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Sortir du nucléaire n°69



Mai 2016

Uruguay : un pays où 95 % de l’électricité est renouvelable !

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°69 - Mai 2016

 Energies renouvelables


En moins de 10 ans, l’Uruguay a réduit son empreinte carbone sans subventions gouvernementales ni imposer un coût élevé au consommateur, selon le responsable de la politique de lutte contre le dérèglement climatique du pays, Ramón Méndez.



En fait, il indique que les renouvelables fournissent aujourd’hui 94,5 % de l’électricité du pays, les prix ayant même baissé par rapport à l’inflation. Les coupures de courant sont moins fréquentes, tandis qu’une énergie diversifiée est synonyme d’une plus grande tolérance aux sécheresses.

La situation était bien différente il y a 15 ans. Au début du siécle, le pétrole représentait 27 % des importations de l’Uruguay, et un nouveau gazoduc provenant d’Argentine était sur le point d’être mis en service. Aujourd’hui, le poste le plus important des importations, ce sont les éoliennes, débarquées en masse dans les ports du pays, en route vers leurs sites d’installation.

Un pays leader de l’énergie renouvelable

La biomasse et l’électricité solaire sont également en plein essor. Si l’on ajoute à cela les centrales hydroélectriques existantes, les renouvelables représentent désormais 55% du mix énergétique total du pays (carburants pour le transport inclus), contre 12 % en moyenne ailleurs dans le monde.

Malgré sa population relativement faible de 3,4 millions d’habitants, l’Uruguay a marqué ces derniéres années un nombre remarquable de points dans l’opinion mondiale. Il a légalisé la marijuana, initié des contrôles stricts sur le tabac et lancé une politique figurant parmi les plus libérales d’Amérique Latine en matiére d’avortement et de mariage homosexuel.

Il a aujourd’hui gagné la reconnaissance générale pour la décarbonisation de son économie. Il a reçu les éloges de la Banque Mondiale et de la Commission économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes, tandis que l’année derniére le WWF a cité l’Uruguay comme faisant partie de ses "leaders de l’énergie verte", proclamant : "Le pays définit les tendances mondiales en matiére d’investissement dans les énergies renouvelables."

Confirmant cette réputation, M. Méndez, ancien responsable national du secteur de l’énergie, s’est rendu début décembre 2015 au siége des Nations-Unies pour présenter l’un des engagements nationaux les plus ambitieux du monde : réduire les rejets de carbone de 88 % d’ici 2017 par rapport à la moyenne de 2009-2013. Il n’y a pas de miracle technologique, l’énergie nucléaire est totalement absente du mix uruguayen et aucune nouvelle centrale hydroélectrique n’a été construite depuis plus de vingt ans. En revanche, dit-il, la clef du succés est peut-être un peu terne, mais agréablement reproductible : une volonté politique claire, un environnement réglementaire favorable et un solide partenariat avec les secteurs public et privé. En conséquence, les investissements dans le secteur de l’énergie – principalement les renouvelables, mais également le gaz liquide – ont bondi à 7 milliards de dollars, soit 15 % du PIB annuel du pays. Cela représente cinq fois la moyenne d’Amérique Latine et trois fois la part mondiale recommandée par l’économiste spécialiste du climat Nicholas Stern.

En février 2015, José Mujica, alors président d’Uruguay en fin de mandat et ancien co-dirigeant des Tupamaros, inaugure le parc éolien d’Artilleros, en présence de la présidente brésilienne Dilma Roussef. Mujica reversait 90 % de son salaire de président à des associations et vivait avec un revenu mensuel de 900 €... Il a légalisé l’avortement, le mariage homosexuel et le cannabis.

Favoriser les investissements dans les renouvelables

"Nous avons découvert que les renouvelables sont financiérement intéressantes", a déclaré Ramón Méndez, responsable de la politique climatique de l’Uruguay. "Les coûts de construction et de maintenance sont bas. Dés lors, tant que vous offrez aux investisseurs un environnement sûr, elles sont trés attractives."

Les effets en sont visibles sur la Route 5 de Montevideo vers le nord. Sur moins de 300 km, vous traversez trois usines agro-industrielles fonctionnant au biocarburant et trois parcs éoliens. La centrale de 115 MW de Peralta, la plus grande, a été construite et est exploitée par la société allemande Enercon. Ses énormes turbines, d’une hauteur de 108 métres, dominent des prairies où abondent le bétail et les nandous. Outre la fiabilité du vent, qui souffle à une vitesse moyenne de 13 km/h, les investisseurs étrangers tels qu’Enercon sont attirés par un tarif garanti pour 20 ans par l’état. Les coûts de maintenance étant faibles (10 techniciens seulement) et stables, les bénéfices sont garantis.

