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Sortir du nucléaire n°36



Sept-oct 2007

Dossier

Séisme atomique au Japon : le nucléaire civil ébranlé dans le monde

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°36 - Sept-oct 2007

 Risque nucléaire
Article publié le : 1er octobre 2007


Que s’est-il passé ?

Le 16 juillet 2007 à 10h13, la centrale de Kashiwazaki-Kariwa, située dans le Nord-Ouest du Japon, qui abrite sept réacteurs nucléaires [1] d’une puissance cumulée de 8 212 MWé [2], a été frappée par un séisme très important de magnitude 6,8 sur l’échelle de Richter [3]. La violence du séisme est à mettre en lien avec la grande proximité de l’épicentre du séisme, à 9 kilomètres seulement des réacteurs. Ce séisme a fait onze victimes et plus de 1800 blessés, dont la plupart dans la ville de Kashiwazaki contiguë à la centrale.
Sept personnes ont été blessées dans l’enceinte de la centrale nucléaire. Quatre réacteurs étaient en fonctionnement lors du séisme et ont été arrêtés en urgence , les trois autres réacteurs étaient en arrêt pour inspection. Cette centrale nucléaire, qui est la plus grande au monde par sa puissance, appartient à la Tokyo Electric Power Company (Tepco), le premier producteur d’électricité du Japon, éclaboussé récemment par de nombreux scandales.

La centrale nucléaire de Kashiwazaki-Kawira n’a pas été conçue pour résister à la violence du séisme du 16 juillet. Au Japon, les centrales nucléaires doivent supporter un tremblement de terre de magnitude 6,5 or les secousses du séisme du 16 juillet étaient trois fois supérieures . Les sept réacteurs ont tous subi des secousses supérieures aux secousses maximales prévues . La centrale a été très abîmée et plusieurs rejets incontrôlés de radioactivité ont eu lieu. Plus de 15 jours après le séisme Tepco a annoncé que la turbine du réacteur n°3 avait encaissé des accélérations sismiques 6,8 fois plus intenses que les accélérations maximales prévues par les normes japonaises pour la centrale. Ce sont probablement les secousses les plus importantes jamais enregistrées dans une centrale nucléaire . Le réacteur n° 2, qui était en fonctionnement pendant le tremblement de terre, a subi des accélérations trois fois et demi plus fortes que ce qu’il pouvait théoriquement affronter . Ce réacteur était d’autant plus vulnérable qu’il était en cours de démarrage : le combustible nucléaire contient alors le maximum de matière fissile. C’est une phase délicate du fait de la forte réactivité initiale du combustible, qui doit être surveillée de près pour éviter tout emballement du réacteur. Exercice délicat pendant un séisme de magnitude 6,8.

La centrale a subi des dégâts importants

Huit jours après le tremblement de terre, TEPCO répertoriait 67 incidents dans la centrale dont 15 concernaient les installations nucléaires.
Parmi les incidents les plus graves, un incendie s’est déclaré sur un transformateur du réacteur n°3 qui a brûlé pendant deux heures avant d’être éteint par les pompiers. Ce feu lié à l’huile isolante présente dans le transformateur aurait été provoqué par l’affaissement du sol de 50 cm. Les canalisations d’eau pour lutter contre les incendies, endommagées par le séisme, étaient indisponibles. La centrale ne possédait pas d’extincteurs adéquats pour lutter contre les feux de produits à base de pétrole bien qu’on y trouve des centaines de milliers de litres de fuel pour alimenter les générateurs de secours des réacteurs nucléaires. Il a donc fallu attendre l’arrivée de ces produits pour combattre l’incendie. Dès lors les employés de la centrale sont restés impuissants devant l’incendie, attendant les pompiers qui n’arrivaient pas. L’exploitant a déclaré avoir appelé les pompiers mais la ligne était occupée ! Ce 16 juillet était un jour férié national au Japon, et seuls 17 pompiers étaient de permanence dans la ville de 95 000 habitants de Kashiwasaki dévastée par le séisme. On se doute que les pompiers devaient être très occupés. Cinq pompiers d’astreinte arriveront au bout d’une heure pour éteindre le feu.
Selon les pompiers de Kashiwasaki, il s’agissait du troisième incendie cette année dans cette centrale. En avril dernier, il avait fallu trois heures à la centrale pour signaler un départ de feu aux pompiers de la ville. Vingt et un ans après la catastrophe de Tchernobyl, dans un des pays les plus développés au monde, le risque incendie dans une centrale nucléaire est totalement négligé alors que le feu peut conduire à l’accident majeur.
Hormis ce transformateur, cinq autres ont été fortement détériorés et présentaient des fuites d’huile. Des inspecteurs gouvernementaux en visitant la centrale accidentée ont déclaré que si un seul transformateur avait pris feu, c’était uniquement “par chance”.
Dès que les quatre réacteurs nucléaires en fonctionnement lors du séisme ont été arrêtés en urgence, il était vital de refroidir les cœurs des réacteurs car des réactions de fission se poursuivaient et dégageaient une chaleur d’une très grande intensité. Celle-ci aurait suffi à faire fondre le cœur et à rejeter des quantités importantes de radioactivité dans l’environnement . L’exploitant n’a pas expliqué si les quatre réacteurs ont pu être refroidis grâce à une alimentation électrique extérieure ou bien seulement par des générateurs de secours. Les transformateurs défectueux ont pu provoquer une perte d’alimentation électrique extérieure des réacteurs, le risque de fusion des cœurs nucléaires aurait alors été augmenté. A noter qu’une ligne à haute tension a été coupée dans la centrale pendant le séisme.

