La barrière technologique qui empêchait la prolifération des armes nucléaires tombe progressivement. Depuis quelques années il apparaît au grand jour que le développement dun programme nucléaire civil est le meilleur moyen pour accéder à la réalisation darmes atomiques. Le Traité de Non Prolifération aux intentions initiales louables apparaît maintenant comme un leurre dangereux qui ruine son objectif même en encourageant le transfert de technologie nucléaire civile et en lui offrant un cadre juridique international. Ce fait est encore largement méconnu du grand public. Il conditionne pourtant la paix mondiale.
Lannée 2003 met particulièrement en relief limportance croissante que revêt le contrôle des activités nucléaires dans le monde. LIrak avait été à deux doigts de posséder larme atomique en 1981 quand la France lui avait livré le réacteur nucléaire civil Osirak selon un accord négocié secrètement en 1976 par Jacques Chirac, alors Premier ministre (ref.1). Cest pourquoi Israël bombarda le réacteur et le détruisit avant sa mise en service.
Mais ce nest pas tout, la guerre en Irak a presque occulté la menace de la Corée du Nord de reprendre son programme de réalisation darmes atomiques. De même, la guerre en Afghanistan a été engagée en 2002 sans quune grande attention ait été portée au fait que la déstabilisation quelle pouvait engendrer au Pakistan voisin aurait pu (et pourrait encore) amener une révolution islamique radicale dans ce pays détenteur de larme atomique. Ceci alors que lInde voisine, en guerre avec le Pakistan, détient aussi larme atomique.
Jamais la menace nucléaire na été aussi grande quactuellement. La fameuse doctrine de dissuasion, en fait léquilibre de la terreur, a plus ou moins accrédité lidée que ces armes terribles ne seraient plus employées. Une sorte de torpeur de la vigilance publique en résulte. En réalité, la lenteur de la dissémination nucléaire a été due aux barrières technologiques à franchir pour se doter de larme atomique plus quà la dissuasion elle-même. Peu à peu ces barrières tombent et le nucléaire civil y contribue de façon cruciale.
Fabriquer une bombe atomique est facile :
Pour se faire une idée de la facilité de la fabrication de la bombe atomique, il est intéressant de noter quaucun essai nucléaire, daucun pays, na raté, pas même une seule fois. La première bombe à luranium lâchée sur Hiroshima navait même pas été testée. Seule celle au plutonium utilisée à Nagasaki avait été testée à Alamagordo en juin 1945, aux Etats-Unis. Létat dIsraël possède larme atomique et est certain de son bon fonctionnement sans avoir jamais procédé à un seul essai. A titre de comparaison le développement du spatial sest révélé beaucoup plus difficile et a connu de nombreux échecs dramatiques.
La technique de base pour faire une arme atomique, disponible avec force détail sur Internet, est de rapprocher des pièces métalliques duranium ou de plutonium incapables isolément de déclencher une réaction nucléaire en chaîne. Projetées les unes vers les autres par de petits explosifs classiques, une masse critique est atteinte et la bombe explose. Le plutonium demande plus de soin pour obtenir lexplosion car il sauto-allume trop vite (et il fond sans exploser, à cause dun processus appelé fission spontanée), si on approche deux blocs de plutonium lun de lautre. On peut néanmoins en faire une bombe en le fragmentant en un plus grand nombre de petites pièces pour pouvoir malgré cela assembler la masse critique nécessaire.
Ce détail technique est très important car il a permis aux spécialistes du nucléaire militaire de prétendre pendant 30 ans que le plutonium qui est fabriqué automatiquement dans nimporte quel réacteur civil comportait une trop grande quantité de lisotope 240 Pu (à fort taux de fission spontanée) pour avoir le moindre usage militaire.
Or on sait maintenant que cest faux comme on va le voir. Le Commissariat à lEnergie Atomique a délibérément menti (ref 2 et ref 1) sur ce sujet.
Mais se procurer le matériau fissile est plus difficile :
Si un pays ne possède pas de réacteur nucléaire il ne peut réaliser une arme nucléaire quen pratiquant ce quon appelle « lenrichissement de luranium », une opération technique difficile qui permet dobtenir de luranium contenant de 3 à 95% de lisotope fissile de masse 235 (le seul utile pour les armes et les réacteurs).
Cette technique denrichissement est une vraie barrière technologique. Pour la voie la plus classique (EURODIF à Pierrelatte en France) il faut mettre luranium sous forme de gaz UF6, chimiquement agressif, et faire diffuser ce gaz un grand nombre de fois à travers des parois poreuses. Seuls quelques pays au monde maîtrisent lenrichissement de luranium. La consommation énergétique du procédé est dailleurs gigantesque : léquivalent de la production électrique de trois tranches nucléaires de Tricastin, soit 4,4 % de toute la production française pour Eurodif (ref. 3). Il faut enrichir luranium à nettement plus de 20% (80-90%) en 235U pour obtenir un matériau dintérêt militaire.
