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Sortir du nucléaire n°41



Février 2009

Contamination

Les oubliés de l’atome soviétique

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°41 - Février 2009

 Pollution radioactive  Nucléaire militaire
Article publié le : 1er février 2009


Pour certains, le nom de Semipalatinsk n’évoque rien. Pour d’autres, il incarne les ravages de la pollution atomique. Pour ses 400 000 habitants, cette ville et ses alentours sont un enfer duquel il n’y a pas de porte de sortie.



La ville de Semipalatinsk a été fondée en 1718 par les Cosaques de l’armée russe, comme fort avancé sur la rivière Irtych, près d’un monastère bouddhiste en ruine. C’est dire que l’Orient et l’Occident s’y rencontrent depuis des siècles. Les sept bâtiments qui composaient le monastère ont donné son nom à la ville : sem veut dire “sept” en russe.
Sous l’empire russe, puis à l’ère soviétique, Semipalatinsk s’est développée grâce à sa position-clé sur l’Irtych et son statut de base avancée de la grande puissance régionale. C’est à Semipalatinsk que l’on allait pour vendre, acheter, étudier, se soigner. La ville devint la plateforme commerçante pour les peuples nomades d’Asie centrale.

Un baptême du feu

Lors de l’implosion de l’Union soviétique en 1991, la région fut attribuée au Kazakhstan. Trois ans plus tard en 1994, Semipalatinsk change de nom et devient Semeï.
De Semipalatinsk à Semeï, il y plus qu’un redécoupage des frontières et un changement de nom. Il y a un baptême du feu. L’atome a laissé sa marque dans la ville et la région comme une morsure lente et mortelle. Semipalatinsk fut en effet le premier et l’un des principaux sites atomiques militaires soviétiques, choisi en raison de son éloignement et de la faible densité de sa population. Il n’est pas sûr que ces caractéristiques aient été vues comme permettant de minimiser le risque sanitaire des essais nucléaires ; elles assuraient en revanche un plus grand secret aux travaux et essais menés ici.
A l’époque communiste, les expérimentations atomiques avaient lieu à 150 kilomètres à l’ouest de Semipalatinsk dans un polygone nucléaire d’une superficie de 18 000 km2 qui était une région interdite. Impossible aux Soviétiques de s’y rendre sans permis et impossible aux étrangers d’en approcher même. Dans ce lieu étaient développées et testées les armes nucléaires, si importantes durant la guerre froide pour maintenir l’équilibre dissuasif de la terreur entre Etats-Unis et Union Soviétique. C’est ici que l’URSS réalisa le 29 août 1949 son premier essai nucléaire militaire avec la RDS-1, une bombe A d’une puissance de 22 kilotonnes assemblée grâce aux informations fournies par le réseau d’espions soviétiques en Occident.

Un équilibre imparfait

Il faudra cependant attendre la fin des années 1960 pour que l’équilibre de la terreur devienne réalité avec l’adoption par les Soviétiques de lanceurs rapides. Jusque là, les Américains avaient l’avantage de la vitesse de leurs bombardiers, capables de frapper l’URSS avant que celle-ci ne soit en mesure de terminer la mise en route de ses fusées à tête nucléaires.
De 1949 à 1989, 468 explosions nucléaires de bombes A (à fission) et à hydrogène H (à fusion) eurent lieu dans la zone d’essais de Semipalatinsk, dont 125 à l’air libre. La puissance totale des charges atomiques testées de 1943 à 1963 sur le polygone dépasse de 2500 fois celle de la bombe d’Hiroshima. Le polygone atomique de Semipalatinsk est fermé depuis 1991 sur décision du gouvernement de la République du Kazakhstan.

Un héritage empoisonné

Semeï a gardé les infrastructures scientifiques et technologiques liées à son statut de ville laboratoire. Maigre compensation : la ville, sa banlieue ainsi que la région environnante enregistrent des taux de radioactivité extrêmement élevés. La population est malade, le nombre de cancers et de leucémies chez les adultes et les enfants est en constante augmentation.
Les mutations génétiques frappent les nouvelles générations, les fragilisent, les font souffrir dans leur corps et dans leur âme. La région a un taux de suicide très élevé par rapport au reste du pays.
Les nombreuses et effrayantes malformations à la naissance poussent les familles à abandonner leurs enfants aux portes des orphelinats.
L’éloignement et l’isolement de Dolon, Sarzhal, Znamenka et de dizaines d’autres villages de la steppe kazakhe disséminés autour de Semipalatinsk ne les ont pas protégés de la contamination radioactive. A Dolon, Ludmila Shakhvorostova, 77 ans, se tient sur le pas de la porte de sa maisonnette. Elle est veuve et malgré son âge, elle s’occupe encore de ses deux fils, Alexander et Anatoliy Shakhvorostov, 50 et 52 ans respectivement. Tous deux sont handicapés mentaux et ne peuvent vivre seuls. La famille vit d’une maigre pension de retraitée ; se nourrit des légumes du jardin, d’œufs et parfois d’une poule, sans autre assistance financière, ni sanitaire.
Ludmila Shakhvorostova se souvient encore des explosions, de la terre qui tremble, et des champignons atomiques qu’elle et son mari ont regardés alors qu’elle était enceinte. N’ayant reçu aucune information des autorités et sans aucune protection, la population de Dolon ne connaissait pas l’impact sur la santé et l’environnement des retombées chargées de radionucléides fatals.
Près de soixante ans ont passé, les oubliés de l’atome soviétique sont aujourd’hui légion. Ils sont les victimes innocentes d’un système qui créa des armes d’extermination de masse mais oublia complètement le peuple et son environnement avec pour seul but la maîtrise de la puissance nucléaire et les jeux de pouvoir entre les deux superpuissances de la guerre froide, l’URSS et les Etats-Unis.

