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Sortir du nucléaire n°37



Déc - janv 2008

Autriche

Zwentendorf, une leçon de démocratie

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°37 - Déc - janv 2008

 Nucléaire et démocratie  Politique énergétique
Article publié le : 1er janvier 2008


Le 5 novembre 1978, le peuple autrichien se prononçait par voie référendaire contre l’utilisation à des fins civiles de l’énergie nucléaire, excluant de facto la mise en service de la seule des trois centrales nucléaires programmées en Autriche déjà construite, celle de Zwentendorf. Ce vote suivi, dès décembre 1978, par l’adoption au parlement de l’Atomsperrgesetz (loi contre l’usage de l’énergie nucléaire), préfigurait un refus durable et incontesté du nucléaire en Autriche.



Un avenir nucléaire tout tracé…
Dès les années 1970, maîtriser la consommation d’énergie est un objectif politique majeur. En écho au fameux rapport du Club de Rome, Limits of Growth, à la crise pétrolière de 1973, le tarissement des ressources de la planète est au cœur des préoccupations. L’Autriche, comme bien d’autres, veut alors réduire sa dépendance par rapport aux importations pétrolières : pour inciter les citoyens à des économies d’énergie, on va jusqu’à restreindre à certains jours par semaine l’usage des véhicules personnels ; parallèlement, on cherche à substituer au pétrole et au charbon des sources d’énergies dites renouvelables, hydraulique et nucléaire.
La classe politique dans son ensemble, l’industrie, les syndicats, les experts scientifiques sont favorables au nucléaire, considéré comme une technologie d’avenir. Le recours à l’énergie nucléaire civile, initié dès la fin des années soixante par le chancelier conservateur Josef Klaus, ne fait pas débat jusqu’à ce que la société civile s’empare du sujet. Ce sont de fait les Bürgerbewegungen (“mouvements citoyens”) qui, réticents au dogme d’une croissance infinie des besoins en énergie, pointent les inconvénients des solutions technologiques. Opposition du pot de terre contre le pot de fer, les discussions se soldent, en 1978, par le mémorable succès des mouvements citoyens.

Une décision “irrationnelle”, issue du jeu politicien ?
Dans ses mémoires1 , Bruno Kreisky, premier soutien politique du programme nucléaire autrichien, en sa qualité de chancelier social-démocrate, imputera la décision, selon ses mots, “complètement irrationnelle”, des électeurs autrichiens en novembre 1978 à “quelques groupes marginaux” ayant su trouver un certain écho, auprès de la jeunesse notamment.
A moins d’un an des élections législatives de 1979, gouvernement et opposition parlementaire décident de soumettre la question nucléaire à un référendum. Le gouvernement socialiste pense ainsi faire taire les critiques issues du mouvement anti-nucléaire, mais aussi évacuer de la campagne électorale une question qui, selon les sondeurs, pourrait lui faire perdre jusqu’à 3 ou 4 pour cents des voix. Quant à l’opposition, elle cherche à tendre un piège à Kreisky, pour qui un mauvais résultat au référendum serait de mauvaise augure en vue des échéances électorales. C’est ce double calcul politicien qui permet la tenue du référendum, mais, à la surprise de ceux-là mêmes qui ont cherché à tronquer les enjeux, les citoyens autrichiens ne se trompent pas de question.
Au terme d’un débat engagé, la participation est importante (64%), et le nucléaire rejeté par une majorité de 50,5% des votants. La forte mobilisation des électeurs de la plus petite région du pays, le Vorarlberg, depuis des années en lutte contre l’établissement, tout près, en Suisse, de la centrale de Rüthi, est déterminante : on y vote “non” à plus de 84%, avec une participation de 75%.
Le référendum de Zwentendorf n’est pas seulement une victoire des adversaires du nucléaire, c’est aussi une leçon de démocratie. D’un côté, les élections législatives de mai 1979, verront la victoire du chancelier Kreisky, avec le meilleur score jamais réalisé par le parti socialiste, preuve que, mieux que les hommes politiques, les électeurs ont su faire la part des choses. De l’autre, la pensée critique a réussi à placer sur le champ politique une question vite présentée comme purement technique et économique (compte tenu des sommes colossales déjà investies dans le projet). Le fait que les citoyens n’aient que très rarement l’occasion de s’exprimer directement sur des enjeux majeurs tels la politique énergétique renvoie d’ailleurs aux carences des démocraties représentatives modernes.