Un pays qui déclare vouloir développer un programme dénergie nucléaire civil peut en toute légalité développer la technologie denrichissement. Dès quil maîtrise le procédé, rien ne lempêche de réaliser une installation secrète pour produire de quoi faire des armes. Cest la voie suivie par lIran qui développe un programme nucléaire au grand jour. Ainsi monsieur Ali Reza Aghazadeh, ministre iranien de lénergie atomique, déclare : En tant que signataires du TNP -traité de non-prolifération-, nous attendons den tirer aussi des bénéfices ; or les Occidentaux nous ont imposé des sanctions. Pourquoi serions-nous privés de matériaux nucléaires ? (ref 4). On voit la référence au TNP qui devient largument imparable pour se procurer des matériaux fissiles ou pour justifier le développement dune usine denrichissement jugée « très sophistiquée » par le directeur général de lAIEA, Mohamed ElBaradei (ref 4).
Chacun peut juger par lui-même du sérieux des affirmations officielles des autorités iraniennes sur le but purement civil poursuivi avec le programme délectricité nucléaire en ayant en tête que lIran est un gros producteur de pétrole et na donc en rien besoin du nucléaire !
Au-delà de lenjeu de lenrichissement, lachat dun réacteur nucléaire et du combustible associé, possibilité ouverte légalement par le TNP, permet de produire du plutonium automatiquement. Le combustible irradié déchargé dun réacteur contient du plutonium en quantité très importante : environ 240 kg dans 24 tonnes de combustible. Il suffit de 6 kg de plutonium pour faire une bombe, soit le volume dune orange ! Or les Etats-Unis ont rendu publique en 1977 linformation quils avaient procédé dès 1962 à un test nucléaire dans le Névada à partir de plutonium dorigine civile provenant de réacteurs britanniques (ref 5 et ref 6). Depuis, la compréhension de ce risque sest approfondie et un scientifique comme Richard L. Garwin, membre de lacadémie des sciences américaines et favorable au nucléaire, a démontré quil fallait considérer le plutonium dorigine civile comme un danger majeur de prolifération et quil fallait le protéger (note de lauteur : de détournement) comme sil sagissait darmes nucléaires (ref 7et 8).
Le Traité de Non-Prolifération (TNP) est inefficace et dangereux :
Si le TNP a eu le mérite de permettre dinitier une démarche de limitation de la prolifération nucléaire, il savère maintenant totalement daté et incapable de remplir son objectif qui est de limiter réellement laugmentation du nombre de pays qui disposent darmes nucléaires. En particulier larticle 4 (ref 9) du traité parle du droit inaliénable de toutes les Parties au Traité de développer la recherche, la production et lutilisation de lénergie nucléaire à des fins pacifiques. Plus encore, les pays développés sur le plan nucléaire sengagent à aider au développement de lénergie nucléaire : Les Parties au Traité en mesure de le faire devront aussi coopérer en contribuant, à titre individuel ou conjointement avec dautres États ou des organisations internationales, au développement plus poussé des applications de lénergie nucléaire à des fins pacifiques, en particulier sur les territoires des États non dotés darmes nucléaires qui sont Parties au Traité, .
Or on sait maintenant de façon indubitable (ref 6, 7 et 8) quun pays arrive sans problème par la maîtrise des technologies civiles à la capacité militaire nucléaire. Un pays peut ensuite sortir du TNP dès quil dispose de larme nucléaire, quand il est trop tard pour le faire revenir en arrière. Le cas de lIran est exemplaire en ce sens et il faut reconnaître que les Etats-Unis sont les seuls à sen soucier vraiment. Le programme civil massif de la France et sa politique de prestige sur lexportation à tout prix des centrales nucléaires dans les pays en développement expliquent son absence dengagement sur le sujet de la prolifération. Si le nucléaire civil se développait à grande échelle dans le monde pour lutter contre leffet de serre, comme certains le proposent, le problème de la prolifération deviendrait un cauchemar insoluble.
Jean-Pierre DUFOUR
Physicien Nucléaire, Directeur de Recherches au CNRS
Vice-Président Vert du Conseil Régional dAquitaine - 14, rue François de Sourdis 33077 Bordeaux Cedex
Courriel : j.p.dufour@wanadoo.fr
Références :
1- Georges Amsel. Osirak, la bombe et les inspections LE MONDE | 15.10.2002 |
2- France-Inter - Emission Interception : France-Irak : mensonges atomiques 9 février 2003
3- Rapport parlementaire OECST N° 1359. Rapport sur laval du cycle nucléaire : Les coûts de production de lélectricité. Christian Bataille et Robert Galley 1999
4- « LIran na pas besoin darmes de destruction massive » LE MONDE | 12.03.2003 |
5- A.B. Lovins, Nuclear Weapons and Power-Reactor Plutonium, Nature, 1980, Vol. 283, p. 817-823
6- Additional Information Concerning Underground Nuclear Weapon Test of Reactor-Grade Plutonium, US - DOE Publication DOE Facts, August 1994, p. 186-190
7- Richard L. Garwin, The Garwin archive (https://www.fas.org/rlg/) : Reactor-Grade Plutonium Can Be Used to Make Powerful and Reliable Nuclear Weapons : Separated Plutonium in the Fuel Cycle Must Be Protected as if it Were Nuclear Weapons, August 1998.
Traduction : Le plutonium provenant de centrales nucléaires peut être utilisé pour faire des armes nucléaires puissantes et fiables : le plutonium séparé dans le cycle du combustible doit être protégé comme sil sagissait darmes nucléaires Aout 1998.
8- Page internet sur lusage militaire du plutonium : https://www.francenuc.org/fr_mat/plutonium_f.htm
9- Texte du TNP sur internet : https://www.dfait-maeci.gc.ca/nndi-agency/treaty_on_nuclear_ weapons-fr.asp
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