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Sortir du nucléaire n°65



Mai 2015

Filière nucléaire

Narbonne, cité nucléaire

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°65 - Mai 2015

 Pollution radioactive  Travailleurs du nucléaire


Longtemps méconnue, l’usine Areva-Comurhex de Malvési, à Narbonne, est la porte d’entrée du nucléaire français et d’un quart de l’uranium utilisé dans le monde. Depuis deux ans, les groupes et militant-e-s du Réseau font monter la pression sur l’exploitant et se mobilisent pour mettre fin au secret qui entoure le site, dénoncer et sensibiliser sur les risques que fait courir cette installation aux travailleurs et à la population et apporter un décryptage de la chaîne – complexe - de l’uranium. Le 21 février dernier, à Narbonne, rendez-vous était donné pour une journée d’information sur la Comurhex-Malvési et sur l’industrie nucléaire, de la mine jusqu’aux déchets !



Après des mois de mobilisations, des centaines d’heures passées en enquête et en vigie, des milliers de tracts distribués, deux blocages réussis, un procès gagné, une plainte contre Areva déposée, la journée d’information du 21 février au Palais du travail de Narbonne a fait le plein. Dans la salle, beaucoup de Narbonnais-es avides d’information, des intervenant-e-s de qualité - forcément toutes et tous concerné-e-s - et même un ingénieur des mines d’Areva et des travailleurs venus témoigner, réunis pour un moment d’échanges et de débats autour de l’usine, des installations nucléaires, des mines, des transports et des déchets.

L’intervention de Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire à la Criirad [1], a permis de répondre aux interrogations de la population sur l’activité de Malvési, ainsi que sur les dangers de la radioactivité et des transports de matières radioactives qui entrent et sortent de l’usine. Puis les trois tables rondes ont permis d’approfondir certains sujets et d’échanger en petits groupes (Voir encadré).

Bruno Chareyron

L’usine de Malvési contamine l’environnement

Quels sont les impacts et risques autour de Malvési ? Très insignifiants si l’on en croit Areva... au vu des analyses de la Criirad, Bruno Chareyron est bien plus circonspect. Dommage que l’exploitant n’ait pas daigné répondre à notre invitation, nous aurions eu pas mal de questions à lui poser...

Malvési, la plus grande usine de conversion de l’uranium au monde

Créée en 1958 aux portes de Narbonne, Malvési a fait partie de la société Comurhex (filiale d’Areva) jusqu’en 2014, et est aujourd’hui intégrée au sein d’Areva NC. Elle emploie environ 280 salariés permanents et 300 sous-traitants. C’est ici qu’est réalisée la première étape de conversion du minerai d’uranium à son arrivée en France. Environ 14 000 tonnes d’uranium y sont traitées chaque année et le projet d’extension Comurhex II, en cours de réalisation, entend porter ce tonnage à 21000 tonnes. Au total, Malvési traite environ un quart de l’uranium mondial [2]. On est bien loin de la petite usine locale à laquelle les exploitants successifs ont voulu faire croire.

Vue générale de l’usine de Malvési, avec le parc de stockage des fûts au premier plan.

Un risque chimique et radioactif

Le traitement de l’uranium met en œuvre divers produits toxiques dont l’ammoniac et le très dangereux acide fluorhydrique. L’usine est d’ailleurs classée "Seveso seuil haut", du fait de ce risque chimique. Si la communication bien huilée de l’exploitant a tendance à le faire oublier, elle est également et avant tout une usine atomique. Sur le site, sont réalisées de multiples manipulations et opérations de transformation de l’uranium et 20 000 tonnes de concentré d’uranium - qui contient 70 à 75% d’uranium – y sont entreposées à l’air libre dans de simples fûts métalliques. Ce concentré est radioactif et émet des radiations dont les plus puissantes sont les rayons gamma (qui traversent la paroi des fûts et parcourent jusqu’à quelques centaines de mètres) et les particules alpha.

Des taux de radiations inquiétants

Les mesures de la Criirad effectuées en 2006 et 2014 ont relevé des taux de radiations supérieurs à la normale jusqu’à 280 mètres de la clôture qui longe le dépôt de fûts. Contre la clôture, les radiations sont jusqu’à 20 fois supérieures au niveau naturel. Le Rapport environnemental 2013 d’Areva parle d’une exposition de 0,72 mSv/an en limite de site, un taux pas si éloigné de la dose maximale admissible fixée à 1 mSv/an pour l’exposition cumulée de toutes les sources de radioactivité. Et les mesures réalisées tout récemment par des membres du Réseau montrent que la situation ne s’est pas améliorée depuis.