Un vote de la peur ?
Après 1978, les tentatives de revenir sur la décision populaire ne manquent pas : le lobby nucléaire déplore avec force “un vote de la peur”, réponse émotionnelle d’une population dépassée par une question qu’il eût mieux valu régler à travers les choix éclairés d’experts scientifiques et économiques. Sont alors dénoncées trois erreurs :
- une vision apocalyptique prédisant un accident nucléaire majeur ;
- une défiance a priori envers la technique (Technikfeindlichkeit), revenant à nier la possibilité d’un stockage ou traitement des déchets nucléaires grâce au progrès technique ;
- l’amalgame fait entre nucléaire civil et militaire, la menace d’un conflit nucléaire étant crûment ressentie, en pleine guerre froide, dans un petit pays neutre.
En réalité, les partisans du nucléaire, abusant eux-mêmes d’arguments simplistes du type « retour programmé à la bougie », n’ont pas été en mesure de contrer de façon crédible les craintes exprimées.
L’accident de Three Mile Island (1979) et surtout la catastrophe de Tchernobyl (1986) feront écho au débat public, tel qu’il a eu lieu en préalable au référendum, et confirmeront a posteriori au sein de l’opinion autrichienne le bien-fondé de la décision de 1978. A l’heure actuelle, dans la bataille idéologique autour du nucléaire, la victoire des opposants est totale en Autriche. Les dangers d’accidents nucléaires et leurs conséquences sont unanimement reconnus, de même que l’échec de l’industrie nucléaire à trouver une solution fiable à la question des déchets, ou que le lien direct – avéré par les exemples israélien, pakistanais, indien - entre nucléaire civil et bombe atomique. Ultime preuve du consensus qui règne à ce sujet et consécration du mouvement anti-nucléaire autrichien : l’interdiction du nucléaire est inscrite dans la constitution depuis 1999.

Le choix isolé d’un petit pays insignifiant ?
Par delà ce succès à l’intérieur des frontières autrichiennes, le référendum de 1978 est-il significatif au niveau international ? Aux dires des forces pro-nucléaires dans le reste de l’Europe, il s’agirait là d’une décision singulière, prise par un petit pays disposant de ressources hydrauliques exceptionnelles et pouvant ainsi se payer le luxe de refuser l’énergie nucléaire. L’Autriche constituerait un cas isolé, marginalisé par les choix énergétiques des grands pays, et contredit par l’approbation récente et massive, en Suisse, du nucléaire, telle qu’elle s’est exprimée lors du référendum de 2003. Il n’en reste pas moins que le cas de Zwentendorf a connu des répercussions internationales. L’expérience autrichienne a servi de référence aux référendums ayant abouti à la restriction du nucléaire en Suède (1979) et à la sortie rapide du nucléaire en Italie (1987). Le mouvement anti-nucléaire autrichien et son succès exemplaire de 1978 jouent en outre indubitablement un rôle dans l’âpre lutte menée, dans les années 1980, contre l’usine de retraitement prévue à Wackersdorf, en Bavière toute proche. L’issue finalement victorieuse de ce combat emblématique des adversaires du nucléaire en Allemagne doit être considérée comme une étape importante vers la décision de sortir du nucléaire telle qu’elle fut prise en 1998 par le gouvernement de coalition Sociaux-Démocrates/Verts. Après la chute du rideau de fer enfin, l’Autriche a exercé un certain contrôle sur les conditions dans lesquelles l’industrie nucléaire ouest-européenne s’est emparée du marché de la rénovation des centrales nucléaires en Europe de l’Est. Presque trente ans après le référendum, le pays fait figure de porte-parole du mouvement anti-nucléaire sur la scène diplomatique.

