. Il est fort probable que, grâce au même réseau de fournisseurs, lIran ait acquis les mêmes compétences que la Libye en matière nucléaire. Cest pourquoi la pression doit rester forte sur ces deux pays, estime-t-on du côté américain.
Comment trouver une aiguille dans une meule de foin
LAIEA doit relever un défi qui, peut-être, la dépasse. Les transferts de technologie en cause proviennent dindustries de pointe, qui exportent des biens dits à double usage, à vocation civile mais pouvant faire lobjet dapplications militaires. Cest le cas dans le domaine de la métallurgie, de lexploitation de gaz, mais aussi du nucléaire. Concrètement, cela signifie que nous ne cherchons plus des missiles assemblés et dissimulés dans des cales de bateaux, mais des pièces parfois extrêmement petites, pouvant servir à de nombreux usages civils, remarque un expert à Vienne.
Face au danger mondial de prolifération nucléaire, lAIEA prône une révision commune du système de contrôle de ces exportations sensibles, et certainement une responsabilisation des pays dernièrement mis en cause. Sans guère plus despoir que de trouver une aiguille dans une meule de foin.
Maurin Picard
Le Figaro - 11 février 2004
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