En janvier 2006, la couverture du magazine américain Newsweek proclamait avec assurance Le Retour de lEnergie Nucléaire. En regardant la photo dune centrale nucléaire rougeoyante, jai réalisé que javais vu pratiquement la même couverture dans le magazine Time, il y a environ 15 ans. Les deux articles soutenaient la même thèse : lénergie nucléaire était sur le point de faire son grand retour.
Depuis leffondrement de la construction nucléaire au début des années 1980, son retour dentre les morts a été annoncé à intervalles réguliers, encouragé par les inquiétudes environnementales et économiques et par les efforts de relations publiques dune industrie multimilliardaire mais dont le carnet de commande est presque vide depuis plus de deux décennies.
Explosion du prix du pétrole
Aucune de ces renaissances ne sest concrétisée, mais de nombreuses personnes affirment que cette dernière doit être prise plus au sérieux. Avec lexplosion des prix du pétrole et la montée des inquiétudes face au réchauffement climatique, un grand nombre déditorialistes et de politiciens, et même quelques environnementalistes, affirment que nous ne pouvons nous permettre de rejeter aucune source dénergie susceptible de réduire la part du charbon, qui fournit 40% de lélectricité mondiale et représente la plus grande menace pour le climat de la planète.
Lattrait du nucléaire commence avec le fait quil est déjà une source dénergie bien établie - les 441 réacteurs dans le monde ont une capacité de 369.000 mégawatts (MW) et produisent 16% de lélectricité mondiale. Mais cest ce que lon voit dans le rétroviseur. La croissance actuelle de lindustrie est de moins de 1% par an et les projets de construction ne sont pas nombreux : seuls 23 réacteurs, dune capacité de 16.000 MW, sont en chantier (au milieu des années 1980, plus de 200.000 MW étaient en projet.) Deux autres réacteurs ont été fermés lannée dernière, amenant à 116 le nombre total des réacteurs ayant été définitivement arrêtés depuis le début lère nucléaire ; cela représente presque 35.000 MW. La majorité des ingénieurs qui ont construit le parc actuel de centrales nucléaires est à la retraite et de nombreuses universités ont supprimé leurs programmes de génie nucléaire. Selon les prévisions plutôt conservatrices de lAgence Internationale de lEnergie, la production dénergie nucléaire atteindra son pic dici 10 ans et commencera à décliner lentement par la suite.
Les forces du marché ont fait beaucoup de mal à lénergie atomique. Leffondrement dramatique de lindustrie nucléaire au début des années 1980 - décrit par le magazine Forbes comme la débâcle la plus chère depuis le Vietnam - a été en grande partie causée par des dépassements de coûts massifs engendrés par des remises à niveau onéreuses de la sécurité après que lincident de Three Mile Island eut révélé les faiblesses de conception des centrales. Cela a rendu les centrales nucléaires beaucoup plus chères quelles nétaient supposées lêtre. Certaines sociétés dénergie américaines ont été conduites à la faillite et dautres ont mis des années à rééquilibrer leur budget.
Les dirigeants de lindustrie nucléaire affirment quils ont beaucoup appris depuis la débâcle des années 1980 et que lamélioration des technologies va leur permettre de réduire les coûts. Cest peut-être vrai, mais cela reste à prouver. Les données provenant des quelques centrales terminées ces dernières années suggèrent quelles produisent de lélectricité pour environ deux fois le prix des nouvelles centrales à charbon ou à gaz, deux types de technologies qui ont connu de régulières réductions de coût. Et les nouveaux modèles de réacteurs proposés par certaines sociétés vont probablement augmenter les coûts à court terme plutôt que les diminuer, dans la mesure où les premiers prototypes connaîtront probablement des problèmes quil faudra régler.
