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Sortir du nucléaire n°72



Février 2017

Les pro-nucléaires à la manœuvre…

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°72 - Février 2017



Depuis plusieurs mois nous assistons en France à un véritable regain de la propagande en faveur de l’arsenal atomique alors que l’Assemblée générale de l’ONU vient d’engager l’ouverture de négociations pour un traité d’interdiction des armes nucléaires. Y aurait-il péril en la demeure ? Revue de détail.



Toutes ces dernières années, la stratégie des pro-nucléaires consistait surtout à "diluer" l’impact de l’arsenal nucléaire au sein des armes conventionnelles afin d’éviter qu’il se retrouve en première ligne. Mais le surengagement des militaires dans plusieurs "opérations extérieures" en Afrique et au Proche-Orient, conduit l’armée aux limites de ses possibilités au niveau du matériel. Ce qui pose au sein même des milieux militaires la question de la répartition des investissements entre un conventionnel "utile" directement et un nucléaire en quelque sorte "inutile". Certains allant même jusqu’à demander la réduction de la part du nucléaire, comme par exemple la suppression de la composante aéroportée pour ne garder que les missiles M51 emportés par les sous-marins… Une posture inacceptable, on s’en doute, pour les pro-nucléaires, craignant d’entrer dans une spirale débouchant de fait sur un désarmement.

Une opacité organisée…

Or le risque est là, bien réel. Car, selon ses promoteurs, l’arsenal arrive à une période critique où pour maintenir les équipes, le savoir-faire et la primauté technologique, il serait indispensable de mettre en chantier les programmes de renouvellement pour construire des sous-marins de troisième génération, un missile emporté de nouvelle génération lui aussi, sans oublier de concevoir un nouvel avion de combat encore plus performant que le Rafale ! Ce qui représente un coût important en ces périodes de contraintes budgétaires. Le député républicain Jacques Gauthier avait lancé le chiffre de 6 milliards d’euros par an à l’horizon 2020 — au lieu des 3,87 milliards en 2017 —, lors d’un colloque sur la dissuasion nucléaire organisé par la FRS (Fondation pour la recherche stratégique) en juin 2015.

Un montant repris depuis en boucle et présenté comme une évidence… Les rares interpellations sont vite balayées sous prétexte que les opposants appréhendent ce débat de "manière philosophique" ou "morale", alors qu’eux le font, de "manière réaliste" et "responsable" ! "Sur ce sujet, monsieur Candelier, il vous manque certaines informations", affirme même sans sourciller, Jean-Yves Le Drian à propos d’un amendement déposé par le député à l’occasion du vote en séance plénière du budget de la défense à l’Assemblée nationale le 10 novembre dernier. Mais alors, comment les parlementaires peuvent-ils assurer le contrôle de l’activité du gouvernement en la matière ?

L’Assemblée nationale en mission promotionnelle

Ceci dit, quand la Commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale se penche sur le sujet, son souci premier est de s’assurer que la France va conserver les compétences technologiques et industrielles nécessaires durant les prochaines décennies. Ainsi en mars 2016, elle a mis en place une "Mission d’information sur les enjeux industriels et technologiques du renouvellement des deux composantes de la dissuasion". Rapporteurs : pas de jaloux, un socialiste et un républicain. Cette mission, qui a rendu son rapport le 14 décembre dernier, a procédé comme il se doit à différentes auditions. Problèmes : seuls les industriels concernés — Thales, Safran, Airbus, Areva TA, DCNS, MBDA… —, les chefs d’état-major militaire, un membre de l’Ambassade du Royaume-Uni et deux chercheurs de la FRS ont été invités à plancher. Les experts indépendants ou l’association de scientifiques Pugwash France qui avaient demandé à être auditionnés, ont été retoqués, car "cela aurait été hors sujet de discuter du bien fondé de la dissuasion", selon l’explication fournie à l’un d’entre eux.

Questionner l’impact industriel et financier, les coûts environnementaux et sociaux, l’utilité d’une telle arme de destruction massive, les enjeux de la prolifération, les risques d’une utilisation (accidentelle ou volontaire), etc., étaient hors programme pour les rapporteurs de la Mission. Pugwash aurait souhaité aussi intervenir sur les avancées souhaitables pour contrôler la prolifération, sur le problème du démantèlement des armes nucléaires… Mais, pour les rapporteurs, les inquiétudes se situaient principalement au niveau des risques d’approvisionnement en matériaux et en composants électroniques, du maintien du tissu industriel sous contrôle national et du savoir-faire spécifique face aux difficultés de recrutement dans certaines spécialités.