Les bâtiments abritant les réacteurs nucléaires doivent être construits à même la roche, selon les normes antisismiques japonaises mais ce n’était pas le cas des bâtiments auxiliaires qui ont subi de forts dégâts. La route qui traverse la centrale a été coupée. A certains endroits, le sol de la centrale nucléaire a subi des affaissements allant jusqu’à 1,60 m qui expliquent notamment les dégâts importants dans les transformateurs . Les conduites reliées aux cheminées d’évacuation des gaz et des particules radioactives se sont déplacées sur cinq réacteurs. Le bâtiment du réacteur n°1 a été éventré.

Les sept piscines de désactivation , dans lesquelles sont immergés les combustibles nucléaires usés pour qu’ils refroidissent, ont toutes débordé. Une caméra de surveillance a filmé des vagues de plus d’un mètre de hauteur lors du séisme, dans la piscine du réacteur n°3 qui abritait du combustible au plutonium . Le combustible usé n’est pas un matériau anodin, il est brûlant de radioactivité. S’il n’est pas refroidi en permanence, il peut entrer en fusion et relâcher en masse de la radioactivité comme cela s’est passé à la centrale de Paks en Hongrie en 2003. Il est aujourd’hui impossible de savoir dans quel état se trouve le combustible usé dans les piscines des réacteurs.

Rejets incontrôlés de radioactivité : plus de 300 millions de becquerels rejetés dans l’environnement

La piscine du réacteur n° 6 a laissé s’échapper au moins 1200 litres d’eau radioactive dans la mer du Japon mais un responsable de Tepco a annoncé qu’une quantité nettement plus importante avait dû fuir.
On a découvert aussi deux autres fuites d’eau radioactive dans les sous-sols du réacteur . La cheminée du réacteur 7 a laissé échapper des particules radioactives pendant apparemment trois jours car un employé avait oublié d’éteindre la ventilation de la turbine du réacteur. Il s’agit de rejets significatifs : 300 MBq , c’est-à-dire 300 millions de becquerels d’iode 131, d’iode 133, de cobalt 60 et de chrome 51. Les rejets d’iodes ont duré trois jours. Tous ces éléments radioactifs présentent un risque pour la santé humaine. De plus, ces émissions pourraient indiquer une détérioration du combustible dans le réacteur.
Dans les sous-sols du réacteur n°1, une fuite de 1670 litres d’eau radioactive a été découverte mais l’exploitant n’a donné aucune information sur la radioactivité du rejet.
Plusieurs centaines de fûts de déchets radioactifs ont été renversés et plusieurs dizaines se sont ouverts : là non plus, aucune information sur la radioactivité rejetée.
Enfin, Tepco a annoncé neuf jours après le séisme que le bâtiment du réacteur n°1 avait été inondé par une fuite de 2 millions de litres d’eau à cause d’une canalisation incendie percée lors de l’affaissement du sol à proximité du réacteur. L’équivalent du contenu de 5 piscines de 25 mètres s’est engouffré dans un bâtiment supposément étanche qui abrite un réacteur nucléaire. L’industriel a annoncé une “faible” contamination de l’eau sans en dire plus.