Christian JEHLE

Diplômé en Sciences politiques de l’Université d’Innsbruck (Autriche)
Enseignant au Lycée Victor Hugo (Besançon)
chrislau.jehle@wanadoo.fr

1. KREISKY, Bruno, Der Mensch im Mittelpunkt. Der Memoiren dritter Teil, Wien, Kremayr & Scheriau, 1996, p.151-167

Un avenir nucléaire tout tracé…
Dès les années 1970, maîtriser la consommation d’énergie est un objectif politique majeur. En écho au fameux rapport du Club de Rome, Limits of Growth, à la crise pétrolière de 1973, le tarissement des ressources de la planète est au cœur des préoccupations. L’Autriche, comme bien d’autres, veut alors réduire sa dépendance par rapport aux importations pétrolières : pour inciter les citoyens à des économies d’énergie, on va jusqu’à restreindre à certains jours par semaine l’usage des véhicules personnels ; parallèlement, on cherche à substituer au pétrole et au charbon des sources d’énergies dites renouvelables, hydraulique et nucléaire.
La classe politique dans son ensemble, l’industrie, les syndicats, les experts scientifiques sont favorables au nucléaire, considéré comme une technologie d’avenir. Le recours à l’énergie nucléaire civile, initié dès la fin des années soixante par le chancelier conservateur Josef Klaus, ne fait pas débat jusqu’à ce que la société civile s’empare du sujet. Ce sont de fait les Bürgerbewegungen (“mouvements citoyens”) qui, réticents au dogme d’une croissance infinie des besoins en énergie, pointent les inconvénients des solutions technologiques. Opposition du pot de terre contre le pot de fer, les discussions se soldent, en 1978, par le mémorable succès des mouvements citoyens.

Une décision “irrationnelle”, issue du jeu politicien ?
Dans ses mémoires1 , Bruno Kreisky, premier soutien politique du programme nucléaire autrichien, en sa qualité de chancelier social-démocrate, imputera la décision, selon ses mots, “complètement irrationnelle”, des électeurs autrichiens en novembre 1978 à “quelques groupes marginaux” ayant su trouver un certain écho, auprès de la jeunesse notamment.
A moins d’un an des élections législatives de 1979, gouvernement et opposition parlementaire décident de soumettre la question nucléaire à un référendum. Le gouvernement socialiste pense ainsi faire taire les critiques issues du mouvement anti-nucléaire, mais aussi évacuer de la campagne électorale une question qui, selon les sondeurs, pourrait lui faire perdre jusqu’à 3 ou 4 pour cents des voix. Quant à l’opposition, elle cherche à tendre un piège à Kreisky, pour qui un mauvais résultat au référendum serait de mauvaise augure en vue des échéances électorales. C’est ce double calcul politicien qui permet la tenue du référendum, mais, à la surprise de ceux-là mêmes qui ont cherché à tronquer les enjeux, les citoyens autrichiens ne se trompent pas de question.
Au terme d’un débat engagé, la participation est importante (64%), et le nucléaire rejeté par une majorité de 50,5% des votants. La forte mobilisation des électeurs de la plus petite région du pays, le Vorarlberg, depuis des années en lutte contre l’établissement, tout près, en Suisse, de la centrale de Rüthi, est déterminante : on y vote “non” à plus de 84%, avec une participation de 75%.
Le référendum de Zwentendorf n’est pas seulement une victoire des adversaires du nucléaire, c’est aussi une leçon de démocratie. D’un côté, les élections législatives de mai 1979, verront la victoire du chancelier Kreisky, avec le meilleur score jamais réalisé par le parti socialiste, preuve que, mieux que les hommes politiques, les électeurs ont su faire la part des choses. De l’autre, la pensée critique a réussi à placer sur le champ politique une question vite présentée comme purement technique et économique (compte tenu des sommes colossales déjà investies dans le projet). Le fait que les citoyens n’aient que très rarement l’occasion de s’exprimer directement sur des enjeux majeurs tels la politique énergétique renvoie d’ailleurs aux carences des démocraties représentatives modernes.