Recrutement auprès de la jeunesse…

Pour attiser l’intérêt des étudiants et jeunes professionnels sur les questions nucléaires militaires, le gouvernement, avec le soutien de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et de l’Institut français des relations internationales (Ifri), a mis en place en septembre 2015, le "Réseau Nucléaire et Stratégie – Nouvelle Génération (RNS-NG)". Cours, visites de sites nucléaires, "université d’été", participation à des réunions internationales de haut niveau, tous les moyens sont bons pour tenter de séduire la jeunesse… Une première session d’une vingtaine d’auditeurs sélectionnés sur dossier a déjà eu lieu l’an dernier. Une seconde "session" vient de démarrer (octobre 2016-août 2017).

Un débat médiatique biaisé

Le Président Hollande a reconnu que "des voix s’élèvent régulièrement pour s’interroger sur le maintien des deux composantes […] Ces débats sont légitimes dans une société démocratique et je ne veux pas les écarter de la main". Pour autant le débat est largement faussé. Tous les médias et leurs journalistes ne sont pas logés à la même enseigne par le ministère de la Défense, ce qui n’est pas sans conséquences…

Cela a été le cas, par exemple, pour Nathalie Guibert, la journaliste "défense" du quotidien Le Monde. Elle verra sa demande de séjourner le temps d’une mission dans un sous-marin nucléaire, acceptée. Certes, pas sur un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE), mais seulement dans un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA). Une première pour une femme de passer un mois dans un tel engin au milieu de 75 hommes. Au retour, une série de cinq articles à raison d’une page entière par jour dans le quotidien et un livre pour vanter les mérites du nucléaire, duquel est absent toute interrogation sur l’ambiance nucléaire dans laquelle ils vivent, les risques que cela crée. Rien non plus, ou si peu, sur les missions dont ils ont la charge, notamment d’assurer la protection des SNLE leur ouvrant la route4…

De même la diffusion sur la 5 en mars dernier d’un documentaire et la publication début mai du livre, Le Président et la bombe, par le journaliste Jean Guisnel et le politologue Bruno Tertrais, s’apparentait plus à une opération de propagande qu’à un véritable travail d’enquête. Avec au final une seule préoccupation : comment justifier auprès de l’opinion publique l’augmentation que le renouvellement de l’arsenal nucléaire va entraîner ?

Patrice Bouveret

Toutes ces dernières années, la stratégie des pro-nucléaires consistait surtout à "diluer" l’impact de l’arsenal nucléaire au sein des armes conventionnelles afin d’éviter qu’il se retrouve en première ligne. Mais le surengagement des militaires dans plusieurs "opérations extérieures" en Afrique et au Proche-Orient, conduit l’armée aux limites de ses possibilités au niveau du matériel. Ce qui pose au sein même des milieux militaires la question de la répartition des investissements entre un conventionnel "utile" directement et un nucléaire en quelque sorte "inutile". Certains allant même jusqu’à demander la réduction de la part du nucléaire, comme par exemple la suppression de la composante aéroportée pour ne garder que les missiles M51 emportés par les sous-marins… Une posture inacceptable, on s’en doute, pour les pro-nucléaires, craignant d’entrer dans une spirale débouchant de fait sur un désarmement.

Une opacité organisée…

Or le risque est là, bien réel. Car, selon ses promoteurs, l’arsenal arrive à une période critique où pour maintenir les équipes, le savoir-faire et la primauté technologique, il serait indispensable de mettre en chantier les programmes de renouvellement pour construire des sous-marins de troisième génération, un missile emporté de nouvelle génération lui aussi, sans oublier de concevoir un nouvel avion de combat encore plus performant que le Rafale ! Ce qui représente un coût important en ces périodes de contraintes budgétaires. Le député républicain Jacques Gauthier avait lancé le chiffre de 6 milliards d’euros par an à l’horizon 2020 — au lieu des 3,87 milliards en 2017 —, lors d’un colloque sur la dissuasion nucléaire organisé par la FRS (Fondation pour la recherche stratégique) en juin 2015.

