Le Figaro du 22 octobre 2003 - Propos recueillis par Marie-Laure Germon
Homme de télévision, écologiste engagé, Nicolas Hulot préside la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et lhomme et il est conseiller (officieux) de Jacques Chirac. Il réagit aux récentes déclarations du ministre de lIndustrie Nicole Fontaine qui sest prononcé en faveur du réacteur nucléaire de troisième génération EPR.
Le Figaro. Alors que la question du réacteur nucléaire de la troisième génération EPR occasionne un débat passionné, vous préférez suspendre votre jugement. Pourquoi ?
Nicolas HULOT. En la matière, il est vraiment urgent de ne pas se presser, non, certes, quil faille congeler la problématique dans limmobilisme, par crainte de lavenir et par méconnaissance des enjeux ! Mais ne nous y trompons pas. Faire le choix ou non de tabler sur le nucléaire nous engage sur une très longue durée et nécessite donc clairvoyance et lucidité. Je déplore quaucun débat préalable à cette décision digne de ce nom nait eu lieu au grand jour. Je voudrais pouvoir être sûr, par exemple, que nous nous donnons bien les moyens dévaluer les alternatives, une fois tous les gisements déconomie dénergie appréciés comme entre autres, les énergies renouvelables afin dêtre certains quaucune autre formule nest viable. Pour le moment, nous voilà comme sommés de choisir je caricature un peu entre la peste et le choléra.
Quels fléaux contemporains voulez-vous évoquer ?
Par peste, je veux désigner leffet de serre, risque majeur de notre société, car non seulement il savère le plus immédiat, mais ses conséquences sont aussi frappées dirréversibilité. Le choléra ? Ce serait une énergie nucléaire mal apprivoisée. Celle-ci présente lindéniable vertu démettre pas ou peu de gaz à effet de serre ; mais elle comporte aussi trop dinconnues, dont la notion de développement durable ne peut saccommoder, je pense notamment au problème des déchets à longue durée. Léguer aux générations futures des problèmes que nous créerions aujourdhui est moralement inacceptable. Par ailleurs, les pouvoirs successifs ont sacrifié une majeure partie du budget affecté à la recherche énergétique au profit du nucléaire. Du coup, les fonds ont manqué pour explorer et valider dautres options. Cest pourquoi il faut absolument que sorganise un débat, sans dogmatisme aucun, pour que les citoyens puissent aussi se faire une religion, afin de participer au choix souverainement et de prendre les inévitables risques collectivement.
Poser un vrai débat citoyen revient donc à renoncer à une posture binaire entre pro et anti nucléaire, et, en somme, à un angélisme dévastateur ?
Poser un débat, cest avant tout faire prendre conscience aux citoyens que réduire sa vision du nucléaire à une alternative définitive est aussi irresponsable que dannoncer pour demain la fin de lénergie atomique. Selon les spécialistes, la durée de vie de nos centrales actuelles peut encore être prolongée de quelques années. Donnons-nous donc deux ans pour valider les choix et sortir dun débat saturé da priori.
Pourtant, les initiatives de plusieurs scientifiques indépendants, constitués en pôles de recherche et dexpertise, allaient bien dans le sens dune clarification du débat...
Ces initiatives parallèles essentielles ont eu peu de lisibilité et ne participaient pas au débat public officiel, chacun ignorant lautre. Certes, lassociation qui sest réunie en France sous le nom de Global Chance a su proposer un débat honnête et sans concessions. Dailleurs, leur point de vue est très différent de lofficiel puisque son vice-président, Benjamin Dessus, a pu conclure que le nucléaire nest pas une fatalité, soulignant par ailleurs que penser un système totalement vertueux serait illusoire.. Et là peut-être se situe la pierre angulaire du débat : nos concitoyens doivent se faire à lidée quaucun système ne leur garantira une parfaite sécurité. Dailleurs soyons un peu provocateurs si le choix du développement du nucléaire est si vertueux, pourquoi alors développer également léolien ?