Un vote de la peur ?
Après 1978, les tentatives de revenir sur la décision populaire ne manquent pas : le lobby nucléaire déplore avec force “un vote de la peur”, réponse émotionnelle d’une population dépassée par une question qu’il eût mieux valu régler à travers les choix éclairés d’experts scientifiques et économiques. Sont alors dénoncées trois erreurs :
- une vision apocalyptique prédisant un accident nucléaire majeur ;
- une défiance a priori envers la technique (Technikfeindlichkeit), revenant à nier la possibilité d’un stockage ou traitement des déchets nucléaires grâce au progrès technique ;
- l’amalgame fait entre nucléaire civil et militaire, la menace d’un conflit nucléaire étant crûment ressentie, en pleine guerre froide, dans un petit pays neutre.
En réalité, les partisans du nucléaire, abusant eux-mêmes d’arguments simplistes du type « retour programmé à la bougie », n’ont pas été en mesure de contrer de façon crédible les craintes exprimées.
L’accident de Three Mile Island (1979) et surtout la catastrophe de Tchernobyl (1986) feront écho au débat public, tel qu’il a eu lieu en préalable au référendum, et confirmeront a posteriori au sein de l’opinion autrichienne le bien-fondé de la décision de 1978. A l’heure actuelle, dans la bataille idéologique autour du nucléaire, la victoire des opposants est totale en Autriche. Les dangers d’accidents nucléaires et leurs conséquences sont unanimement reconnus, de même que l’échec de l’industrie nucléaire à trouver une solution fiable à la question des déchets, ou que le lien direct – avéré par les exemples israélien, pakistanais, indien - entre nucléaire civil et bombe atomique. Ultime preuve du consensus qui règne à ce sujet et consécration du mouvement anti-nucléaire autrichien : l’interdiction du nucléaire est inscrite dans la constitution depuis 1999.

Le choix isolé d’un petit pays insignifiant ?
Par delà ce succès à l’intérieur des frontières autrichiennes, le référendum de 1978 est-il significatif au niveau international ? Aux dires des forces pro-nucléaires dans le reste de l’Europe, il s’agirait là d’une décision singulière, prise par un petit pays disposant de ressources hydrauliques exceptionnelles et pouvant ainsi se payer le luxe de refuser l’énergie nucléaire. L’Autriche constituerait un cas isolé, marginalisé par les choix énergétiques des grands pays, et contredit par l’approbation récente et massive, en Suisse, du nucléaire, telle qu’elle s’est exprimée lors du référendum de 2003. Il n’en reste pas moins que le cas de Zwentendorf a connu des répercussions internationales. L’expérience autrichienne a servi de référence aux référendums ayant abouti à la restriction du nucléaire en Suède (1979) et à la sortie rapide du nucléaire en Italie (1987). Le mouvement anti-nucléaire autrichien et son succès exemplaire de 1978 jouent en outre indubitablement un rôle dans l’âpre lutte menée, dans les années 1980, contre l’usine de retraitement prévue à Wackersdorf, en Bavière toute proche. L’issue finalement victorieuse de ce combat emblématique des adversaires du nucléaire en Allemagne doit être considérée comme une étape importante vers la décision de sortir du nucléaire telle qu’elle fut prise en 1998 par le gouvernement de coalition Sociaux-Démocrates/Verts. Après la chute du rideau de fer enfin, l’Autriche a exercé un certain contrôle sur les conditions dans lesquelles l’industrie nucléaire ouest-européenne s’est emparée du marché de la rénovation des centrales nucléaires en Europe de l’Est. Presque trente ans après le référendum, le pays fait figure de porte-parole du mouvement anti-nucléaire sur la scène diplomatique.

Christian JEHLE

Diplômé en Sciences politiques de l’Université d’Innsbruck (Autriche)
Enseignant au Lycée Victor Hugo (Besançon)
chrislau.jehle@wanadoo.fr

1. KREISKY, Bruno, Der Mensch im Mittelpunkt. Der Memoiren dritter Teil, Wien, Kremayr & Scheriau, 1996, p.151-167



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