En conséquence, les sociétés étrangéres font la queue pour signer des contrats de construction de parcs éoliens. La concurrence fait baisser les prix, réduisant le coût de production de l’électricité de plus de 30 % sur les trois derniéres années. Christian Schaefer, technicien en chef d’Enercon, a déclaré que sa société espérait étendre son activité tandis qu’une autre société allemande, Nordex, construit déjà une centrale encore plus grande plus au nord sur la Route 5. Les camions transportant des turbines, des mâts et des pales sont aujourd’hui un spectacle banal sur les routes du pays.

Des ouvriers installent des panneaux photovoltaïques d’une centrale solaire en construction dans la province de Paysandú.

Un mix électrique diversifié bénéfique pour l’économie

Par rapport à la plupart des autres petits pays où la part des renouvelables est élevée, les sources sont diversifiées. Alors que le Paraguay, le Bhoutan et le Lesotho dépendent presque exclusivement des centrales hydroélectriques, et l’Islande de la géothermie, l’Uruguay a mis en place un ensemble de techniques qui permet de mieux affronter le déréglement climatique.

Des centrales éoliennes telles que celle de Peralta alimentent désormais les centrales hydroélectriques, de sorte que les réservoirs peuvent rester à niveau plus longtemps aprés la saison des pluies. Selon M. Méndez, cela a réduit la vulnérabilité aux sécheresses de 70 %, ce qui n’est pas rien quand on sait qu’une année séche coûtait au pays prés de 2 % de son PIB.

Et ce n’est pas le seul bénéfice pour l’économie. "Nous n’avons pas importé un seul kilowattheure depuis trois ans", ajoute M. Méndez. "Auparavant, nous devions importer de l’électricité d’Argentine, mais aujourd’hui c’est nous qui en exportons. L’été dernier, nous leur avons vendu un tiers de notre production d’énergie." Il reste toutefois beaucoup à faire. Le secteur du transport dépend encore du pétrole (qui représente 45 % du mix énergétique total). Toutefois, l’industrie – principalement le traitement des produits agricoles – utilise aujourd’hui principalement l’énergie des centrales de production combinée exploitant la biomasse.

Montage du mât d’une éolienne de la centrale de Peralta.

Les leçons du succés uruguayen

M. Méndez attribue le succés de l’Uruguay principalement à trois facteurs : la crédibilité (une démocratie stable qui n’a jamais fait défaut sur ses dettes, donc attrayante pour les investissements à long terme) ; des conditions naturelles propices (un vent soutenu, un rayonnement solaire correct et une biomasse abondante provenant de l’agriculture) ; enfin, des sociétés publiques solides (partenaires fiables pour les sociétés privées en mesure d’instaurer un environnement attractif en collabo- ration avec l’état).

Certes, tous les pays du monde ne peuvent pas reproduire ce modéle. Toutefois, il fait observer que l’Uruguay a démontré que les renouvelables peuvent abaisser les coûts de production, satisfaire au moins 90% des besoins sans recourir à des centrales à charbon ou nucléaire, et que les secteurs public et privé peuvent collaborer efficacement dans ce domaine.

Le principal enseignement que l’expérience uruguayenne peut apporter est peut-être l’importance d’une vraie volonté politique. Comme on l’a vu dans d’innombrables conférences sur le climat organisées par les Nations Unies, l’Uruguay était auparavant paralysé par des discussions apparemment sans fin et marquées par les rancœurs autour de la politique énergétique.

Le vice-président d’Uruguay, Raúl Sendic Rodríguez (fils de Raúl Sendic, cofondateur et co-dirigeant du Mouvement de Libération Nationale - Tupamaros), inaugure une centrale à biomasse dans la province de Paysandú.

Tout cela a changé lorsque le gouvernement a pris le taureau par les cornes et élaboré un plan sur le long terme qui fédérait toutes les parties concernées. "Pour y parvenir, nous avons dû passer par une crise. Nous nous sommes fourvoyés pendant 15 ans", confie M. Méndez. "Toutefois, en 2008 nous avons lancé une politique énergétique à long terme qui couvrait tous les aspects de la question... Nous avions enfin une feuille de route claire."

