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Sortir du nucléaire n°50



Eté 2011

Fukushima

Quitter sa terre : l’exode d’un paysan japonais

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°50 - Eté 2011

 Fukushima
Article publié le : 1er août 2011


Shimpei Murakami est né il y a 52 ans à 25km de la centrale de Fukushima. Après avoir travaillé en coopération en Thaïlande et au Bangladesh pour promouvoir des méthodes écologiques d’agriculture, il s’est lui-même installé comme agriculteur il y a 9 ans.



Comment s’est passée votre installation au Japon ?

J’ai trouvé près de mon village natal une commune, Iitate, qui avait lancé un idéal de slow life à la manière locale "madéi" ce qui veut dire "prendre le temps de prendre soin des autres". Nous sommes installés dans le hameau de Maeda. Je cultivais des légumes, mon épouse avait établi sur la ferme un restaurant macrobiotique et nous prenions un stagiaire régulièrement. Nous avons eu trois enfants qui ont 1, 4 et 7 ans. Le matin du 11 mars nous avions fini les fondations d’une maison pour mon stagiaire qui souhaitait faire une année de plus et s’installer à côté. Et puis la catastrophe est arrivée qui a balayé tout cela.

Est-ce que vous avez souffert du tremblement de terre et du tsunami ?

Non, en revanche nous avons eu peur que la centrale nucléaire explose. Le 12 mars, en raison des informations inquiétantes, nous sommes tous partis pour Takahatta où ma sœur est fermière. Beaucoup de gens ont fait comme nous, quand ils savaient où aller, pas trop loin, pour se mettre à l’abri le temps que les choses s’arrangent.

Est-ce que vous pensiez à ce moment-là pouvoir revenir dans votre ferme ?

Oui, on espérait que cela allait s’arranger, mais le 12 mars une explosion a eu lieu. Ensuite, les uns et les autres nous demandaient ce qu’il fallait faire, et nous avons cherché un hébergement pour ceux qui nous interrogeaient, ce que j’ai trouvé grâce au lycée Ainô du département de Mié (bien loin de la centrale) où j’avais fait mes études.

Vous voilà donc partis pour Mié ?

Non, pas tout de suite. J’ai libéré mon stagiaire de son contrat et je l’ai reconduit chez lui, nous avons continué à rouler vers le sud jusqu’à Hamamatsu pour aller dans la famille de ma femme. Le
lendemain, le 15 mars, une nouvelle explosion a eu lieu. Le soir mon épouse a vu sur la chaîne NHK des informations terribles sur le niveau de radiation : 1µSv par heure à Fukushima et 34µSv par heure à Iitate. J’ai pris à ce moment-là cette décision définitive de ne plus revenir à Iitate. C’est difficile de prendre une telle décision. J’ai eu la chance à 20 ans de pouvoir aller dans un ashram en Inde ; j’y ai compris que pour vivre heureux il ne faut pas avoir trop d’attachement aux choses.

Vous avez donc rejoint Mié où vous vivez actuellement avec votre famille ?

Oui ; le 16 mars nous y avons été rejoints par une trentaine de personnes dont trois familles d’agriculteurs. Certaines sont reparties, quelquefois seulement le mari qui est retourné pour travailler. À Iitate il y avait 6000 habitants, 2000 sont partis, 1000 sont revenus. Le 1er mai, des amis ont fait des mesures : 7,5 µSv/h à un mètre du sol et 16µSv/h au sol. Pour 10µSv/h cela fait en dix jours une accumulation de 2,5 mSv soit une dose déjà bien au-delà de ce à quoi on peut s’exposer sans danger. Toutefois, le gouvernement dit qu’il n’y a pas de danger à ce niveau et un bon nombre de gens veulent croire ce que dit le gouvernement.

Donc, vous avez quitté définitivement Iitate, vous n’y reviendrez pas et vous pensez que c’est ce qu’il faut faire ?

Oui, bien sûr. Je suis retourné une seule fois à Iitate, le 23 avril pendant 3 jours en partant seul avec un petit camion bourré de choses pour des amis de villages environnants qui avaient été sinistrés par le tsunami. Je suis revenu avec une partie de nos affaires personnelles et sans espoir de retour. J’y suis allé sans radiamètre, mais j’ai appris le 1er mai l’importance des radiations mesurées par mes amis. Nous ne pouvons plus cultiver cette terre. Partir n’est pas suffisant car d’autres centrales existent. Des tremblements de terre ou d’autres accidents peuvent survenir et ruiner les efforts que l’on fait pour cultiver de manière écologique des légumes pour se nourrir de manière saine. J’espère que notre histoire fera réfléchir beaucoup de monde.