Comme les industriels du nucléaire en ont l’habitude, Tepco a déclaré, dans les heures qui ont suivi le séisme, que la radioactivité échappée sans contrôle ne présentait aucun risque. Mais rien ne le prouve puisque l’exploitant n’a toujours pas livré d’informations suffisantes pour évaluer le risque sanitaire réel et n’a pas, semble-t-il, effectué de campagne de prélèvements d’échantillons dans l’environnement de la centrale pour analyser la radioactivité dégagée lors du séisme. Hormis pour les rejets de la cheminée du réacteur n° 7 et de la piscine de combustible usé, Tepco a gardé le silence plusieurs semaines sur la nature des éléments radioactifs échappés et la radioactivité des fuites n’est pas toujours chiffrée. Immédiatement après le séisme, le site web de Tepco qui informait les habitants vivant à proximité des réacteurs des mesures de la radioactivité dans la centrale a cessé de fonctionner pendant 56 heures. Voici une coïncidence malheureuse.
On ignore toujours dans quel état est la zone la plus sensible des réacteurs, les cœurs nucléaires. Tepco a déclaré que les inspections des cuves n’auraient lieu qu’à partir d’octobre prochain. Ceci n’a pas empêché l’AIEA d’affirmer que la centrale s’en était bien sortie lors d’une inspection de la centrale le 17 août dernier…

Dormez, braves gens !

Il semble que le séisme du 16 juillet n’ait pas eu raison de l’inébranlable culture du mensonge de Tepco, qui a d’abord affirmé qu’il n’y avait eu qu’un incendie de transformateur et aucune fuite de radioactivité. Douze heures après le séisme, l’industriel annonçait une fuite radioactive de 1,2 litre puis rapidement le volume de cette fuite a été multiplié par 1000. Il est tout aussi étonnant que
l’exploitant n’arrive pas à déterminer le volume d’eau radioactive qui a pu s’échapper des piscines de combustible usé, alors qu’il suffit de comparer le volume des piscines avant la fuite et après…
Par la suite, on a aussi appris que des centaines de fûts de déchets radioactifs s’étaient renversés. Il faudra attendre quatre jours pour que Tepco annonce 5 fuites de radioactivité et 67 incidents différents. Un peu tard pour protéger les 95 000 habitants de Kashiwazira, dont l’agglomération se situe à proximité immédiate de la centrale ébranlée. L’industriel a justifié ses hésitations par le fait que le personnel avait été évacué des lieux lors du séisme et n’avait donc pas pu mesurer la radioactivité. On retrouve ici le mélange, malheureusement bien connu en France, de dissimulation d’informations, de mensonges, d’incompétence et d’impréparation propres aux industriels du nucléaire. Les déclarations contradictoires de Tepco ont renforcé la méfiance des Japonais envers une industrie nucléaire qui connaît des scandales à répétition. Cette entreprise a ainsi avoué en 2002 avoir dissimulé des informations 29 fois dans des rapports d’inspection sur la sûreté de ses réacteurs nucléaires . Les 17 réacteurs nucléaires de l’industriel ont alors été arrêtés pour inspection.
En 2007, Tepco a avoué 200 nouvelles falsifications d’informations concernant ses réacteurs nucléaires depuis trente ans.
Les tergiversations sur le bilan du séisme du 16 juillet pourraient coûter très cher à Tepco. Le Premier ministre japonais a critiqué les manquements dans l’information du public et le ministre de l’Industrie japonais a vertement rappelé à l’ordre l’entreprise dès le lendemain du séisme. L’arrêt de la centrale coûtera à l’exploitant au moins un milliard d’euros. Les autorités de la région frappée par le séisme estiment que la peur des consommateurs japonais d’une contamination des produits agricoles locaux pourrait provoquer une perte supérieure au milliard d’euros.

Il y a une faille sismique active sous la centrale nucléaire

Selon l’Agence japonaise de météorologie, une faille active court maintenant sous la plus grande centrale nucléaire du monde. C’est la répartition des répliques après le séisme qui a permis de localiser la faille. Une faille active est une fracture de l’écorce terrestre le long de laquelle se produisent des tremblements de terre. Cette faille n’avait pas été révélée par les sondages de prospection réalisés avant la construction des réacteurs. En 2005, la Haute cour de justice de Tokyo a rejeté la plainte de 33 habitants de Kashiwazaki qui remettaient en cause la fiabilité des études de risque sismique de la centrale. Cette même cour a aussi statué négativement sur la possibilité qu’une faille active sous la centrale existe et qu’elle puisse provoquer un accident lors d’un violent séisme.
La centrale de Kashiwazaki est fermée pour une année selon le quotidien Nikkei mais la centrale d’Onagawa a été fermée deux ans suite à un séisme en 2005 qui avait provoqué moins de dégâts. Pour redémarrer la centrale, Tepco devra prouver au gouvernement que les structures des réacteurs n’ont pas été abîmées irréversiblement. Elle devra aussi prouver que la centrale résisterait à un séisme encore plus puissant. C’est une gageure. Il est probable que ces réacteurs ne redémarrent jamais.