Didier Ruef

Journaliste et photographe
didier.ruef@ticino.com

La ville de Semipalatinsk a été fondée en 1718 par les Cosaques de l’armée russe, comme fort avancé sur la rivière Irtych, près d’un monastère bouddhiste en ruine. C’est dire que l’Orient et l’Occident s’y rencontrent depuis des siècles. Les sept bâtiments qui composaient le monastère ont donné son nom à la ville : sem veut dire “sept” en russe.
Sous l’empire russe, puis à l’ère soviétique, Semipalatinsk s’est développée grâce à sa position-clé sur l’Irtych et son statut de base avancée de la grande puissance régionale. C’est à Semipalatinsk que l’on allait pour vendre, acheter, étudier, se soigner. La ville devint la plateforme commerçante pour les peuples nomades d’Asie centrale.

Un baptême du feu

Lors de l’implosion de l’Union soviétique en 1991, la région fut attribuée au Kazakhstan. Trois ans plus tard en 1994, Semipalatinsk change de nom et devient Semeï.
De Semipalatinsk à Semeï, il y plus qu’un redécoupage des frontières et un changement de nom. Il y a un baptême du feu. L’atome a laissé sa marque dans la ville et la région comme une morsure lente et mortelle. Semipalatinsk fut en effet le premier et l’un des principaux sites atomiques militaires soviétiques, choisi en raison de son éloignement et de la faible densité de sa population. Il n’est pas sûr que ces caractéristiques aient été vues comme permettant de minimiser le risque sanitaire des essais nucléaires ; elles assuraient en revanche un plus grand secret aux travaux et essais menés ici.
A l’époque communiste, les expérimentations atomiques avaient lieu à 150 kilomètres à l’ouest de Semipalatinsk dans un polygone nucléaire d’une superficie de 18 000 km2 qui était une région interdite. Impossible aux Soviétiques de s’y rendre sans permis et impossible aux étrangers d’en approcher même. Dans ce lieu étaient développées et testées les armes nucléaires, si importantes durant la guerre froide pour maintenir l’équilibre dissuasif de la terreur entre Etats-Unis et Union Soviétique. C’est ici que l’URSS réalisa le 29 août 1949 son premier essai nucléaire militaire avec la RDS-1, une bombe A d’une puissance de 22 kilotonnes assemblée grâce aux informations fournies par le réseau d’espions soviétiques en Occident.

Un équilibre imparfait

Il faudra cependant attendre la fin des années 1960 pour que l’équilibre de la terreur devienne réalité avec l’adoption par les Soviétiques de lanceurs rapides. Jusque là, les Américains avaient l’avantage de la vitesse de leurs bombardiers, capables de frapper l’URSS avant que celle-ci ne soit en mesure de terminer la mise en route de ses fusées à tête nucléaires.
De 1949 à 1989, 468 explosions nucléaires de bombes A (à fission) et à hydrogène H (à fusion) eurent lieu dans la zone d’essais de Semipalatinsk, dont 125 à l’air libre. La puissance totale des charges atomiques testées de 1943 à 1963 sur le polygone dépasse de 2500 fois celle de la bombe d’Hiroshima. Le polygone atomique de Semipalatinsk est fermé depuis 1991 sur décision du gouvernement de la République du Kazakhstan.

Un héritage empoisonné

Semeï a gardé les infrastructures scientifiques et technologiques liées à son statut de ville laboratoire. Maigre compensation : la ville, sa banlieue ainsi que la région environnante enregistrent des taux de radioactivité extrêmement élevés. La population est malade, le nombre de cancers et de leucémies chez les adultes et les enfants est en constante augmentation.
Les mutations génétiques frappent les nouvelles générations, les fragilisent, les font souffrir dans leur corps et dans leur âme. La région a un taux de suicide très élevé par rapport au reste du pays.
Les nombreuses et effrayantes malformations à la naissance poussent les familles à abandonner leurs enfants aux portes des orphelinats.
L’éloignement et l’isolement de Dolon, Sarzhal, Znamenka et de dizaines d’autres villages de la steppe kazakhe disséminés autour de Semipalatinsk ne les ont pas protégés de la contamination radioactive. A Dolon, Ludmila Shakhvorostova, 77 ans, se tient sur le pas de la porte de sa maisonnette. Elle est veuve et malgré son âge, elle s’occupe encore de ses deux fils, Alexander et Anatoliy Shakhvorostov, 50 et 52 ans respectivement. Tous deux sont handicapés mentaux et ne peuvent vivre seuls. La famille vit d’une maigre pension de retraitée ; se nourrit des légumes du jardin, d’œufs et parfois d’une poule, sans autre assistance financière, ni sanitaire.
Ludmila Shakhvorostova se souvient encore des explosions, de la terre qui tremble, et des champignons atomiques qu’elle et son mari ont regardés alors qu’elle était enceinte. N’ayant reçu aucune information des autorités et sans aucune protection, la population de Dolon ne connaissait pas l’impact sur la santé et l’environnement des retombées chargées de radionucléides fatals.
Près de soixante ans ont passé, les oubliés de l’atome soviétique sont aujourd’hui légion. Ils sont les victimes innocentes d’un système qui créa des armes d’extermination de masse mais oublia complètement le peuple et son environnement avec pour seul but la maîtrise de la puissance nucléaire et les jeux de pouvoir entre les deux superpuissances de la guerre froide, l’URSS et les Etats-Unis.

Didier Ruef

Journaliste et photographe
didier.ruef@ticino.com



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