Mesures à 1 m du sol et 0,5 m de la clôture nord du site Areva à Malvési, exprimées en nanosievert par heure (fond naturel 65 nSv/h)

Si les promeneurs sont certainement rares autour de la clôture de Malvési, une famille vivait à proximité, en 2006, avant d’être relogée, des gîtes accueillent régulièrement des vacanciers et des travailleurs longent quotidiennement le parc à fûts sans protection.

Des lagunes qui font tout sauf rêver

L’une des plus impressionnantes installations du site est la série de 12 bassins et lagunes, contenant des liquides cristallins, où sont décantées les boues issues du traitement de l’uranium, sous l’action du soleil et du vent. Les conditions climatiques de Narbonne seraient une raison du choix de ce site pour l’usine... à moins que le poids du député SFIO de l’Aude Georges Guille (membre du gouvernement à l’époque) n’ait été prépondérant.

Ci-dessus, les lagunes de décantation.

Un peu de plutonium pour vos tomates ?

La rupture, en 2004, d’une digue des bassins B1 et B2 a provoqué le déversement, dans la plaine voisine, de 30 000 m3 de boues et liquides. Officiellement présentée par le service com’ comme des "boues nitratées" pouvant être utilisées comme engrais pour les potagers, ces boues sont en réalité conta- minées. En 2006, la Criirad, à qui des riverains ont confié des prélèvements effectués clandestinement, révèle qu’elles contiennent du plutonium et divers descendants de l’uranium, issus des activités de retraitement passées du site.

Des rejets liquides et inondations en série

En fonctionnement normal, l’usine rejette des effluents liquides dans le canal du Tauran. Et il n’est pas rare que des vents importants ou de fortes pluies provoquent des inondations et débordements. Plus globalement, la nature du site, en zone humide, a de quoi inquiéter. Areva a installé, dans les bassins, un système de récupération et de retraitement, censé éviter la dispersion des liquides et boues. Mais l’étanchéité des bassins n’est pas garantie. Et quid du risque d’une nouvelle rupture de digue ?

En 2004, la digue des bassins B1 et B2 se rompt, inondant la plaine alentour de boues contaminées.

Des poussières radioactives dans le sol et l’atmosphère

Les longues cheminées, que l’on aperçoit dès que l’on approche du site, rejettent dans l’atmosphère une quantité non négligeable de poussières radioactives qui se dispersent dans l’environnement au gré des vents. La rupture des bassins B1 et B2 en 2004 a également entraîné d’importants relâchements de poussières contaminées, quand les boues ont séché. En 2008, une étude de l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) sur la végétation autour de l’usine montrait la présence de plutonium sur des cyprès jusqu’à 2 km du site sur la chaîne de l’uranium et les transports et déchets qu’elle génère ainsi que sur les travailleurs, et de se questionner sur la société nucléaire et sur les coûts humain, sanitaire, démocratique, économique que le recours à cette énergie engendre.

À voir sur le web

Découvrez en vidéo les interviews et témoignages inédits des intervenants de la journée qui ont alimenté cet article : www.sortirdunucleaire.org/tous-concernes-videos Pour tout savoir sur les risques liés aux activités de l’usine de Malvési, visionnez la conférence de Bruno Chareyron : www.sortirdunucleaire.org/conference-comurhex-chareyron

Retrouvez en ligne les comptes rendus des trois tables rondes :

www.sortirdunucleaire.org/narbonne-tables-rondes

  • "Nucléaire, travailleurs, emploi" avec l’association Santé Sous- traitance Nucléaire Chimie, d’anciens sous-traitants du nucléaire, un cheminot, une sociologue, des ingénieurs nucléaires et même un travailleur de l’usine.
  • "De la mine aux déchets en passant par les transports" avec le Réseau "Sortir du nucléaire", la Criirad et l’association Bure Zone Libre qui fait vivre la Maison de résistance à la poubelle nucléaire de Bure.
  • "La société nucléaire - Quel coût humain, sanitaire, démocratique, économique ?" avec l’association Survie, Sortir du nucléaire 34, et un ancien sous-traitant de l’usine de Malvési.