Un séisme sous la centrale ne laisserait aucune chance aux réacteurs nucléaires

Selon Katsuhiko Ishibashi, un sismologue réputé au Japon, le monde est passé tout près d’un “Genpatsu-Shintsai”, c’est-à-dire de la combinaison d’un violent tremblement de terre et d’un accident nucléaire avec des millions de morts à la clé et une nation à genoux.
Il est aujourd’hui évident que les normes antisismiques japonaises appliquées aux centrales nucléaires sont totalement obsolètes. Ce séisme est le troisième en deux ans qui excède ces normes dans une centrale japonaise. Le risque sismique démultiplie la possibilité d’un accident majeur. Voilà pourquoi le Japon doit fermer tous ses réacteurs définitivement. Les autorités japonaises attendent-elles que leur pays soit dévasté par la radioactivité pour arrêter ces centrale ? Personne ne peut plus ignorer aujourd’hui qu’un accident nucléaire grave menace le Japon et au-delà, toute l’Asie.

Martin Leers
Salarié du Réseau “Sortir du nucléaire”
martin.leers@sortirdunucleaire.fr

1. Il s’agit de réacteurs à eau bouillante (REB).

2. MWé = Méga watt électrique. 1 MW = 1 million de watt

3. Données sismiques (en anglais) : International Institute of Seismology and Earthquake Engineering : https://iisee.kenken.go.jp/special/20070716japan.htm
et Earthquake Research Institute (University of Tokyo) :
https://www.eri.u-tokyo.ac.jp/topics/niigata20070716/index-e.html

4. Il s’agit des réacteurs 2, 3, 4 et 7.

5. Tableau comparant les accélérations sismiques subies par les réacteurs et les accélérations auxquelles ils étaient censés résister (en anglais) : https://www.tepco.co.jp/en/press/corp-com/release/betu07_e/images/070719_01.jpg

6. L’accélération sismique est un ordre de grandeur physique qui détermine précisément l’intensité d’un tremblement de terre dans un endroit donné. On la calcule en centimètre par seconde au carré (cm/s²).

7. Accélérations sismiques est-ouest subies : 606 cm/s². Normes de résistance prévues : 167 cm/s².

8. Bilan des incidents au 24 juillet par Tepco (en anglais) :
https://www.tepco.co.jp/en/press/corp-com/release/betu07_e/images/070724e1.pdf

9. La centrale ne possédait pas de ligne téléphonique dédiée pour les pompiers.
https://www.tepco.co.jp/en/press/corp-com/release/07072001-e.html (en anglais)

10. Agence Internationale de l’Energie Atomique

11. More damage found at TEPCO plant, 23.07.07, journal Asahi (en anglais).

12. Comme dans la centrale de Three Mile Island aux Etats-Unis en 1979.

13. N-plant shows scars of quake, 23.07.07, journal Yomiuri (en anglais).

14. Piscines où la radioactivité des combustibles nucléaires usés décroît une fois sortis du réacteur.

15. Waves in pool over 1 meter high, 25.07.07, journal Yomiuri (en anglais).

16. Le becquerel est l’unité d’activité radioactive légale.

17. Cette fuite correspond à une activité de 90 000 Bq avec cobalt 58, cobalt 60 et antimoine 124.

18. Radioactive water likely flowed via electric cables after earthquake, 23.07.07, journal Asahi (en anglais).

19. Ces fuites totaliseraient une activité de 16 280 bB

20. 1 MBq= 1 Méga becquerel =1 million de becquerels

21. Water from pipe flooded reactor floor, 25.07.07, journal Asahi (en anglais)

22. N-plant likely to stay shut for long time, 24.07.07, journal Yomiuri (en anglais)

23. Tepco a dissimulé un accident qui a conduit à une réaction en chaîne incontrôlée en 1978 dans le réacteur n°3 de Fukushima mais a aussi caché l’existence de fissures dans les cuves de treize réacteurs dont ceux de la centrale de Kashiwazaki.

24. "Not Again" : Yet Another TEPCO Scandal, Citizens’ Nuclear Information Center (CNIC), (en anglais).

25. Niigata puts quake damage at 1.5 trillion yen and counting, 25.07.07, journal Asahi (en anglais).

26. Nuke plant may sit on fault that caused Niigata quake, 18.07.07, Kyodo News, (en anglais).

27. Japan nuclear plant suffers malfunctions, 17.07.07, AP (en anglais).

28. “Genpatsu” signifie énergie nucléaire et “Shintsai” séisme catastrophique.

