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Sortir du nucléaire n°69



Mai 2016

Les microréseaux électriques solaires

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°69 - Mai 2016

 Energies renouvelables


Dans de nombreux pays où aucune infrastructure téléphonique n’existait, le mobile s’est directement généralisé sans passer par la case "téléphonie fixe". Certains analystes estiment que les pays du Sud peu ou mal électrifiés pourraient (et devraient) tout aussi bien "sauter" directement à des systèmes électriques décentralisés, basés sur de microréseaux flexibles et modulables, alimentés par les énergies renouvelables (en particulier le solaire photovoltaïque), sans passer par la case "système électrique centralisé" (centrales fossiles ou nucléaires).



Selon Navigant Research, le marché mondial des microréseaux distants passera d’une capacité de production de 349 mégawatts en 2011 à plus de 1,1 gigawatts en 2017. Dans de nombreuses régions du monde, les populations n’auront peut-être pas d’autre choix pour accéder à l’électricité que les microréseaux d’énergies renouvelables. Là où un réseau électrique est déjà en place, sa fiabilité peut laisser tellement à désirer que les microréseaux offrent une alternative plus sûre et plus fiable.

Inde, Mali, communautés insulaires

En Inde, de nombreuses régions sont plongées dans le noir lorsque le soleil se couche. Face à l’augmentation exponentielle de la population indienne, les centrales à charbon [et nucléaire, NDLR] ne sont pas une solution viable pour une économie en plein essor. Les microréseaux sont peut-être la meilleure réponse pour les 61 millions de foyers indiens encore sans électricité. Actuellement, quelque 200 villages sont électrifiés par des microréseaux d’énergie renouvelable. Mera Gao Power contruit et exploite des microréseaux solaires en Uttar Pradesh, l’un des États les plus pauvres de l’Inde. Quatre panneaux solaires et quatre batteries pro- duisent suffisamment d’énergie pour 100 foyers équipés chacun de quatre lampes à diodes et d’un chargeur pour téléphone portable. Chaque foyer débourse 0,50 $ par semaine. Husk Power Systems utilise des balles de riz pour fournir aux villages une électricité produite par gazéification de la bio-masse. Son système d’une capacité de 32 kW électrifie des villages de 500-700 foyers. Le microréseau solaire de 14 kW de SunEdison a remplacé les lampes à kérosène chez 400 résidents du village éloigné de Meerwada. Les villageois paient 1,00-1,50 $ par mois – l’équivalent de ce qu’ils déboursaient auparavant pour le gazole et le kérosène – pour un éclairage de meilleure qualité et la possibilité de brancher des appareils domestiques.

Un habitant du village de Meerwada, dans l’État indien d’Uttar Pradesh, nettoie les panneaux photovoltaïques du micro-réseau solaire qui fournit son électricité au village, non relié au réseau électrique.

Les microréseaux prolifèrent également sur le continent africain. Au Mali, où 93 % de la population rurale n’a pas l’électricité, les enfants des villages dégustent aujourd’hui des glaces grâce aux microréseaux solaires de SharedSolar. L’Earth Institute de l’Université de Columbia a fondé SharedSolar en vue de trouver un système d’électrification des zones rurales meilleur marché que les systèmes solaires individuels, souvent inabordables. Il a mis au point un microréseau entièrement autonome et évolutif, qui comprend panneaux photovoltaïques, batteries et compteurs. Chaque système alimente 10-20 foyers, chacun d’eux recevant un compteur prépayé qu’il peut réapprovisionner en payant à partir d’un téléphone portable ou au responsable local (habituellement la per- sonne qui vendait auparavant le kérosène). Dans un pays baigné de soleil tel que le Mali, 172 foyers bénéficient actuellement de neuf microréseaux SharedSolar.

Dans ce village malien équipé d’un micro-réseau solaire SharedSolar, les consommations et les sommes dues sont affichées à la vue de tou-te-s sur un grand tableau.

Les îles sont peut-être le meilleur endroit pour la mise en œuvre de microréseaux. Monte Trigo est un village situé sur l’île la plus occidentale du Cap Vert. Habitée par 60 foyers entièrement dépendants de la pêche, elle n’est accessible que par bateau. Auparavant, les pêcheurs devaient faire un trajet aller et retour en mer de dix heures pour acheter la glace servant à conserver le poisson.