Propos recueillis par Marc Humbert et Hiroko Hamemiya

Comment s’est passée votre installation au Japon ?

J’ai trouvé près de mon village natal une commune, Iitate, qui avait lancé un idéal de slow life à la manière locale "madéi" ce qui veut dire "prendre le temps de prendre soin des autres". Nous sommes installés dans le hameau de Maeda. Je cultivais des légumes, mon épouse avait établi sur la ferme un restaurant macrobiotique et nous prenions un stagiaire régulièrement. Nous avons eu trois enfants qui ont 1, 4 et 7 ans. Le matin du 11 mars nous avions fini les fondations d’une maison pour mon stagiaire qui souhaitait faire une année de plus et s’installer à côté. Et puis la catastrophe est arrivée qui a balayé tout cela.

Est-ce que vous avez souffert du tremblement de terre et du tsunami ?

Non, en revanche nous avons eu peur que la centrale nucléaire explose. Le 12 mars, en raison des informations inquiétantes, nous sommes tous partis pour Takahatta où ma sœur est fermière. Beaucoup de gens ont fait comme nous, quand ils savaient où aller, pas trop loin, pour se mettre à l’abri le temps que les choses s’arrangent.

Est-ce que vous pensiez à ce moment-là pouvoir revenir dans votre ferme ?

Oui, on espérait que cela allait s’arranger, mais le 12 mars une explosion a eu lieu. Ensuite, les uns et les autres nous demandaient ce qu’il fallait faire, et nous avons cherché un hébergement pour ceux qui nous interrogeaient, ce que j’ai trouvé grâce au lycée Ainô du département de Mié (bien loin de la centrale) où j’avais fait mes études.

Vous voilà donc partis pour Mié ?

Non, pas tout de suite. J’ai libéré mon stagiaire de son contrat et je l’ai reconduit chez lui, nous avons continué à rouler vers le sud jusqu’à Hamamatsu pour aller dans la famille de ma femme. Le
lendemain, le 15 mars, une nouvelle explosion a eu lieu. Le soir mon épouse a vu sur la chaîne NHK des informations terribles sur le niveau de radiation : 1µSv par heure à Fukushima et 34µSv par heure à Iitate. J’ai pris à ce moment-là cette décision définitive de ne plus revenir à Iitate. C’est difficile de prendre une telle décision. J’ai eu la chance à 20 ans de pouvoir aller dans un ashram en Inde ; j’y ai compris que pour vivre heureux il ne faut pas avoir trop d’attachement aux choses.

Vous avez donc rejoint Mié où vous vivez actuellement avec votre famille ?

Oui ; le 16 mars nous y avons été rejoints par une trentaine de personnes dont trois familles d’agriculteurs. Certaines sont reparties, quelquefois seulement le mari qui est retourné pour travailler. À Iitate il y avait 6000 habitants, 2000 sont partis, 1000 sont revenus. Le 1er mai, des amis ont fait des mesures : 7,5 µSv/h à un mètre du sol et 16µSv/h au sol. Pour 10µSv/h cela fait en dix jours une accumulation de 2,5 mSv soit une dose déjà bien au-delà de ce à quoi on peut s’exposer sans danger. Toutefois, le gouvernement dit qu’il n’y a pas de danger à ce niveau et un bon nombre de gens veulent croire ce que dit le gouvernement.

Donc, vous avez quitté définitivement Iitate, vous n’y reviendrez pas et vous pensez que c’est ce qu’il faut faire ?

Oui, bien sûr. Je suis retourné une seule fois à Iitate, le 23 avril pendant 3 jours en partant seul avec un petit camion bourré de choses pour des amis de villages environnants qui avaient été sinistrés par le tsunami. Je suis revenu avec une partie de nos affaires personnelles et sans espoir de retour. J’y suis allé sans radiamètre, mais j’ai appris le 1er mai l’importance des radiations mesurées par mes amis. Nous ne pouvons plus cultiver cette terre. Partir n’est pas suffisant car d’autres centrales existent. Des tremblements de terre ou d’autres accidents peuvent survenir et ruiner les efforts que l’on fait pour cultiver de manière écologique des légumes pour se nourrir de manière saine. J’espère que notre histoire fera réfléchir beaucoup de monde.

Propos recueillis par Marc Humbert et Hiroko Hamemiya



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