29. La centrale d’Onagawa le 16 août 2005 et la centrale de Shika le 25 mars 2007.

Que s’est-il passé ?

Le 16 juillet 2007 à 10h13, la centrale de Kashiwazaki-Kariwa, située dans le Nord-Ouest du Japon, qui abrite sept réacteurs nucléaires [1] d’une puissance cumulée de 8 212 MWé [2], a été frappée par un séisme très important de magnitude 6,8 sur l’échelle de Richter [3]. La violence du séisme est à mettre en lien avec la grande proximité de l’épicentre du séisme, à 9 kilomètres seulement des réacteurs. Ce séisme a fait onze victimes et plus de 1800 blessés, dont la plupart dans la ville de Kashiwazaki contiguë à la centrale.
Sept personnes ont été blessées dans l’enceinte de la centrale nucléaire. Quatre réacteurs étaient en fonctionnement lors du séisme et ont été arrêtés en urgence , les trois autres réacteurs étaient en arrêt pour inspection. Cette centrale nucléaire, qui est la plus grande au monde par sa puissance, appartient à la Tokyo Electric Power Company (Tepco), le premier producteur d’électricité du Japon, éclaboussé récemment par de nombreux scandales.

La centrale nucléaire de Kashiwazaki-Kawira n’a pas été conçue pour résister à la violence du séisme du 16 juillet. Au Japon, les centrales nucléaires doivent supporter un tremblement de terre de magnitude 6,5 or les secousses du séisme du 16 juillet étaient trois fois supérieures . Les sept réacteurs ont tous subi des secousses supérieures aux secousses maximales prévues . La centrale a été très abîmée et plusieurs rejets incontrôlés de radioactivité ont eu lieu. Plus de 15 jours après le séisme Tepco a annoncé que la turbine du réacteur n°3 avait encaissé des accélérations sismiques 6,8 fois plus intenses que les accélérations maximales prévues par les normes japonaises pour la centrale. Ce sont probablement les secousses les plus importantes jamais enregistrées dans une centrale nucléaire . Le réacteur n° 2, qui était en fonctionnement pendant le tremblement de terre, a subi des accélérations trois fois et demi plus fortes que ce qu’il pouvait théoriquement affronter . Ce réacteur était d’autant plus vulnérable qu’il était en cours de démarrage : le combustible nucléaire contient alors le maximum de matière fissile. C’est une phase délicate du fait de la forte réactivité initiale du combustible, qui doit être surveillée de près pour éviter tout emballement du réacteur. Exercice délicat pendant un séisme de magnitude 6,8.

La centrale a subi des dégâts importants

Huit jours après le tremblement de terre, TEPCO répertoriait 67 incidents dans la centrale dont 15 concernaient les installations nucléaires.
Parmi les incidents les plus graves, un incendie s’est déclaré sur un transformateur du réacteur n°3 qui a brûlé pendant deux heures avant d’être éteint par les pompiers. Ce feu lié à l’huile isolante présente dans le transformateur aurait été provoqué par l’affaissement du sol de 50 cm. Les canalisations d’eau pour lutter contre les incendies, endommagées par le séisme, étaient indisponibles. La centrale ne possédait pas d’extincteurs adéquats pour lutter contre les feux de produits à base de pétrole bien qu’on y trouve des centaines de milliers de litres de fuel pour alimenter les générateurs de secours des réacteurs nucléaires. Il a donc fallu attendre l’arrivée de ces produits pour combattre l’incendie. Dès lors les employés de la centrale sont restés impuissants devant l’incendie, attendant les pompiers qui n’arrivaient pas. L’exploitant a déclaré avoir appelé les pompiers mais la ligne était occupée ! Ce 16 juillet était un jour férié national au Japon, et seuls 17 pompiers étaient de permanence dans la ville de 95 000 habitants de Kashiwasaki dévastée par le séisme. On se doute que les pompiers devaient être très occupés. Cinq pompiers d’astreinte arriveront au bout d’une heure pour éteindre le feu.
Selon les pompiers de Kashiwasaki, il s’agissait du troisième incendie cette année dans cette centrale. En avril dernier, il avait fallu trois heures à la centrale pour signaler un départ de feu aux pompiers de la ville. Vingt et un ans après la catastrophe de Tchernobyl, dans un des pays les plus développés au monde, le risque incendie dans une centrale nucléaire est totalement négligé alors que le feu peut conduire à l’accident majeur.
Hormis ce transformateur, cinq autres ont été fortement détériorés et présentaient des fuites d’huile. Des inspecteurs gouvernementaux en visitant la centrale accidentée ont déclaré que si un seul transformateur avait pris feu, c’était uniquement “par chance”.
Dès que les quatre réacteurs nucléaires en fonctionnement lors du séisme ont été arrêtés en urgence, il était vital de refroidir les cœurs des réacteurs car des réactions de fission se poursuivaient et dégageaient une chaleur d’une très grande intensité. Celle-ci aurait suffi à faire fondre le cœur et à rejeter des quantités importantes de radioactivité dans l’environnement . L’exploitant n’a pas expliqué si les quatre réacteurs ont pu être refroidis grâce à une alimentation électrique extérieure ou bien seulement par des générateurs de secours. Les transformateurs défectueux ont pu provoquer une perte d’alimentation électrique extérieure des réacteurs, le risque de fusion des cœurs nucléaires aurait alors été augmenté. A noter qu’une ligne à haute tension a été coupée dans la centrale pendant le séisme.