L’usine de Malvési engendre des transports radioactifs dangereux

Des arrivées et départs très réguliers

La totalité de l’uranium utilisé en France est importée de l’étranger sous forme de concentré d’uranium, le "yellow-cake". Si une partie – en provenance du Niger et du Canada – arrive dans les ports du Havre et de Fos-sur-mer, de nombreuses cargaisons, en provenance de Namibie, du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan, arrivent dans des ports allemands comme celui de Hambourg et traversent l’Allemagne et la France, au mépris du bon sens. Après déchargement à quai, les conteneurs sont chargés sur des wagons pour rejoindre Malvési par le train. D’après nos observations, ces livraisons ont lieu en général 3 à 5 fois par mois et sont très régulières, sauf quand Areva et la SNCF se croient malins de retarder les trains lorsque les antinucléaires se mobilisent [3]. L’uranium part ensuite vers le site de Pierrelatte – jusqu’à 2015 par camions, désormais principalement par le train – sous forme d’UF4 (tétrafluorure d’uranium), un dérivé fluoré très toxique qui réagit fortement au contact de l’air et qui peut générer un gaz hautement corrosif.

Pour la Criirad, les normes sont très laxistes. D’après Bruno Chareyron "une mesure réalisée près d’un camion [d’UF4] sur une aire d’autoroute a montré qu’une personne garée toute une nuit près du camion atteindrait en une nuit le tiers de la dose annuelle admissible. Un taux qui, toutefois, est autorisé par la réglementation internationale. [...] La réglementation a été faite pour que le nucléaire soit possible, pas pour protéger les gens. [...] Notre objectif à la Criirad est au contraire de mieux informer pour éviter une exposition inutile."

Philippe Cazal qui habite Narbonne s’interroge : "le transport ferroviaire, qui semble prendre le pas sur le transport par route, est-il plus sûr ? En 2001, deux wagons contenant 100 tonnes d’acide fluorhydrique se sont couchés en gare de Narbonne". Les délicates opérations de relevage ont duré un peu plus d’un mois...

Pour Dominique Malvaud, cheminot à la retraite et syndicaliste SUD-Rail, "Les transports radioactifs ne sont pas seulement dangereux en cas d’accident,mais ils sont un danger par eux-mêmes. Ils émettent des radiations. [...] Ils passent également dans des lieux qui sont dangereux. On a l’exemple du tunnel du Mont-Blanc... un incendie d’un camion ou d’une voiture dans un tunnel, c’est 3000 degrés. Imaginez un transport nucléaire, qui déraillerait sous un tunnel avec un incendie."

Les responsables de la sécurité sont défaillants.

"Dans la Drôme on a rencontré les pompiers et les préfets, on s’aperçoit qu’ils ne sont pas au courant des dangers et ne connaissent pas du tout les procédures à appliquer, pour une raison simple : ils considèrent que c’est au transporteur de s’en occuper. C’est le seul secteur où l’Autorité de Sûreté Nucléaire ne peut pas intervenir. Elle ne peut pas dire “j’interdis au train de passer par tel endroit”. Résultat : Personne aujourd’hui n’est vraiment au courant des conséquences d’un accident sur un train nucléaire, et personne n’est vraiment chargé de vérifier qu’une route ne va pas s’effondrer sous le poids d’un camion."

S’ajoute à la confusion générale, une culture du secret. "Pour les autorités, il y a un risque d’attentat, de blocage... Ce secret ne tient pas la route. Le problème c’est qu’en cachant les horaires et la dangerosité des transports, on s’interdit d’avoir des informations importantes. Sur le triage du nord de Valence, les cheminots auraient pu dire que les voies étaient en très mauvais état, et qu’il fallait éviter ce triage. Résultat : il y a eu un déraillement. " Dominique Malvaud ajoute : "les élus devraient pouvoir décider si des transports éminemment dangereux peuvent traverser leur commune et l’assumer face à leur population."