Aujourd’hui, un microréseau solaire de 27,3 kW leur apporte une énergie fiable par simple pression sur un bouton. Le microréseau alimente les maisons, une école, une église, un dispensaire, trois boutiques et l’éclairage public. Son succès, ce microré- seau le doit au concept de l’Energy Daily Allowance, qui détermine la quantité maximale convenue d’énergie qu’un foyer peut consommer. Chaque usager dispose d’un compteur qui indique la quantité d’énergie allouée et intègre un signal incitant à consommer plus ou moins selon la disponibilité et l’ensoleillement.

Ci-contre : Au Cap Vert, le village de Monte Trigo est désormais autonome en électricité grâce à son micro-réseau solaire photovoltaïque.

L’échelle de l’énergie solaire

L’électricité est cruciale pour un développement économique durable. Pourtant, 1,3 milliards de personnes dans le monde n’y ont pas accès. Bon nombre d’entre elles utilisent des lampes au kérosène polluantes pour s’éclairer la nuit. Quant à celles qui ont accès à l’électricité dans les pays en voie de développement, elles sont souvent raccordées à des centrales thermiques utilisant des énergies fossiles. L’électrification est donc à la fois une question humanitaire et climatique. [...]

Lei Yi, une écolière birmane de 12 ans, étudie à la lumière de sa lampe solaire D.light.

Une énergie solaire décentralisée fournit une électricité propre, fiable et à empreinte carbone réduite. Sa souplesse d’utilisation lui permet de répondre à des besoins allant des plus modestes aux plus importants. Une nouvelle échelle de l’énergie solaire, dont chaque barreau est accroché au suivant, permet aux familles et aux populations de s’affranchir de la pauvreté énergétique. Elle soutient le développement économique et, à terme, peut mettre fin à l’expansion de l’industrie charbonnière. On peut envisager de commencer par des lampes solaires pour passer à des systèmes solaires pour la maison, puis de passer à des mini- réseaux et, à terme, à des microréseaux couvrant un quartier, une petite ville, etc. Ce sont ces micro- réseaux qui favorisent le vrai commerce en alimentant des machines à coudre, des tours à bois et autres équipements de production, et plus seulement l’éclairage et les appareils domestiques.

Le premier barreau

Plus de 250 millions de foyers s’éclairent au kérosène. Les conséquences en sont désastreuses pour les femmes et les enfants qui respirent quotidiennement des gaz de combustion aussi nocifs que deux paquets de cigarettes par jour. Heureusement, de nombreux entrepreneurs dans le monde ont obtenu des résultats impressionnants avec des lampes solaires. Elles offrent une qualité d’éclairage supérieure à celle des lampes à kérosène et sans gaz de combustion nocifs. D.light, fabricant de lampes solaires abordables et robustes, en a vendu plus de neuf millions dans 62 pays depuis sa fondation en 2006. Fifty Lanterns est une association sans but lucratif, qui fournit des lampes solaires aux populations victimes de la pauvreté, de la guerre ou de catastrophes naturelles. [...]

D’autres associations sont spécialisées dans les petits systèmes solaires domestiques. D’une puissance de 10 à 100 watts, ils permettent aux habitants de s’éclairer, de recharger leur téléphone portable [dans des régions souvent dénuées de toute infrastructure téléphonique fixe] et de faire fonctionner un ou deux appareils domestiques. Il a été démontré que le financement de ces systèmes était abordable, même pour des gens qui gagnent moins de 2$ par jour. C’est pourtant à ce niveau que se produit actuellement la rupture de l’échelle solaire. S’il est important de commencer petit pour accéder à l’énergie, il est impératif d’aller plus loin. Des panneaux solaires modulaires et des solutions standardisées doivent assurer l’interopérabilité entre les systèmes et le passage des systèmes solaires domestiques aux miniréseaux ou aux microréseaux solaires.

Devergy a équipé le village de Matipwili, en Tanzanie, avec un micro-réseau solaire modulaire.

Les derniers barreaux

Les miniréseaux solaires modulaires sont précisément ce que Devergy, société néerlandaise intervenant en Afrique, a déployé dans plusieurs villages de Tanzanie. Ces miniréseaux alimentent les foyers et les petites entreprises de six villages en reliant 800 clients à une énergie solaire propre et fiable. "En parcourant l’Amérique du Sud, nous avons souvent constaté que les systèmes solaires domes- tiques n’étaient pas entretenus. C’est ce qui nous a donné l’idée de mettre au point un système interactif", explique Gianluca Cescon, cofondateur de Devergy. "Les compteurs intelligents nous permettent d’assurer un suivi." Après avoir essayé de nombreux prototypes sur le miniréseau aujourd’hui en service en Tanzanie, Devegy est arrivé à la conclusion qu’il serait plus efficace d’interconnecter une multitude de systèmes solaires domestiques.