Les bâtiments abritant les réacteurs nucléaires doivent être construits à même la roche, selon les normes antisismiques japonaises mais ce n’était pas le cas des bâtiments auxiliaires qui ont subi de forts dégâts. La route qui traverse la centrale a été coupée. A certains endroits, le sol de la centrale nucléaire a subi des affaissements allant jusqu’à 1,60 m qui expliquent notamment les dégâts importants dans les transformateurs . Les conduites reliées aux cheminées d’évacuation des gaz et des particules radioactives se sont déplacées sur cinq réacteurs. Le bâtiment du réacteur n°1 a été éventré.

Les sept piscines de désactivation , dans lesquelles sont immergés les combustibles nucléaires usés pour qu’ils refroidissent, ont toutes débordé. Une caméra de surveillance a filmé des vagues de plus d’un mètre de hauteur lors du séisme, dans la piscine du réacteur n°3 qui abritait du combustible au plutonium . Le combustible usé n’est pas un matériau anodin, il est brûlant de radioactivité. S’il n’est pas refroidi en permanence, il peut entrer en fusion et relâcher en masse de la radioactivité comme cela s’est passé à la centrale de Paks en Hongrie en 2003. Il est aujourd’hui impossible de savoir dans quel état se trouve le combustible usé dans les piscines des réacteurs.

Rejets incontrôlés de radioactivité : plus de 300 millions de becquerels rejetés dans l’environnement

La piscine du réacteur n° 6 a laissé s’échapper au moins 1200 litres d’eau radioactive dans la mer du Japon mais un responsable de Tepco a annoncé qu’une quantité nettement plus importante avait dû fuir.
On a découvert aussi deux autres fuites d’eau radioactive dans les sous-sols du réacteur . La cheminée du réacteur 7 a laissé échapper des particules radioactives pendant apparemment trois jours car un employé avait oublié d’éteindre la ventilation de la turbine du réacteur. Il s’agit de rejets significatifs : 300 MBq , c’est-à-dire 300 millions de becquerels d’iode 131, d’iode 133, de cobalt 60 et de chrome 51. Les rejets d’iodes ont duré trois jours. Tous ces éléments radioactifs présentent un risque pour la santé humaine. De plus, ces émissions pourraient indiquer une détérioration du combustible dans le réacteur.
Dans les sous-sols du réacteur n°1, une fuite de 1670 litres d’eau radioactive a été découverte mais l’exploitant n’a donné aucune information sur la radioactivité du rejet.
Plusieurs centaines de fûts de déchets radioactifs ont été renversés et plusieurs dizaines se sont ouverts : là non plus, aucune information sur la radioactivité rejetée.
Enfin, Tepco a annoncé neuf jours après le séisme que le bâtiment du réacteur n°1 avait été inondé par une fuite de 2 millions de litres d’eau à cause d’une canalisation incendie percée lors de l’affaissement du sol à proximité du réacteur. L’équivalent du contenu de 5 piscines de 25 mètres s’est engouffré dans un bâtiment supposément étanche qui abrite un réacteur nucléaire. L’industriel a annoncé une “faible” contamination de l’eau sans en dire plus.