Un montant repris depuis en boucle et présenté comme une évidence… Les rares interpellations sont vite balayées sous prétexte que les opposants appréhendent ce débat de "manière philosophique" ou "morale", alors qu’eux le font, de "manière réaliste" et "responsable" ! "Sur ce sujet, monsieur Candelier, il vous manque certaines informations", affirme même sans sourciller, Jean-Yves Le Drian à propos d’un amendement déposé par le député à l’occasion du vote en séance plénière du budget de la défense à l’Assemblée nationale le 10 novembre dernier. Mais alors, comment les parlementaires peuvent-ils assurer le contrôle de l’activité du gouvernement en la matière ?

L’Assemblée nationale en mission promotionnelle

Ceci dit, quand la Commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale se penche sur le sujet, son souci premier est de s’assurer que la France va conserver les compétences technologiques et industrielles nécessaires durant les prochaines décennies. Ainsi en mars 2016, elle a mis en place une "Mission d’information sur les enjeux industriels et technologiques du renouvellement des deux composantes de la dissuasion". Rapporteurs : pas de jaloux, un socialiste et un républicain. Cette mission, qui a rendu son rapport le 14 décembre dernier, a procédé comme il se doit à différentes auditions. Problèmes : seuls les industriels concernés — Thales, Safran, Airbus, Areva TA, DCNS, MBDA… —, les chefs d’état-major militaire, un membre de l’Ambassade du Royaume-Uni et deux chercheurs de la FRS ont été invités à plancher. Les experts indépendants ou l’association de scientifiques Pugwash France qui avaient demandé à être auditionnés, ont été retoqués, car "cela aurait été hors sujet de discuter du bien fondé de la dissuasion", selon l’explication fournie à l’un d’entre eux.

Questionner l’impact industriel et financier, les coûts environnementaux et sociaux, l’utilité d’une telle arme de destruction massive, les enjeux de la prolifération, les risques d’une utilisation (accidentelle ou volontaire), etc., étaient hors programme pour les rapporteurs de la Mission. Pugwash aurait souhaité aussi intervenir sur les avancées souhaitables pour contrôler la prolifération, sur le problème du démantèlement des armes nucléaires… Mais, pour les rapporteurs, les inquiétudes se situaient principalement au niveau des risques d’approvisionnement en matériaux et en composants électroniques, du maintien du tissu industriel sous contrôle national et du savoir-faire spécifique face aux difficultés de recrutement dans certaines spécialités.

Recrutement auprès de la jeunesse…

Pour attiser l’intérêt des étudiants et jeunes professionnels sur les questions nucléaires militaires, le gouvernement, avec le soutien de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et de l’Institut français des relations internationales (Ifri), a mis en place en septembre 2015, le "Réseau Nucléaire et Stratégie – Nouvelle Génération (RNS-NG)". Cours, visites de sites nucléaires, "université d’été", participation à des réunions internationales de haut niveau, tous les moyens sont bons pour tenter de séduire la jeunesse… Une première session d’une vingtaine d’auditeurs sélectionnés sur dossier a déjà eu lieu l’an dernier. Une seconde "session" vient de démarrer (octobre 2016-août 2017).

Un débat médiatique biaisé

Le Président Hollande a reconnu que "des voix s’élèvent régulièrement pour s’interroger sur le maintien des deux composantes […] Ces débats sont légitimes dans une société démocratique et je ne veux pas les écarter de la main". Pour autant le débat est largement faussé. Tous les médias et leurs journalistes ne sont pas logés à la même enseigne par le ministère de la Défense, ce qui n’est pas sans conséquences…

Cela a été le cas, par exemple, pour Nathalie Guibert, la journaliste "défense" du quotidien Le Monde. Elle verra sa demande de séjourner le temps d’une mission dans un sous-marin nucléaire, acceptée. Certes, pas sur un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE), mais seulement dans un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA). Une première pour une femme de passer un mois dans un tel engin au milieu de 75 hommes. Au retour, une série de cinq articles à raison d’une page entière par jour dans le quotidien et un livre pour vanter les mérites du nucléaire, duquel est absent toute interrogation sur l’ambiance nucléaire dans laquelle ils vivent, les risques que cela crée. Rien non plus, ou si peu, sur les missions dont ils ont la charge, notamment d’assurer la protection des SNLE leur ouvrant la route4…

De même la diffusion sur la 5 en mars dernier d’un documentaire et la publication début mai du livre, Le Président et la bombe, par le journaliste Jean Guisnel et le politologue Bruno Tertrais, s’apparentait plus à une opération de propagande qu’à un véritable travail d’enquête. Avec au final une seule préoccupation : comment justifier auprès de l’opinion publique l’augmentation que le renouvellement de l’arsenal nucléaire va entraîner ?

Patrice Bouveret



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