Cette nouvelle orientation a permis la transition rapide dont l’Uruguay récolte maintenant les fruits.

Jonathan Watts

En fait, il indique que les renouvelables fournissent aujourd’hui 94,5 % de l’électricité du pays, les prix ayant même baissé par rapport à l’inflation. Les coupures de courant sont moins fréquentes, tandis qu’une énergie diversifiée est synonyme d’une plus grande tolérance aux sécheresses.

La situation était bien différente il y a 15 ans. Au début du siécle, le pétrole représentait 27 % des importations de l’Uruguay, et un nouveau gazoduc provenant d’Argentine était sur le point d’être mis en service. Aujourd’hui, le poste le plus important des importations, ce sont les éoliennes, débarquées en masse dans les ports du pays, en route vers leurs sites d’installation.

Un pays leader de l’énergie renouvelable

La biomasse et l’électricité solaire sont également en plein essor. Si l’on ajoute à cela les centrales hydroélectriques existantes, les renouvelables représentent désormais 55% du mix énergétique total du pays (carburants pour le transport inclus), contre 12 % en moyenne ailleurs dans le monde.

Malgré sa population relativement faible de 3,4 millions d’habitants, l’Uruguay a marqué ces derniéres années un nombre remarquable de points dans l’opinion mondiale. Il a légalisé la marijuana, initié des contrôles stricts sur le tabac et lancé une politique figurant parmi les plus libérales d’Amérique Latine en matiére d’avortement et de mariage homosexuel.

Il a aujourd’hui gagné la reconnaissance générale pour la décarbonisation de son économie. Il a reçu les éloges de la Banque Mondiale et de la Commission économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes, tandis que l’année derniére le WWF a cité l’Uruguay comme faisant partie de ses "leaders de l’énergie verte", proclamant : "Le pays définit les tendances mondiales en matiére d’investissement dans les énergies renouvelables."

Confirmant cette réputation, M. Méndez, ancien responsable national du secteur de l’énergie, s’est rendu début décembre 2015 au siége des Nations-Unies pour présenter l’un des engagements nationaux les plus ambitieux du monde : réduire les rejets de carbone de 88 % d’ici 2017 par rapport à la moyenne de 2009-2013. Il n’y a pas de miracle technologique, l’énergie nucléaire est totalement absente du mix uruguayen et aucune nouvelle centrale hydroélectrique n’a été construite depuis plus de vingt ans. En revanche, dit-il, la clef du succés est peut-être un peu terne, mais agréablement reproductible : une volonté politique claire, un environnement réglementaire favorable et un solide partenariat avec les secteurs public et privé. En conséquence, les investissements dans le secteur de l’énergie – principalement les renouvelables, mais également le gaz liquide – ont bondi à 7 milliards de dollars, soit 15 % du PIB annuel du pays. Cela représente cinq fois la moyenne d’Amérique Latine et trois fois la part mondiale recommandée par l’économiste spécialiste du climat Nicholas Stern.

En février 2015, José Mujica, alors président d’Uruguay en fin de mandat et ancien co-dirigeant des Tupamaros, inaugure le parc éolien d’Artilleros, en présence de la présidente brésilienne Dilma Roussef. Mujica reversait 90 % de son salaire de président à des associations et vivait avec un revenu mensuel de 900 €... Il a légalisé l’avortement, le mariage homosexuel et le cannabis.

Favoriser les investissements dans les renouvelables

"Nous avons découvert que les renouvelables sont financiérement intéressantes", a déclaré Ramón Méndez, responsable de la politique climatique de l’Uruguay. "Les coûts de construction et de maintenance sont bas. Dés lors, tant que vous offrez aux investisseurs un environnement sûr, elles sont trés attractives."

Les effets en sont visibles sur la Route 5 de Montevideo vers le nord. Sur moins de 300 km, vous traversez trois usines agro-industrielles fonctionnant au biocarburant et trois parcs éoliens. La centrale de 115 MW de Peralta, la plus grande, a été construite et est exploitée par la société allemande Enercon. Ses énormes turbines, d’une hauteur de 108 métres, dominent des prairies où abondent le bétail et les nandous. Outre la fiabilité du vent, qui souffle à une vitesse moyenne de 13 km/h, les investisseurs étrangers tels qu’Enercon sont attirés par un tarif garanti pour 20 ans par l’état. Les coûts de maintenance étant faibles (10 techniciens seulement) et stables, les bénéfices sont garantis.