Comme les industriels du nucléaire en ont l’habitude, Tepco a déclaré, dans les heures qui ont suivi le séisme, que la radioactivité échappée sans contrôle ne présentait aucun risque. Mais rien ne le prouve puisque l’exploitant n’a toujours pas livré d’informations suffisantes pour évaluer le risque sanitaire réel et n’a pas, semble-t-il, effectué de campagne de prélèvements d’échantillons dans l’environnement de la centrale pour analyser la radioactivité dégagée lors du séisme. Hormis pour les rejets de la cheminée du réacteur n° 7 et de la piscine de combustible usé, Tepco a gardé le silence plusieurs semaines sur la nature des éléments radioactifs échappés et la radioactivité des fuites n’est pas toujours chiffrée. Immédiatement après le séisme, le site web de Tepco qui informait les habitants vivant à proximité des réacteurs des mesures de la radioactivité dans la centrale a cessé de fonctionner pendant 56 heures. Voici une coïncidence malheureuse.
On ignore toujours dans quel état est la zone la plus sensible des réacteurs, les cœurs nucléaires. Tepco a déclaré que les inspections des cuves n’auraient lieu qu’à partir d’octobre prochain. Ceci n’a pas empêché l’AIEA d’affirmer que la centrale s’en était bien sortie lors d’une inspection de la centrale le 17 août dernier…

Dormez, braves gens !

Il semble que le séisme du 16 juillet n’ait pas eu raison de l’inébranlable culture du mensonge de Tepco, qui a d’abord affirmé qu’il n’y avait eu qu’un incendie de transformateur et aucune fuite de radioactivité. Douze heures après le séisme, l’industriel annonçait une fuite radioactive de 1,2 litre puis rapidement le volume de cette fuite a été multiplié par 1000. Il est tout aussi étonnant que
l’exploitant n’arrive pas à déterminer le volume d’eau radioactive qui a pu s’échapper des piscines de combustible usé, alors qu’il suffit de comparer le volume des piscines avant la fuite et après…
Par la suite, on a aussi appris que des centaines de fûts de déchets radioactifs s’étaient renversés. Il faudra attendre quatre jours pour que Tepco annonce 5 fuites de radioactivité et 67 incidents différents. Un peu tard pour protéger les 95 000 habitants de Kashiwazira, dont l’agglomération se situe à proximité immédiate de la centrale ébranlée. L’industriel a justifié ses hésitations par le fait que le personnel avait été évacué des lieux lors du séisme et n’avait donc pas pu mesurer la radioactivité. On retrouve ici le mélange, malheureusement bien connu en France, de dissimulation d’informations, de mensonges, d’incompétence et d’impréparation propres aux industriels du nucléaire. Les déclarations contradictoires de Tepco ont renforcé la méfiance des Japonais envers une industrie nucléaire qui connaît des scandales à répétition. Cette entreprise a ainsi avoué en 2002 avoir dissimulé des informations 29 fois dans des rapports d’inspection sur la sûreté de ses réacteurs nucléaires . Les 17 réacteurs nucléaires de l’industriel ont alors été arrêtés pour inspection.
En 2007, Tepco a avoué 200 nouvelles falsifications d’informations concernant ses réacteurs nucléaires depuis trente ans.
Les tergiversations sur le bilan du séisme du 16 juillet pourraient coûter très cher à Tepco. Le Premier ministre japonais a critiqué les manquements dans l’information du public et le ministre de l’Industrie japonais a vertement rappelé à l’ordre l’entreprise dès le lendemain du séisme. L’arrêt de la centrale coûtera à l’exploitant au moins un milliard d’euros. Les autorités de la région frappée par le séisme estiment que la peur des consommateurs japonais d’une contamination des produits agricoles locaux pourrait provoquer une perte supérieure au milliard d’euros.

Il y a une faille sismique active sous la centrale nucléaire

Selon l’Agence japonaise de météorologie, une faille active court maintenant sous la plus grande centrale nucléaire du monde. C’est la répartition des répliques après le séisme qui a permis de localiser la faille. Une faille active est une fracture de l’écorce terrestre le long de laquelle se produisent des tremblements de terre. Cette faille n’avait pas été révélée par les sondages de prospection réalisés avant la construction des réacteurs. En 2005, la Haute cour de justice de Tokyo a rejeté la plainte de 33 habitants de Kashiwazaki qui remettaient en cause la fiabilité des études de risque sismique de la centrale. Cette même cour a aussi statué négativement sur la possibilité qu’une faille active sous la centrale existe et qu’elle puisse provoquer un accident lors d’un violent séisme.
La centrale de Kashiwazaki est fermée pour une année selon le quotidien Nikkei mais la centrale d’Onagawa a été fermée deux ans suite à un séisme en 2005 qui avait provoqué moins de dégâts. Pour redémarrer la centrale, Tepco devra prouver au gouvernement que les structures des réacteurs n’ont pas été abîmées irréversiblement. Elle devra aussi prouver que la centrale résisterait à un séisme encore plus puissant. C’est une gageure. Il est probable que ces réacteurs ne redémarrent jamais.