Idéalement, vous plaideriez donc plutôt pour sortir du nucléaire ?
Compte tenu de ce que je viens dénoncer et lorsque lon se réclame du développement durable, idéalement oui. Mais labsolu nest pas la règle du monde. Si une autorité indépendante et scientifiquement crédible valide la promesse de certains chercheurs qui nous garantissent de rentrer dans un cercle vertueux, en trouvant par exemple un moyen pour que les centrales convertissent leurs propres déchets en ressources nouvelles ce qui serait évidemment lidéal- ou même que ces derniers deviennent inoffensifs à une échelle de temps humaine alors le nucléaire mériterait un tout autre regard.
Les énergies renouvelables vous semblent-elles fournir une alternative possible au nucléaire ?
On est obligé dadmettre quelles ne pourraient, demain, se substituer seules entièrement au nucléaire, dautant plus, je le répète que ni leur efficacité ni leur innocuité nont pu être totalement avérées, faute de moyens et de volonté. Il faut aussi explorer dautre piste combinée, lhydrogène, la cogénération, etc. Rappelons enfin que le nucléaire représente une grande majorité de notre production délectricité mais une part bien moindre de notre production dénergie.
Sengager dans lEPR, reviendrait donc, selon vous, à faire le choix du pire des systèmes à lexception de tous les autres, de même que la démocratie...
Choisir de renoncer aux EPR, cest risquer de substituer, aux risques inhérents au nucléaire, une augmentation démission de gaz à effet de serre. Prendre parti pour lEPR, cest sassurer au préalable, que le risque inhérent au stockage et au transport de déchets à longue durée ou pas ne sera pas sous-estimé. Un préalable bien exigeant, dont la validation nous demandera du temps, de lénergie, des fonds et de la volonté.
Diriez-vous que le manque dintérêt soulevé par le problème nucléaire traduit une forme de désespérance de notre société, trop minée par ses soucis immédiats pour oser se projeter dans lavenir ?
Absolument. Jai dailleurs entrepris décrire un livre sur tous les verrous culturels nous empêchant de traduire nos engagements et nos prises de conscience dans les faits. Notre société est mortifiée par une précarité croissante qui lempêche de prendre toute la mesure des menaces qui lui sont ultérieures. On a toujours sacrifié lessentiel à lurgence, il faudra peut-être un jour se rendre compte que lurgence, cest lessentiel, pour paraphraser une formule dEdgar Morin.
Pensez-vous que la décision politique non concertée avec les citoyens soit lun des premiers verrous à forcer...
La politique nest pas fermée à double tour, pas plus que les gens ne sont emmurés dans légoïsme. Il sagit seulement de réveiller les consciences, de leur donner des raisons despérance et de fierté. Car nous ne sommes pas pires que les autres. Prenons lexemple de leffet de serre : sur ce point, lattitude des Russes et des Américains, refusant toujours de ratifier le protocole de Kyoto, condamne lavenir de la planète. Cela ne doit pas nous empêcher dêtre exemplaires ! Lengagement de Kyoto, qui ne devait être quune trop modeste étape dans le processus de réduction de ces gaz mortifères, est contredit entre autre exemple, par notre politique actuelle de développement du transport aérien, produisant à terme 50% de plus de gaz à effet de serre que la voiture ! Mais leffet de serre, comme le nucléaire, nest pas une fatalité.
Des sages pour un gouvernement fou
Débat sur l’énergie
Fin septembre 2003, le comité des sages (chargé de veiller au pluralisme dans le cadre du débat national sur lénergie organisé par le gouvernement au cours du premier semestre 2003) a présenté ses conclusions.
