La catastrophe de Tchernobyl ma ouvert les yeux comme rien ne lavait fait jusque là : elle a montré les conséquences dramatiques de lénergie nucléaire, même celle que lon utilise à des fins non militaires.
Plus encore que le lancement de ma politique de Perestroika, lincendie de Tchernobyl il y a tout juste 20 ans a peut-être été la véritable origine de leffondrement de lUnion Soviétique 5 ans plus tard. La catastrophe de Tchernobyl constitue un tournant de lhistoire : il y a un avant, et un après très différent.
Personne ne connaissait la vérité
Le matin même de lexplosion à la centrale le 26 avril 1986, le Politburo sest réuni pour discuter de la situation, et a mis en place une commission gouvernementale chargée de gérer les conséquences. Cette commission devait contrôler la situation et assurer la prise de mesures importantes, en particulier concernant la santé des populations de la zone de laccident. De plus, lAcadémie des Sciences a réuni déminents scientifiques qui furent immédiatement envoyés dans la région.
Le Politburo na pas obtenu tout de suite les informations précises et exactes de la situation directement après lexplosion. Néanmoins, il avait pour instruction générale de divulguer ouvertement les informations lorsquil les recevrait, en conformité avec la Glasnost déjà établie à cette période en Union Soviétique.
Ainsi, les critiques accusant le Politburo davoir occulté linformation sur la catastrophe sont loin de la réalité. Lune des raisons qui me fait penser quil ny a pas eu de mensonge délibéré est que lors de la visite de 2 jours de la commission gouvernementale sur les lieux en Polésie juste après laccident, près de Tchernobyl, tous ses membres ont pris leur repas le soir avec les aliments et leau habituels, ils se déplaçaient sans masque pour respirer, comme nimporte laquelle des personnes qui travaillaient alors là-bas. Si ladministration locale ou les scientifiques avaient eu conscience de limpact réel de la catastrophe, ils nauraient pas pris de tels risques.
En réalité, personne ne connaissait la vérité, cest pourquoi toutes nos tentatives dobtenir une information complète sur létendue de laccident restaient sans réponse. Nous avons cru tout dabord que limpact principal de lexplosion toucherait lUkraine en premier lieu, mais la Biélorussie au nord-ouest fut plus gravement touchée, puis la Pologne et la Suède essuyèrent les retombées.
Evidemment, le monde fut dabord informé de la catastrophe de Tchernobyl par les scientifiques suédois, et lidée sensuivit que nous dissimulions quelque chose. Mais en réalité, nous navions rien à cacher, pour la simple raison que durant une journée et demie nous navions pas linformation. Ce nest que quelques jours plus tard que nous avons appris que ce qui sétait passé ne relevait pas du simple incident mais quil sagissait dune véritable catastrophe nucléaire lexplosion du réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl.
Si le premier rapport sur Tchernobyl a été publié dans la Pravda le 28 avril, la situation était loin dêtre claire et maîtrisée. Par exemple, lorsque le réacteur a explosé, le feu fut aussitôt aspergé deau, ce qui ne fit quempirer les choses car les particules nucléaires ont alors commencé à se répandre dans latmosphère. Entre-temps, les mesures pour venir en aide aux populations dans la zone de la catastrophe étaient mises en uvre : celles-ci furent évacuées et quelque 200 organismes médicaux se chargèrent deffectuer des tests de radioactivité sur les personnes.
Le contenu du réacteur nucléaire risquait de sinfiltrer dans les sols, puis de se déverser dans le Dniepr, mettant gravement en danger la population de Kiev ainsi que des autres villes en bordure du fleuve. Un chantier de protection des berges fut ainsi mis en route, entraînant larrêt total de la centrale de Tchernobyl. Les ressources de notre immense pays furent mobilisées afin de limiter les dégâts, avec entre autres la construction du sarcophage qui allait enfermer le 4e réacteur.
Le système ne pouvait perdurer
La catastrophe de Tchernobyl a plus que tout ouvert la voie vers une plus grande liberté dexpression, au point que le système que nous connaissions alors ne pouvait plus perdurer. Cela a mis en évidence de manière très claire limportance de poursuivre la Glanost, et je dois dire quà partir de là, ma référence au temps sest modifiée, en termes davant et daprès-Tchernobyl.