Pour aller plus loin

L’usine de Malvési contamine les travailleurs

Serge Belli a réalisé des forages à l’usine de Malvési, en 2003 et 2004, en tant que prestataire. Victime de graves négligences de l’exploitant, il contracte une leucémie mais ne parviendra pas à la faire reconnaître en maladie professionnelle. Après des années de silence, il raconte aujourd’hui son histoire et nous apporte un témoignage accablant sur la réalité des sous-traitants du nucléaire français. Voici quelques extraits de son interview vidéo à retrouver en ligne sur www.sortirdunucleaire.org/tous-concernes-videos.

Serge, pouvez-vous me raconter ce que vous avez vu et vécu à l’usine de Malvési il y a une dizaine d’années ? En 2003, un an avant la catastrophe, je faisais des forages de "recherches pollution" – entre guillemets – parce que normalement ils ne polluent pas...donc on ne peut pas parler de pollution... Il y avait déjà des suintements au pied de cette digue. Nos camions se sont enterrés dans la boue et ont été contaminés, et nous avec, puisque, forcément, on a marché dedans. Ils ont été bloqués tout le week-end pour être nettoyés, mais nous... rien du tout ! Je suis parti chez moi avec les affaires avec lesquelles j’étais venu.

Quand la digue a lâché, en 2004, on a été appelés d’urgence pour réaliser des "piézos" et voir quelle était l’étendue de la pollution. Les résultats, je ne les connais pas. Mais je connais le mien : je suis sorti avec une leucémie de là-dedans...

D’après vous, votre état de santé est donc directement lié à votre travail sur le site ? J’y suis retourné un an après. Ils m’ont refoulé parce qu’une prise de sang indiquait que mon taux de lymphocytes commençait un peu à monter et m’ont dit que si j’avais une leucémie – on ne sait jamais – je ne pourrai pas dire que ça venait de chez eux... sans savoir qu’un an avant j’étais sur le site ! Quand je leur ai répondu "si j’ai une leucémie, c’est chez vous que je l’ai attrapée", ils m’ont bloqué l’entrée. Ils ont fait venir les pompiers avec des cartes pour savoir où exactement j’avais réalisé des points de forage et m’ont dit que je ne pouvais pas avoir travaillé là ! Le forage doit être encore là, donc c’est vérifiable. Et j’ai des photos de tout cela.

Vous avez tenté de faire reconnaître votre maladie professionnelle. Quelle a été l’issue de la procédure ? J’ai fait une procédure à la sécurité sociale pour essayer d’être reconnu et obtenir quelque chose, pas forcément financier, mais au moins la possibilité de changer de travail. Ça a échoué. Ils m’ont dit qu’on ne pouvait pas faire le lien entre ma leucémie lymphoïde chronique et la radioactivité. Ça s’est arrêté là.

L’année dernière, lors d’une soirée d’information à Narbonne, vous êtes venus à notre rencontre. Pourquoi avoir décidé de sortir du silence ? Ma famille a vécu la maladie avec moi et était à mes côtés. Un jour, ma sœur m’a dit "tu sais ce qui se passe à Narbonne ?". J’ai regardé sur internet [l’annonce de la soirée d’info], puis mon amie a pris rendez-vous avec Bruno Chareyron, et j’ai atterri à la conférence un peu tout bêtement.

Quel est le sens de votre démarche de partager ainsi votre témoignage ? Je me rend compte que parmi les gens qui sont passés par l’usine, il y en a qui sont morts ou qui sont malades de la même maladie que moi et que cela s’étend sur Narbonne. Pour moi, le dossier "est classé". Je ne peux plus faire reconnaître quoi que ce soit. Mais si je peux faire quelque chose pour aider tous ces gens-là, je vais le faire. Ce serait bien de les former avant qu’ils soient malades, car après souvent c’est trop tard. Et de les informer de ce qui se passe là-bas avant qu’ils n’y entrent. [...] Pour ma part, je déconseille fortement à tous les intérimaires ou prestataires que je connais d’y travailler. Après s’ils veulent y aller, qu’ils y aillent. Comurhex, c’est la poubelle de la France. Voilà comment ils l’appellent chez Areva ! Et personne de chez eux ne veut y aller."

Article et propos recueillis par Laura Hameaux Avec l’aimable contribution de Philippe Cazal de l’association Survie qui nous a autorisé à reprendre des extraits de son article [4]


Notes

[1Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivite

[2100 % de l’uranium utilisé en France passent par Malvési et 40 % du volume traité à Malvési sont destinés à l’exportation.