Le niveau des prix est important dans un marché de lélectricité devenu plus compétitif. A lapogée de la construction nucléaire, dans les années 1960 et 1970, lindustrie de lénergie soit appartenait à lEtat (comme cest toujours le cas en France), soit était protégée de ses propres erreurs par des régulateurs, comme aux Etats-Unis. Aujourdhui, les dirigeants de lindustrie énergétique de la plupart des pays évaluent prudemment les coûts et les risques avant de décider dans quel type de centrale investir. Une seule centrale nucléaire nécessite un investissement denviron 3 milliards de dollars et au moins une dizaine dannées pour la planification, lapprobation régulatrice, la construction et les tests. Des experts des services publics américains affirment quune société énergétique qui décide de construire une centrale peut voir ses actions baisser pour refléter le risque supplémentaire quelle prend.
Pour répondre à ces inquiétudes, le Congrès américain a passé une loi en 2005 attribuant des subventions fédérales supplémentaires, tout en offrant également une limitation des responsabilités en transférant une grande partie des risques au gouvernement fédéral. Bien que cette législation nait pas encore encouragé de nouvelles commandes de centrales, les experts de lindustrie en attendent jusquà six. Cela augmenterait la capacité de génération nucléaire du pays de 5%, à condition quaucune des 104 centrales nucléaires en activité aujourdhui ne soit fermée durant les dix ans ou plus que prendrait la construction des nouvelles centrales.
Le secteur de la construction nucléaire étant pratiquement mort en Amérique du Nord et en Europe, cest en Asie, où la demande en énergie est très importante, que la renaissance du nucléaire a le plus de chances de démarrer. En effet, lInde et la Chine ont des projets nucléaires ambitieux. Jusquà 30 nouvelles centrales sont prévues dans chaque pays sur les vingt prochaines années - ce qui semble impressionnant jusquà ce que lon fasse le calcul. Même si leurs rêves nucléaires se réalisent, aucun des deux pays natteindra même 5% délectricité nucléaire en 2020. Cela nest pas suffisant pour des pays avec des populations de plus dun milliard dindividus et une demande en électricité augmentant de plus de 10% par an.
Au niveau mondial, il est plus probable que lénergie nucléaire décline dans les années à venir car plus de la moitié des centrales a plus de 20 ans. On devrait construire au moins 70 centrales nucléaires ces dix prochaines années rien que pour remplacer celles qui devraient fermer. Cest pratiquement inconcevable, 14 seulement sont actuellement en construction. Pourtant, la demande mondiale en électricité devrait, selon les prévisions, augmenter de plus de 30% (léquivalent de plus de 500 centrales nucléaires) durant la même période.
Si lénergie nucléaire ne fait pas laffaire, la question reste : comment le monde peut-il satisfaire ses besoins en électricité sans une augmentation massive de la combustion de charbon et donc des émissions de carbones ? La réponse, je pense, est une adoption à grande échelle des énergies renouvelables - ce qui inclut lénergie solaire, éolienne, hydraulique, géothermique et de biomasse - associées à une amélioration rapide de lefficacité énergétique.
Les sources dénergies renouvelables fournissent environ 20% de lélectricité mondiale aujourdhui, cest plus que lénergie nucléaire. Plus important, ce sont des industries actives et en pleine croissance, attirant plus de 25 milliards de dollars de nouveaux investissements chaque année. La capacité de production rien que pour les nouveaux parcs éoliens commandés en 2005 représentait le triple de celle de lénergie nucléaire. De plus, comme les technologies renouvelables sont plus petites et modulables, leur coût baisse rapidement à mesure que léchelle de production augmente. Ces derniers mois, les énergies renouvelables sont devenues lun des secteurs les plus en vogue pour les investisseurs en capital-risque à la recherche du prochain boom économique. [...]
Le saviez-vous ?
La part du nucléaire dans l’énergie mondiale va baisser. Déjà très faible (6%), le nucléaire passera sous les 5% en 2030 (*). En France, un des pays les plus nucléarisés au monde, la part du nucléaire dans notre consommation énergétique nest que de 17%.
Source : Energy Information Administration qui dépend du gouvernement des USA. EIA : https://www.eia.doe.gov/oiaf/ieo
Christopher Flavin (traduit de WorldWatch)
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