M. Edgar Morin (sociologue, philosophe), lun des trois sages du comité, a fourni un rapport séparé dans lequel il exprime clairement :
- quétant donné que les centrales nucléaires actuelles ne seront obsolètes quen 2020 ;
- puisque rien ne permet daffirmer que lEPR (European Pressurized Reactor), conçu dans les années 80, sera la solution pour lavenir ;
- puisque le terrorisme et les désordres climatiques ont révélé de nouveaux risques et faiblesses liés à lénergie nucléaire,
un temps de réflexion de 8 à 10 ans lui paraît nécessaire avant quune décision de construction ne soit prise.
Les deux autres rapporteurs - MM Castillon (ingénieur des mines) et Lesggy (animateur TV dE=M6) - sont moins catégoriques. Selon eux, les prévisions différentes voire discordantes, nont pas démontré lurgence de la construction de lEPR. Néanmoins, on aura besoin de toutes les sources dénergie pour lavenir et la France doit conserver son avance technologique en matière de nucléaire.
Mais les sages sont daccord pour admettre que la toute première priorité (avec recherche et développement) doit être donnée aux économies dénergie (dans lhabitat et les transports) et aux énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse) qui, à lexception des barrages, ne produisent en fait actuellement que 1% de lélectricité en France.
Pour ce qui est du débat national sur lénergie qui a été organisé par le gouvernement, le point de vue de M. Morin nous semble intéressant. Il reconnaît que :
1) les rencontres ont été confidentielles parce que les partis politiques, les médias et lopinion publique nétaient pas sensibilisés.
2) Ceux qui se sont le plus exprimés étaient surtout des routiers et des cheminots et aussi les puissants lobbies pétrolier et automobile.
3) Au début, le site internet du Débat sur lénergie faisait la part trop belle au nucléaire. (Le comité des sages a obtenu quil soit modifié, mais pour nous cétait la même bête sous le couvert dun masque plus neutre).
4) Les seuls échos dans la société (la presse, plutôt) française ont été suscités par les débats alternatifs (citoyens ?) organisés à linitiative des groupes antinucléaires et écologistes.
En fait, daprès M. Morin, il existe de nombreuses initiatives locales dans ce pays mais les blocages sont le fait des structures administratives et politiques. Et il ajoute quil faudrait à la France une première grande réforme afin de pouvoir réaliser avec succès les autres réformes .
M. Morin sinquiète aussi de ce que ce débat officiel serve à justifier un programme énergétique pour les décennies à venir alors quune stratégie plus souple permettrait de mieux faire face à limprévu.
Et il insiste sur le fait que les économies dénergie nimpliquent pas seulement un changement des comportements individuels mais aussi des changements culturels profonds, consistant par exemple à se débarrasser de notre accoutumance à lautomobile et à rendre les villes plus humaines.
Mais quen pensent les gestionnaires politiques ?
Mme Fontaine, la ministre de lIndustrie, a dit que la décision sur lEPR serait prise au plus tard au début de lannée 2004 pour pouvoir lintégrer à la loi sur lénergie en cours.
Pendant ce temps, elle a demandé aux deux tenants de lEPR, AREVA et EDF dapprofondir la réflexion sur lapport de lEPR afin de prendre une décision en ayant en main des éléments sûrs... En dautres termes, elle leur demande dêtre plus convaincants pour quelle puisse mieux justifier leur décision devant les citoyens. Cest comme si vous demandiez à Monsanto de vous démontrer lutilité des OGM.
Elle a ajouté quil paraîtrait difficile à plusieurs que la France décide de sortir du nucléaire si elle veut diviser par quatre sa production de CO2 avant 2050. Rappelons-lui donc que les plus gros producteurs de CO2 sont la circulation routière et le chauffage domestique.
Les sages nétaient-ils pas un peu naïfs ?
Il est possible quon se soit servi deux surtout pour montrer combien le gouvernement français est ouvert et à lécoute. Mais quand les vieux amis des différents lobbies ont leurs entrées aux ministères et y serrent quotidiennement des mains, que valent les conseils des sages ?
André Larivière
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