[3Venu de Namibie, un chargement d’uranium est arrivé au port de Hambourg le week-end du 7 février 2015, à bord du navire Bright Horizon. À cette occasion, les militant-e-s du Réseau se sont mobilisé-e-s. Des vigies ont été organisées dans plusieurs gares, ainsi qu’un rassemblement à Narbonne pour "accueillir" comme il se devait ce convoi mortifère, une semaine avant la journée d’information du 21 février. Prévu pour le vendredi, le train a été retardé en amont et n’arrivera que le lundi 16 à 6h. Engluée dans une culture du secret et forcée de modifier ses horaires pour éviter les militants, Areva s’est pourtant vantée auprès du personnel de l’usine de nous avoir fait un joli coup !

[4Philippe Cazal, Areva Malvési (Narbonne) : que se passe-t-il à l’amont de la filière nucléaire ? https://eclairagespublics.wordpress.co m/2015/03/19/areva-malvesi-nar- bonne-que-se-passe-t-il-a-lamont-de- la-filiere-nucleaire/

Après des mois de mobilisations, des centaines d’heures passées en enquête et en vigie, des milliers de tracts distribués, deux blocages réussis, un procès gagné, une plainte contre Areva déposée, la journée d’information du 21 février au Palais du travail de Narbonne a fait le plein. Dans la salle, beaucoup de Narbonnais-es avides d’information, des intervenant-e-s de qualité - forcément toutes et tous concerné-e-s - et même un ingénieur des mines d’Areva et des travailleurs venus témoigner, réunis pour un moment d’échanges et de débats autour de l’usine, des installations nucléaires, des mines, des transports et des déchets.

L’intervention de Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire à la Criirad [1], a permis de répondre aux interrogations de la population sur l’activité de Malvési, ainsi que sur les dangers de la radioactivité et des transports de matières radioactives qui entrent et sortent de l’usine. Puis les trois tables rondes ont permis d’approfondir certains sujets et d’échanger en petits groupes (Voir encadré).

Bruno Chareyron

L’usine de Malvési contamine l’environnement

Quels sont les impacts et risques autour de Malvési ? Très insignifiants si l’on en croit Areva... au vu des analyses de la Criirad, Bruno Chareyron est bien plus circonspect. Dommage que l’exploitant n’ait pas daigné répondre à notre invitation, nous aurions eu pas mal de questions à lui poser...

Malvési, la plus grande usine de conversion de l’uranium au monde

Créée en 1958 aux portes de Narbonne, Malvési a fait partie de la société Comurhex (filiale d’Areva) jusqu’en 2014, et est aujourd’hui intégrée au sein d’Areva NC. Elle emploie environ 280 salariés permanents et 300 sous-traitants. C’est ici qu’est réalisée la première étape de conversion du minerai d’uranium à son arrivée en France. Environ 14 000 tonnes d’uranium y sont traitées chaque année et le projet d’extension Comurhex II, en cours de réalisation, entend porter ce tonnage à 21000 tonnes. Au total, Malvési traite environ un quart de l’uranium mondial [2]. On est bien loin de la petite usine locale à laquelle les exploitants successifs ont voulu faire croire.

Vue générale de l’usine de Malvési, avec le parc de stockage des fûts au premier plan.

Un risque chimique et radioactif

Le traitement de l’uranium met en œuvre divers produits toxiques dont l’ammoniac et le très dangereux acide fluorhydrique. L’usine est d’ailleurs classée "Seveso seuil haut", du fait de ce risque chimique. Si la communication bien huilée de l’exploitant a tendance à le faire oublier, elle est également et avant tout une usine atomique. Sur le site, sont réalisées de multiples manipulations et opérations de transformation de l’uranium et 20 000 tonnes de concentré d’uranium - qui contient 70 à 75% d’uranium – y sont entreposées à l’air libre dans de simples fûts métalliques. Ce concentré est radioactif et émet des radiations dont les plus puissantes sont les rayons gamma (qui traversent la paroi des fûts et parcourent jusqu’à quelques centaines de mètres) et les particules alpha.