"Équipées d’un système modulaire conçu pour l’interopérabilité et la durabilité, les communautés sont en mesure d’adapter l’alimentation électrique à leurs besoins individuels, mais également d’augmenter la capacité de leurs systèmes solaires et des batteries en fonction de la demande", précise Roy Torbert, du RMI. Le raccordement à des microréseaux communautaires encore plus vastes permettra un développement répondant à la qualité de vie requise et aux aspirations économiques de ces pays, tout en mettant fin à l’expansion de l’industrie charbonnière dans ces régions du monde sous-électrifiées. “Nous devons combler le vide entre, d’une part, les foyers ou les petites entreprises et, d’autre part, les utilisations plus grosses consommatrices d’énergie telles que les moulins à riz et à maïs”, explique M. Cescon, de Devergy.

Le Solar Electric Light Fund (SELF) a également évolué vers les microréseaux d’échelle communau- taire. "Le SELF installe des systèmes solaires domestiques dans le monde entier depuis des années. Il a déjà changé la vie de milliers de foyers", fait observer Bob Freling, directeur exécutif du Solar Electric Light Fund. "Cependant, pour passer à la vitesse supérieure en termes de débouchés économiques, nous devons aller au-delà des systèmes solaires domestiques et nous orienter vers des microréseaux d’échelle communautaire plus vastes." Les deux premiers microréseaux solaires du SELF alimenteront un centre de micro-entreprises en Haïti, ainsi qu’une école, une clinique et des micro-entreprises en Colombie. En alimentant des installations plus importantes et des entreprises plus grosses consommatrices d’énergie, les micro- réseaux solaires permettront aux particuliers, aux entreprises et à des communautés entières de se développer et de prospérer.

Les obstacles qui restent à lever

Malgré le succès de tous les projets mis en place à différentes échelles à travers le monde, chaque barreau de l’échelle de l’énergie solaire – des lampes aux microréseaux – doit impérativement évoluer plus vite et à plus grande échelle pour répondre à des besoins colossaux. Tout cela implique cependant de nouveaux enjeux et de nouvelles complications : infrastructures, tarifs et réglementation locaux, qualité et fiabilité inégales des produits. "Peu d’attention a été accordée aux détails en ce qui concerne la qualité des services fournis", explique Charles Muchunku, président de l’association kenyane pour les énergies renouvelables. "Pour cette raison, beaucoup de gens croient que l’énergie solaire ne marche pas." La standardisation est déterminante, car elle améliore la modularité et réduit les coûts. "Une solution standardisée économique ne résout pas tous les problèmes, mais elle offre un bon point de départ", indique M. Torbert.

Un micro-réseau solaire communautaire au Bénin, installé avec l’aide du Solar Electric Light Fund (SELF).

Un processus d’approvisionnement à grande échelle réduira encore les coûts et rendra la chaîne logistique plus efficace. La commercialisation sera plus rapide et la fiabilité élevée. Il est également essentiel de trouver des solutions de financement innovantes satisfaisant à la fois les investisseurs des pays développés et les populations rurales pauvres. S’il existe déjà de nombreux dispositifs de microfinancement et de paiement, ces solutions ont grandement besoin d’être appliquées à grande échelle. Enfin, nous devons disposer de solutions de déploiement pouvant s’intégrer rapidement à l’infrastructure existante. [...] "L’évolution de l’économie dans les pays développés a conduit à une centralisation gouvernementale de l’électrification des zones rurales", fait observer Stephen Doig, DG au RMI. "Pourtant, à l’instar des télécommunications mobiles qui ont supplanté les communications terrestres, l’énergie solaire offre aux pays en voie de développement la possibilité de choisir une voie différente." [...]

Cet article est composé d’extraits de 2 articles de Laurie Guevara-Stone, du Rocky Mountain Institute (RMI), traduits de l’anglais au français par Gilles Chertier pour le Réseau "Sortir du nucléaire". Le RMI a été créé en 1982 par Amory Lovins, reconnu mondialement comme expert en matière d’efficacité énergétique, et une des figures de proue de la critique du nucléaire dès les années 1970.