Un séisme sous la centrale ne laisserait aucune chance aux réacteurs nucléaires

Selon Katsuhiko Ishibashi, un sismologue réputé au Japon, le monde est passé tout près d’un “Genpatsu-Shintsai”, c’est-à-dire de la combinaison d’un violent tremblement de terre et d’un accident nucléaire avec des millions de morts à la clé et une nation à genoux.
Il est aujourd’hui évident que les normes antisismiques japonaises appliquées aux centrales nucléaires sont totalement obsolètes. Ce séisme est le troisième en deux ans qui excède ces normes dans une centrale japonaise. Le risque sismique démultiplie la possibilité d’un accident majeur. Voilà pourquoi le Japon doit fermer tous ses réacteurs définitivement. Les autorités japonaises attendent-elles que leur pays soit dévasté par la radioactivité pour arrêter ces centrale ? Personne ne peut plus ignorer aujourd’hui qu’un accident nucléaire grave menace le Japon et au-delà, toute l’Asie.

Martin Leers
Salarié du Réseau “Sortir du nucléaire”
martin.leers@sortirdunucleaire.fr

1. Il s’agit de réacteurs à eau bouillante (REB).

2. MWé = Méga watt électrique. 1 MW = 1 million de watt

3. Données sismiques (en anglais) : International Institute of Seismology and Earthquake Engineering : https://iisee.kenken.go.jp/special/20070716japan.htm
et Earthquake Research Institute (University of Tokyo) :
https://www.eri.u-tokyo.ac.jp/topics/niigata20070716/index-e.html

4. Il s’agit des réacteurs 2, 3, 4 et 7.

5. Tableau comparant les accélérations sismiques subies par les réacteurs et les accélérations auxquelles ils étaient censés résister (en anglais) : https://www.tepco.co.jp/en/press/corp-com/release/betu07_e/images/070719_01.jpg

6. L’accélération sismique est un ordre de grandeur physique qui détermine précisément l’intensité d’un tremblement de terre dans un endroit donné. On la calcule en centimètre par seconde au carré (cm/s²).

7. Accélérations sismiques est-ouest subies : 606 cm/s². Normes de résistance prévues : 167 cm/s².

8. Bilan des incidents au 24 juillet par Tepco (en anglais) :
https://www.tepco.co.jp/en/press/corp-com/release/betu07_e/images/070724e1.pdf

9. La centrale ne possédait pas de ligne téléphonique dédiée pour les pompiers.
https://www.tepco.co.jp/en/press/corp-com/release/07072001-e.html (en anglais)

10. Agence Internationale de l’Energie Atomique

11. More damage found at TEPCO plant, 23.07.07, journal Asahi (en anglais).

12. Comme dans la centrale de Three Mile Island aux Etats-Unis en 1979.

13. N-plant shows scars of quake, 23.07.07, journal Yomiuri (en anglais).

14. Piscines où la radioactivité des combustibles nucléaires usés décroît une fois sortis du réacteur.

15. Waves in pool over 1 meter high, 25.07.07, journal Yomiuri (en anglais).

16. Le becquerel est l’unité d’activité radioactive légale.

17. Cette fuite correspond à une activité de 90 000 Bq avec cobalt 58, cobalt 60 et antimoine 124.

18. Radioactive water likely flowed via electric cables after earthquake, 23.07.07, journal Asahi (en anglais).

19. Ces fuites totaliseraient une activité de 16 280 bB

20. 1 MBq= 1 Méga becquerel =1 million de becquerels

21. Water from pipe flooded reactor floor, 25.07.07, journal Asahi (en anglais)

22. N-plant likely to stay shut for long time, 24.07.07, journal Yomiuri (en anglais)

23. Tepco a dissimulé un accident qui a conduit à une réaction en chaîne incontrôlée en 1978 dans le réacteur n°3 de Fukushima mais a aussi caché l’existence de fissures dans les cuves de treize réacteurs dont ceux de la centrale de Kashiwazaki.

24. "Not Again" : Yet Another TEPCO Scandal, Citizens’ Nuclear Information Center (CNIC), (en anglais).

25. Niigata puts quake damage at 1.5 trillion yen and counting, 25.07.07, journal Asahi (en anglais).

26. Nuke plant may sit on fault that caused Niigata quake, 18.07.07, Kyodo News, (en anglais).

27. Japan nuclear plant suffers malfunctions, 17.07.07, AP (en anglais).

28. “Genpatsu” signifie énergie nucléaire et “Shintsai” séisme catastrophique.

29. La centrale d’Onagawa le 16 août 2005 et la centrale de Shika le 25 mars 2007.



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