En conséquence, les sociétés étrangéres font la queue pour signer des contrats de construction de parcs éoliens. La concurrence fait baisser les prix, réduisant le coût de production de l’électricité de plus de 30 % sur les trois derniéres années. Christian Schaefer, technicien en chef d’Enercon, a déclaré que sa société espérait étendre son activité tandis qu’une autre société allemande, Nordex, construit déjà une centrale encore plus grande plus au nord sur la Route 5. Les camions transportant des turbines, des mâts et des pales sont aujourd’hui un spectacle banal sur les routes du pays.

Des ouvriers installent des panneaux photovoltaïques d’une centrale solaire en construction dans la province de Paysandú.

Un mix électrique diversifié bénéfique pour l’économie

Par rapport à la plupart des autres petits pays où la part des renouvelables est élevée, les sources sont diversifiées. Alors que le Paraguay, le Bhoutan et le Lesotho dépendent presque exclusivement des centrales hydroélectriques, et l’Islande de la géothermie, l’Uruguay a mis en place un ensemble de techniques qui permet de mieux affronter le déréglement climatique.

Des centrales éoliennes telles que celle de Peralta alimentent désormais les centrales hydroélectriques, de sorte que les réservoirs peuvent rester à niveau plus longtemps aprés la saison des pluies. Selon M. Méndez, cela a réduit la vulnérabilité aux sécheresses de 70 %, ce qui n’est pas rien quand on sait qu’une année séche coûtait au pays prés de 2 % de son PIB.

Et ce n’est pas le seul bénéfice pour l’économie. "Nous n’avons pas importé un seul kilowattheure depuis trois ans", ajoute M. Méndez. "Auparavant, nous devions importer de l’électricité d’Argentine, mais aujourd’hui c’est nous qui en exportons. L’été dernier, nous leur avons vendu un tiers de notre production d’énergie." Il reste toutefois beaucoup à faire. Le secteur du transport dépend encore du pétrole (qui représente 45 % du mix énergétique total). Toutefois, l’industrie – principalement le traitement des produits agricoles – utilise aujourd’hui principalement l’énergie des centrales de production combinée exploitant la biomasse.

Montage du mât d’une éolienne de la centrale de Peralta.

Les leçons du succés uruguayen

M. Méndez attribue le succés de l’Uruguay principalement à trois facteurs : la crédibilité (une démocratie stable qui n’a jamais fait défaut sur ses dettes, donc attrayante pour les investissements à long terme) ; des conditions naturelles propices (un vent soutenu, un rayonnement solaire correct et une biomasse abondante provenant de l’agriculture) ; enfin, des sociétés publiques solides (partenaires fiables pour les sociétés privées en mesure d’instaurer un environnement attractif en collabo- ration avec l’état).

Certes, tous les pays du monde ne peuvent pas reproduire ce modéle. Toutefois, il fait observer que l’Uruguay a démontré que les renouvelables peuvent abaisser les coûts de production, satisfaire au moins 90% des besoins sans recourir à des centrales à charbon ou nucléaire, et que les secteurs public et privé peuvent collaborer efficacement dans ce domaine.

Le principal enseignement que l’expérience uruguayenne peut apporter est peut-être l’importance d’une vraie volonté politique. Comme on l’a vu dans d’innombrables conférences sur le climat organisées par les Nations Unies, l’Uruguay était auparavant paralysé par des discussions apparemment sans fin et marquées par les rancœurs autour de la politique énergétique.

Le vice-président d’Uruguay, Raúl Sendic Rodríguez (fils de Raúl Sendic, cofondateur et co-dirigeant du Mouvement de Libération Nationale - Tupamaros), inaugure une centrale à biomasse dans la province de Paysandú.

Tout cela a changé lorsque le gouvernement a pris le taureau par les cornes et élaboré un plan sur le long terme qui fédérait toutes les parties concernées. "Pour y parvenir, nous avons dû passer par une crise. Nous nous sommes fourvoyés pendant 15 ans", confie M. Méndez. "Toutefois, en 2008 nous avons lancé une politique énergétique à long terme qui couvrait tous les aspects de la question... Nous avions enfin une feuille de route claire."

Cette nouvelle orientation a permis la transition rapide dont l’Uruguay récolte maintenant les fruits.

Jonathan Watts



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