En 2009, le RMI a publié l’étude "Reinventing Fire" qui propose un scénario énergétique pour permettre aux États-Unis de sortir totalement du pétrole, du charbon et du nucléaire d’ici 2050

Selon Navigant Research, le marché mondial des microréseaux distants passera d’une capacité de production de 349 mégawatts en 2011 à plus de 1,1 gigawatts en 2017. Dans de nombreuses régions du monde, les populations n’auront peut-être pas d’autre choix pour accéder à l’électricité que les microréseaux d’énergies renouvelables. Là où un réseau électrique est déjà en place, sa fiabilité peut laisser tellement à désirer que les microréseaux offrent une alternative plus sûre et plus fiable.

Inde, Mali, communautés insulaires

En Inde, de nombreuses régions sont plongées dans le noir lorsque le soleil se couche. Face à l’augmentation exponentielle de la population indienne, les centrales à charbon [et nucléaire, NDLR] ne sont pas une solution viable pour une économie en plein essor. Les microréseaux sont peut-être la meilleure réponse pour les 61 millions de foyers indiens encore sans électricité. Actuellement, quelque 200 villages sont électrifiés par des microréseaux d’énergie renouvelable. Mera Gao Power contruit et exploite des microréseaux solaires en Uttar Pradesh, l’un des États les plus pauvres de l’Inde. Quatre panneaux solaires et quatre batteries pro- duisent suffisamment d’énergie pour 100 foyers équipés chacun de quatre lampes à diodes et d’un chargeur pour téléphone portable. Chaque foyer débourse 0,50 $ par semaine. Husk Power Systems utilise des balles de riz pour fournir aux villages une électricité produite par gazéification de la bio-masse. Son système d’une capacité de 32 kW électrifie des villages de 500-700 foyers. Le microréseau solaire de 14 kW de SunEdison a remplacé les lampes à kérosène chez 400 résidents du village éloigné de Meerwada. Les villageois paient 1,00-1,50 $ par mois – l’équivalent de ce qu’ils déboursaient auparavant pour le gazole et le kérosène – pour un éclairage de meilleure qualité et la possibilité de brancher des appareils domestiques.

Un habitant du village de Meerwada, dans l’État indien d’Uttar Pradesh, nettoie les panneaux photovoltaïques du micro-réseau solaire qui fournit son électricité au village, non relié au réseau électrique.

Les microréseaux prolifèrent également sur le continent africain. Au Mali, où 93 % de la population rurale n’a pas l’électricité, les enfants des villages dégustent aujourd’hui des glaces grâce aux microréseaux solaires de SharedSolar. L’Earth Institute de l’Université de Columbia a fondé SharedSolar en vue de trouver un système d’électrification des zones rurales meilleur marché que les systèmes solaires individuels, souvent inabordables. Il a mis au point un microréseau entièrement autonome et évolutif, qui comprend panneaux photovoltaïques, batteries et compteurs. Chaque système alimente 10-20 foyers, chacun d’eux recevant un compteur prépayé qu’il peut réapprovisionner en payant à partir d’un téléphone portable ou au responsable local (habituellement la per- sonne qui vendait auparavant le kérosène). Dans un pays baigné de soleil tel que le Mali, 172 foyers bénéficient actuellement de neuf microréseaux SharedSolar.

Dans ce village malien équipé d’un micro-réseau solaire SharedSolar, les consommations et les sommes dues sont affichées à la vue de tou-te-s sur un grand tableau.

Les îles sont peut-être le meilleur endroit pour la mise en œuvre de microréseaux. Monte Trigo est un village situé sur l’île la plus occidentale du Cap Vert. Habitée par 60 foyers entièrement dépendants de la pêche, elle n’est accessible que par bateau. Auparavant, les pêcheurs devaient faire un trajet aller et retour en mer de dix heures pour acheter la glace servant à conserver le poisson.

Aujourd’hui, un microréseau solaire de 27,3 kW leur apporte une énergie fiable par simple pression sur un bouton. Le microréseau alimente les maisons, une école, une église, un dispensaire, trois boutiques et l’éclairage public. Son succès, ce microré- seau le doit au concept de l’Energy Daily Allowance, qui détermine la quantité maximale convenue d’énergie qu’un foyer peut consommer. Chaque usager dispose d’un compteur qui indique la quantité d’énergie allouée et intègre un signal incitant à consommer plus ou moins selon la disponibilité et l’ensoleillement.