Des taux de radiations inquiétants

Les mesures de la Criirad effectuées en 2006 et 2014 ont relevé des taux de radiations supérieurs à la normale jusqu’à 280 mètres de la clôture qui longe le dépôt de fûts. Contre la clôture, les radiations sont jusqu’à 20 fois supérieures au niveau naturel. Le Rapport environnemental 2013 d’Areva parle d’une exposition de 0,72 mSv/an en limite de site, un taux pas si éloigné de la dose maximale admissible fixée à 1 mSv/an pour l’exposition cumulée de toutes les sources de radioactivité. Et les mesures réalisées tout récemment par des membres du Réseau montrent que la situation ne s’est pas améliorée depuis.

Mesures à 1 m du sol et 0,5 m de la clôture nord du site Areva à Malvési, exprimées en nanosievert par heure (fond naturel 65 nSv/h)

Si les promeneurs sont certainement rares autour de la clôture de Malvési, une famille vivait à proximité, en 2006, avant d’être relogée, des gîtes accueillent régulièrement des vacanciers et des travailleurs longent quotidiennement le parc à fûts sans protection.

Des lagunes qui font tout sauf rêver

L’une des plus impressionnantes installations du site est la série de 12 bassins et lagunes, contenant des liquides cristallins, où sont décantées les boues issues du traitement de l’uranium, sous l’action du soleil et du vent. Les conditions climatiques de Narbonne seraient une raison du choix de ce site pour l’usine... à moins que le poids du député SFIO de l’Aude Georges Guille (membre du gouvernement à l’époque) n’ait été prépondérant.

Ci-dessus, les lagunes de décantation.

Un peu de plutonium pour vos tomates ?

La rupture, en 2004, d’une digue des bassins B1 et B2 a provoqué le déversement, dans la plaine voisine, de 30 000 m3 de boues et liquides. Officiellement présentée par le service com’ comme des "boues nitratées" pouvant être utilisées comme engrais pour les potagers, ces boues sont en réalité conta- minées. En 2006, la Criirad, à qui des riverains ont confié des prélèvements effectués clandestinement, révèle qu’elles contiennent du plutonium et divers descendants de l’uranium, issus des activités de retraitement passées du site.

Des rejets liquides et inondations en série

En fonctionnement normal, l’usine rejette des effluents liquides dans le canal du Tauran. Et il n’est pas rare que des vents importants ou de fortes pluies provoquent des inondations et débordements. Plus globalement, la nature du site, en zone humide, a de quoi inquiéter. Areva a installé, dans les bassins, un système de récupération et de retraitement, censé éviter la dispersion des liquides et boues. Mais l’étanchéité des bassins n’est pas garantie. Et quid du risque d’une nouvelle rupture de digue ?

En 2004, la digue des bassins B1 et B2 se rompt, inondant la plaine alentour de boues contaminées.

Des poussières radioactives dans le sol et l’atmosphère

Les longues cheminées, que l’on aperçoit dès que l’on approche du site, rejettent dans l’atmosphère une quantité non négligeable de poussières radioactives qui se dispersent dans l’environnement au gré des vents. La rupture des bassins B1 et B2 en 2004 a également entraîné d’importants relâchements de poussières contaminées, quand les boues ont séché. En 2008, une étude de l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) sur la végétation autour de l’usine montrait la présence de plutonium sur des cyprès jusqu’à 2 km du site sur la chaîne de l’uranium et les transports et déchets qu’elle génère ainsi que sur les travailleurs, et de se questionner sur la société nucléaire et sur les coûts humain, sanitaire, démocratique, économique que le recours à cette énergie engendre.

À voir sur le web

Découvrez en vidéo les interviews et témoignages inédits des intervenants de la journée qui ont alimenté cet article : www.sortirdunucleaire.org/tous-concernes-videos Pour tout savoir sur les risques liés aux activités de l’usine de Malvési, visionnez la conférence de Bruno Chareyron : www.sortirdunucleaire.org/conference-comurhex-chareyron

Retrouvez en ligne les comptes rendus des trois tables rondes :

www.sortirdunucleaire.org/narbonne-tables-rondes

  • "Nucléaire, travailleurs, emploi" avec l’association Santé Sous- traitance Nucléaire Chimie, d’anciens sous-traitants du nucléaire, un cheminot, une sociologue, des ingénieurs nucléaires et même un travailleur de l’usine.
  • "De la mine aux déchets en passant par les transports" avec le Réseau "Sortir du nucléaire", la Criirad et l’association Bure Zone Libre qui fait vivre la Maison de résistance à la poubelle nucléaire de Bure.
  • "La société nucléaire - Quel coût humain, sanitaire, démocratique, économique ?" avec l’association Survie, Sortir du nucléaire 34, et un ancien sous-traitant de l’usine de Malvési.