Le prix de la catastrophe de Tchernobyl a été accablant, tant sur le plan humain que sur le plan économique. Lhéritage de Tchernobyl affecte aujourdhui encore léconomie de la Russie, de lUkraine et de la Biélorussie. Certains disent même que le prix économique pour lURSS a été si élevé quil a mis un terme à la course aux armements, car je ne pouvais pas continuer à fabriquer des armes tout en payant pour le nettoyage de Tchernobyl.
Ceci est faux. Ma déclaration du 15 janvier 1986 est bien connue du monde entier. Jai lancé un appel pour réduire larmement, dont les armes nucléaires, et ai proposé que dici lan 2000, aucun pays ne soit doté darmes atomiques. Je ressentais personnellement une responsabilité morale concernant larrêt de la course aux armements. Mais la catastrophe de Tchernobyl ma ouvert les yeux comme rien ne lavait fait jusque là : elle a montré les conséquences dramatiques de lénergie nucléaire, même celle que lon utilise à des fins non militaires. Nous pouvons nous représenter bien plus clairement ce qui se passerait si une bombe nucléaire explosait. Daprès les experts, une rocket SS-18 renfermerait la puissance de 100 Tchernobyl.
Malheureusement, le problème de larme nucléaire est toujours aussi grave à lheure actuelle. Les pays qui la détiennent les membres du club nucléaire comme on lappelle- ne sont pas pressés de sen défaire. Au contraire, ils continuent dentretenir leur arsenal, tandis que les pays qui ne lont pas souhaitent lavoir, dans lidée que le monopole du club nucléaire est une menace à la paix mondiale.
Le 20e anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl nous rappelle que nous ne devons pas oublier la terrible leçon donnée à notre planète en 1986. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour renforcer la sécurité des lieux nucléaires. Et nous devons commencer à travailler sérieusement à la production de sources dénergies alternatives.
Le fait que les dirigeants du monde parlent maintenant de plus en plus de cet impératif laisse entendre que la leçon de Tchernobyl est au final enfin comprise.
Tchernobyl 20 ans après : Sortie du livre du Professeur Youri Bandazhevsky
Le destin hors du commun dun scientifique qui voulait connaître la vérité sur les conséquences de Tchernobyl.
Scientifique biélorusse de renom, le Professeur Youri Bandazhevsky était destiné à une brillante carrière. L’explosion, en avril 1986, du réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, en a décidé autrement.
Le Belarus est lourdement touché et notamment la région de Gomel, où le Pr. Bandazhevsky obtient lautorisation de créer un institut de médecine en 1990, pour former les médecins qui font cruellement défaut aux victimes de Tchernobyl.
De 1991 à 1999, Youri Bandazhevsky accumule les observations et les recherches. Il démontre les effets nocifs sur lorganisme de lingestion chronique daliments contaminés, et dénonce le gaspillage des fonds normalement destinés aux recherches sur les conséquences de Tchernobyl.
Cest beaucoup trop pour les autorités. Il est brutalement arrêté en juillet 1999 et cest le début de la descente aux enfers.
Le Professeur Bandazhevsky a recouvré la liberté en août 2005 mais il était privé de ses outils de recherche. La Commission de Recherche et dInformation Indépendantes sur la Radioactivité (CRIIRAD), association française possédant un laboratoire danalyse indépendant à Valence, a mis en place avec Youri Bandazhevsky un partenariat scientifique et conçu à sa demande un vaste projet : créer un laboratoire indépendant au Bélarus, le laboratoire CRIIRAD & Bandazhevsky, afin de mettre fin à une situation injuste et de permettre la poursuite de recherches essentielles pour notre radioprotection.
De ses années passées en prison, le Professeur Bandazhevsky sort un livre, traduit en français :
La philosophie de ma vie, Journal de prison, Tchernobyl 20 ans après - Livre de 320 pages
La CRIIRAD distribue ce livre et reversera lintégralité des bénéfices pour le financement du laboratoire CRIIRAD-Bandazhevsky. Les droits dauteur seront également entièrement destinés au projet. Vous pouvez vous le procurer auprès du Réseau "Sortir du nucléaire" pour 24 euros (frais de port compris).
Passez votre commande à : Réseau "Sortir du nucléaire", 9, rue Dumenge 69317 Lyon Cedex 04. Chèque à l’ordre de "Sortir du nucléaire".
Vous soutiendrez ainsi directement la cause de Youri Bandazhevsky.
Mikhail Gorbachev
Dernier président de LURSS, il est président de la Fondation Gorbachev à Moscou et de la Croix Verte Internationale.
Paru dans "Daily Times" (journal Pakistanais) le 17 avril 2006
Traduction : Myriam Battarel
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