Ci-contre : Au Cap Vert, le village de Monte Trigo est désormais autonome en électricité grâce à son micro-réseau solaire photovoltaïque.

L’échelle de l’énergie solaire

L’électricité est cruciale pour un développement économique durable. Pourtant, 1,3 milliards de personnes dans le monde n’y ont pas accès. Bon nombre d’entre elles utilisent des lampes au kérosène polluantes pour s’éclairer la nuit. Quant à celles qui ont accès à l’électricité dans les pays en voie de développement, elles sont souvent raccordées à des centrales thermiques utilisant des énergies fossiles. L’électrification est donc à la fois une question humanitaire et climatique. [...]

Lei Yi, une écolière birmane de 12 ans, étudie à la lumière de sa lampe solaire D.light.

Une énergie solaire décentralisée fournit une électricité propre, fiable et à empreinte carbone réduite. Sa souplesse d’utilisation lui permet de répondre à des besoins allant des plus modestes aux plus importants. Une nouvelle échelle de l’énergie solaire, dont chaque barreau est accroché au suivant, permet aux familles et aux populations de s’affranchir de la pauvreté énergétique. Elle soutient le développement économique et, à terme, peut mettre fin à l’expansion de l’industrie charbonnière. On peut envisager de commencer par des lampes solaires pour passer à des systèmes solaires pour la maison, puis de passer à des mini- réseaux et, à terme, à des microréseaux couvrant un quartier, une petite ville, etc. Ce sont ces micro- réseaux qui favorisent le vrai commerce en alimentant des machines à coudre, des tours à bois et autres équipements de production, et plus seulement l’éclairage et les appareils domestiques.

Le premier barreau

Plus de 250 millions de foyers s’éclairent au kérosène. Les conséquences en sont désastreuses pour les femmes et les enfants qui respirent quotidiennement des gaz de combustion aussi nocifs que deux paquets de cigarettes par jour. Heureusement, de nombreux entrepreneurs dans le monde ont obtenu des résultats impressionnants avec des lampes solaires. Elles offrent une qualité d’éclairage supérieure à celle des lampes à kérosène et sans gaz de combustion nocifs. D.light, fabricant de lampes solaires abordables et robustes, en a vendu plus de neuf millions dans 62 pays depuis sa fondation en 2006. Fifty Lanterns est une association sans but lucratif, qui fournit des lampes solaires aux populations victimes de la pauvreté, de la guerre ou de catastrophes naturelles. [...]

D’autres associations sont spécialisées dans les petits systèmes solaires domestiques. D’une puissance de 10 à 100 watts, ils permettent aux habitants de s’éclairer, de recharger leur téléphone portable [dans des régions souvent dénuées de toute infrastructure téléphonique fixe] et de faire fonctionner un ou deux appareils domestiques. Il a été démontré que le financement de ces systèmes était abordable, même pour des gens qui gagnent moins de 2$ par jour. C’est pourtant à ce niveau que se produit actuellement la rupture de l’échelle solaire. S’il est important de commencer petit pour accéder à l’énergie, il est impératif d’aller plus loin. Des panneaux solaires modulaires et des solutions standardisées doivent assurer l’interopérabilité entre les systèmes et le passage des systèmes solaires domestiques aux miniréseaux ou aux microréseaux solaires.

Devergy a équipé le village de Matipwili, en Tanzanie, avec un micro-réseau solaire modulaire.

Les derniers barreaux

Les miniréseaux solaires modulaires sont précisément ce que Devergy, société néerlandaise intervenant en Afrique, a déployé dans plusieurs villages de Tanzanie. Ces miniréseaux alimentent les foyers et les petites entreprises de six villages en reliant 800 clients à une énergie solaire propre et fiable. "En parcourant l’Amérique du Sud, nous avons souvent constaté que les systèmes solaires domes- tiques n’étaient pas entretenus. C’est ce qui nous a donné l’idée de mettre au point un système interactif", explique Gianluca Cescon, cofondateur de Devergy. "Les compteurs intelligents nous permettent d’assurer un suivi." Après avoir essayé de nombreux prototypes sur le miniréseau aujourd’hui en service en Tanzanie, Devegy est arrivé à la conclusion qu’il serait plus efficace d’interconnecter une multitude de systèmes solaires domestiques.