L’usine de Malvési engendre des transports radioactifs dangereux

Des arrivées et départs très réguliers

La totalité de l’uranium utilisé en France est importée de l’étranger sous forme de concentré d’uranium, le "yellow-cake". Si une partie – en provenance du Niger et du Canada – arrive dans les ports du Havre et de Fos-sur-mer, de nombreuses cargaisons, en provenance de Namibie, du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan, arrivent dans des ports allemands comme celui de Hambourg et traversent l’Allemagne et la France, au mépris du bon sens. Après déchargement à quai, les conteneurs sont chargés sur des wagons pour rejoindre Malvési par le train. D’après nos observations, ces livraisons ont lieu en général 3 à 5 fois par mois et sont très régulières, sauf quand Areva et la SNCF se croient malins de retarder les trains lorsque les antinucléaires se mobilisent [3]. L’uranium part ensuite vers le site de Pierrelatte – jusqu’à 2015 par camions, désormais principalement par le train – sous forme d’UF4 (tétrafluorure d’uranium), un dérivé fluoré très toxique qui réagit fortement au contact de l’air et qui peut générer un gaz hautement corrosif.

Pour la Criirad, les normes sont très laxistes. D’après Bruno Chareyron "une mesure réalisée près d’un camion [d’UF4] sur une aire d’autoroute a montré qu’une personne garée toute une nuit près du camion atteindrait en une nuit le tiers de la dose annuelle admissible. Un taux qui, toutefois, est autorisé par la réglementation internationale. [...] La réglementation a été faite pour que le nucléaire soit possible, pas pour protéger les gens. [...] Notre objectif à la Criirad est au contraire de mieux informer pour éviter une exposition inutile."

Philippe Cazal qui habite Narbonne s’interroge : "le transport ferroviaire, qui semble prendre le pas sur le transport par route, est-il plus sûr ? En 2001, deux wagons contenant 100 tonnes d’acide fluorhydrique se sont couchés en gare de Narbonne". Les délicates opérations de relevage ont duré un peu plus d’un mois...

Pour Dominique Malvaud, cheminot à la retraite et syndicaliste SUD-Rail, "Les transports radioactifs ne sont pas seulement dangereux en cas d’accident,mais ils sont un danger par eux-mêmes. Ils émettent des radiations. [...] Ils passent également dans des lieux qui sont dangereux. On a l’exemple du tunnel du Mont-Blanc... un incendie d’un camion ou d’une voiture dans un tunnel, c’est 3000 degrés. Imaginez un transport nucléaire, qui déraillerait sous un tunnel avec un incendie."

Les responsables de la sécurité sont défaillants.

"Dans la Drôme on a rencontré les pompiers et les préfets, on s’aperçoit qu’ils ne sont pas au courant des dangers et ne connaissent pas du tout les procédures à appliquer, pour une raison simple : ils considèrent que c’est au transporteur de s’en occuper. C’est le seul secteur où l’Autorité de Sûreté Nucléaire ne peut pas intervenir. Elle ne peut pas dire “j’interdis au train de passer par tel endroit”. Résultat : Personne aujourd’hui n’est vraiment au courant des conséquences d’un accident sur un train nucléaire, et personne n’est vraiment chargé de vérifier qu’une route ne va pas s’effondrer sous le poids d’un camion."

S’ajoute à la confusion générale, une culture du secret. "Pour les autorités, il y a un risque d’attentat, de blocage... Ce secret ne tient pas la route. Le problème c’est qu’en cachant les horaires et la dangerosité des transports, on s’interdit d’avoir des informations importantes. Sur le triage du nord de Valence, les cheminots auraient pu dire que les voies étaient en très mauvais état, et qu’il fallait éviter ce triage. Résultat : il y a eu un déraillement. " Dominique Malvaud ajoute : "les élus devraient pouvoir décider si des transports éminemment dangereux peuvent traverser leur commune et l’assumer face à leur population."

Pour aller plus loin

L’usine de Malvési contamine les travailleurs

Serge Belli a réalisé des forages à l’usine de Malvési, en 2003 et 2004, en tant que prestataire. Victime de graves négligences de l’exploitant, il contracte une leucémie mais ne parviendra pas à la faire reconnaître en maladie professionnelle. Après des années de silence, il raconte aujourd’hui son histoire et nous apporte un témoignage accablant sur la réalité des sous-traitants du nucléaire français. Voici quelques extraits de son interview vidéo à retrouver en ligne sur www.sortirdunucleaire.org/tous-concernes-videos.

Serge, pouvez-vous me raconter ce que vous avez vu et vécu à l’usine de Malvési il y a une dizaine d’années ? En 2003, un an avant la catastrophe, je faisais des forages de "recherches pollution" – entre guillemets – parce que normalement ils ne polluent pas...donc on ne peut pas parler de pollution... Il y avait déjà des suintements au pied de cette digue. Nos camions se sont enterrés dans la boue et ont été contaminés, et nous avec, puisque, forcément, on a marché dedans. Ils ont été bloqués tout le week-end pour être nettoyés, mais nous... rien du tout ! Je suis parti chez moi avec les affaires avec lesquelles j’étais venu.

Quand la digue a lâché, en 2004, on a été appelés d’urgence pour réaliser des "piézos" et voir quelle était l’étendue de la pollution. Les résultats, je ne les connais pas. Mais je connais le mien : je suis sorti avec une leucémie de là-dedans...

D’après vous, votre état de santé est donc directement lié à votre travail sur le site ? J’y suis retourné un an après. Ils m’ont refoulé parce qu’une prise de sang indiquait que mon taux de lymphocytes commençait un peu à monter et m’ont dit que si j’avais une leucémie – on ne sait jamais – je ne pourrai pas dire que ça venait de chez eux... sans savoir qu’un an avant j’étais sur le site ! Quand je leur ai répondu "si j’ai une leucémie, c’est chez vous que je l’ai attrapée", ils m’ont bloqué l’entrée. Ils ont fait venir les pompiers avec des cartes pour savoir où exactement j’avais réalisé des points de forage et m’ont dit que je ne pouvais pas avoir travaillé là ! Le forage doit être encore là, donc c’est vérifiable. Et j’ai des photos de tout cela.

Vous avez tenté de faire reconnaître votre maladie professionnelle. Quelle a été l’issue de la procédure ? J’ai fait une procédure à la sécurité sociale pour essayer d’être reconnu et obtenir quelque chose, pas forcément financier, mais au moins la possibilité de changer de travail. Ça a échoué. Ils m’ont dit qu’on ne pouvait pas faire le lien entre ma leucémie lymphoïde chronique et la radioactivité. Ça s’est arrêté là.

L’année dernière, lors d’une soirée d’information à Narbonne, vous êtes venus à notre rencontre. Pourquoi avoir décidé de sortir du silence ? Ma famille a vécu la maladie avec moi et était à mes côtés. Un jour, ma sœur m’a dit "tu sais ce qui se passe à Narbonne ?". J’ai regardé sur internet [l’annonce de la soirée d’info], puis mon amie a pris rendez-vous avec Bruno Chareyron, et j’ai atterri à la conférence un peu tout bêtement.

Quel est le sens de votre démarche de partager ainsi votre témoignage ? Je me rend compte que parmi les gens qui sont passés par l’usine, il y en a qui sont morts ou qui sont malades de la même maladie que moi et que cela s’étend sur Narbonne. Pour moi, le dossier "est classé". Je ne peux plus faire reconnaître quoi que ce soit. Mais si je peux faire quelque chose pour aider tous ces gens-là, je vais le faire. Ce serait bien de les former avant qu’ils soient malades, car après souvent c’est trop tard. Et de les informer de ce qui se passe là-bas avant qu’ils n’y entrent. [...] Pour ma part, je déconseille fortement à tous les intérimaires ou prestataires que je connais d’y travailler. Après s’ils veulent y aller, qu’ils y aillent. Comurhex, c’est la poubelle de la France. Voilà comment ils l’appellent chez Areva ! Et personne de chez eux ne veut y aller."

Article et propos recueillis par Laura Hameaux Avec l’aimable contribution de Philippe Cazal de l’association Survie qui nous a autorisé à reprendre des extraits de son article [4]



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