"Équipées d’un système modulaire conçu pour l’interopérabilité et la durabilité, les communautés sont en mesure d’adapter l’alimentation électrique à leurs besoins individuels, mais également d’augmenter la capacité de leurs systèmes solaires et des batteries en fonction de la demande", précise Roy Torbert, du RMI. Le raccordement à des microréseaux communautaires encore plus vastes permettra un développement répondant à la qualité de vie requise et aux aspirations économiques de ces pays, tout en mettant fin à l’expansion de l’industrie charbonnière dans ces régions du monde sous-électrifiées. “Nous devons combler le vide entre, d’une part, les foyers ou les petites entreprises et, d’autre part, les utilisations plus grosses consommatrices d’énergie telles que les moulins à riz et à maïs”, explique M. Cescon, de Devergy.

Le Solar Electric Light Fund (SELF) a également évolué vers les microréseaux d’échelle communau- taire. "Le SELF installe des systèmes solaires domestiques dans le monde entier depuis des années. Il a déjà changé la vie de milliers de foyers", fait observer Bob Freling, directeur exécutif du Solar Electric Light Fund. "Cependant, pour passer à la vitesse supérieure en termes de débouchés économiques, nous devons aller au-delà des systèmes solaires domestiques et nous orienter vers des microréseaux d’échelle communautaire plus vastes." Les deux premiers microréseaux solaires du SELF alimenteront un centre de micro-entreprises en Haïti, ainsi qu’une école, une clinique et des micro-entreprises en Colombie. En alimentant des installations plus importantes et des entreprises plus grosses consommatrices d’énergie, les micro- réseaux solaires permettront aux particuliers, aux entreprises et à des communautés entières de se développer et de prospérer.

Les obstacles qui restent à lever

Malgré le succès de tous les projets mis en place à différentes échelles à travers le monde, chaque barreau de l’échelle de l’énergie solaire – des lampes aux microréseaux – doit impérativement évoluer plus vite et à plus grande échelle pour répondre à des besoins colossaux. Tout cela implique cependant de nouveaux enjeux et de nouvelles complications : infrastructures, tarifs et réglementation locaux, qualité et fiabilité inégales des produits. "Peu d’attention a été accordée aux détails en ce qui concerne la qualité des services fournis", explique Charles Muchunku, président de l’association kenyane pour les énergies renouvelables. "Pour cette raison, beaucoup de gens croient que l’énergie solaire ne marche pas." La standardisation est déterminante, car elle améliore la modularité et réduit les coûts. "Une solution standardisée économique ne résout pas tous les problèmes, mais elle offre un bon point de départ", indique M. Torbert.

Un micro-réseau solaire communautaire au Bénin, installé avec l’aide du Solar Electric Light Fund (SELF).

Un processus d’approvisionnement à grande échelle réduira encore les coûts et rendra la chaîne logistique plus efficace. La commercialisation sera plus rapide et la fiabilité élevée. Il est également essentiel de trouver des solutions de financement innovantes satisfaisant à la fois les investisseurs des pays développés et les populations rurales pauvres. S’il existe déjà de nombreux dispositifs de microfinancement et de paiement, ces solutions ont grandement besoin d’être appliquées à grande échelle. Enfin, nous devons disposer de solutions de déploiement pouvant s’intégrer rapidement à l’infrastructure existante. [...] "L’évolution de l’économie dans les pays développés a conduit à une centralisation gouvernementale de l’électrification des zones rurales", fait observer Stephen Doig, DG au RMI. "Pourtant, à l’instar des télécommunications mobiles qui ont supplanté les communications terrestres, l’énergie solaire offre aux pays en voie de développement la possibilité de choisir une voie différente." [...]

Cet article est composé d’extraits de 2 articles de Laurie Guevara-Stone, du Rocky Mountain Institute (RMI), traduits de l’anglais au français par Gilles Chertier pour le Réseau "Sortir du nucléaire". Le RMI a été créé en 1982 par Amory Lovins, reconnu mondialement comme expert en matière d’efficacité énergétique, et une des figures de proue de la critique du nucléaire dès les années 1970.

En 2009, le RMI a publié l’étude "Reinventing Fire" qui propose un scénario énergétique pour permettre aux États-Unis de sortir totalement du pétrole, du charbon et du nucléaire d’ici 2050



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