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Sortir du nucléaire n°37



Déc - janv 2008

Analyse

Les deux mystérieuses disparitions du Grenelle

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°37 - Déc - janv 2008

 Nucléaire et démocratie  Nucléaire et santé
Article publié le : 1er janvier 2008


Fabrice Nicolino, journaliste professionnel, auteur d’un pamphlet contre les biocarburants, adresse une lettre au Réseau “Sortir du nucléaire”.



Amis du Réseau “Sortir du nucléaire”, vous savez comme moi que l’atome ne faisait pas partie des agapes du Grenelle de l’environnement. Eh non, pas question de discuter avec nos Excellences de ce qui fait la fierté de nos grands ingénieurs et les fins de mois d’Areva et d’EDF. Pas touche au nucléaire ! Chasse gardée ! Domaine réservé de sa Majesté Sarkozy 1er.
Évidemment, cela pose quelques menus problèmes. Au moment où l’Iran tente d’obtenir la bombe, aidé en cela par l’exemplaire Pakistan de M. Musharraf, on peut même écrire que cela fait désordre. Car la France – c’était celle de M. Mitterrand, il y a vingt ans – a puissamment aidé le Pakistan en son temps. Oh, à des fins civiles, cela va sans dire. On a vu le résultat. On jugera de même le cas libyen et tous ceux qui voudront bien acheter au prix fort notre splendide technologie. Le monde est rempli d’États stables, n’est-il pas ?
Bien, assez ricané. Je vous adresse une sorte de lettre, car je suis l’auteur d’un livre intitulé La faim, la bagnole, le blé et nous (Fayard), qui est un pamphlet contre les biocarburants, qu’on devrait plutôt appeler les nécrocarburants, tant ils véhiculent la mort.

La FNSEA est l’EDF des biocarburants
Aucun rapport avec le nucléaire ? À voir. Au cours du Grenelle en tout cas, deux sujets ont été soigneusement occultés : le nucléaire, comme vous avez pu voir, mais aussi les biocarburants. Selon mes informations, recoupées par d’autres voies, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) ne voulait à aucun prix que la question soit seulement abordée. Or la FNSEA, mutatis mutandis, c’est l’EDF de l’agriculture. En tout cas, c’est à peu près la même puissance.
Mais pourquoi diable ? Les biocarburants ne représentent pour l’heure que moins de 2 % des carburants utilisés en France. Il est vrai que la tendance est davantage à l’explosion des chiffres qu’à leur croissance, mais il reste comme un mystère. Permettez-moi de vous
dire deux mots sur le fond du dossier. L’agriculture, devenue une industrie transnationale comme une autre, est obsédée comme il se doit par la recherche de marchés solvables. Depuis des décennies, elle se heurte à des crises de surproduction à répétition. Le soubassement des biocarburants est là, nulle part ailleurs.
Jusqu’ici, cette agriculture promettait au monde et à nous tous qu’elle oeuvrait pour le bien commun et l’éradication de la faim. C’était sa marque de fabrique, son logo. Et voilà que tout vole en éclats : pour la première fois, avec les biocarburants, elle est obligée de dire la vérité. L’agriculture est un business.
La preuve : dans un monde qui compte un milliard d’affamés chroniques, elle utilise désormais, massivement, des plantes alimentaires pour faire rouler des bagnoles. De l’huile de palme, du manioc, de la canne à sucre, du soja, du maïs, du colza, du tournesol, de la betterave, du blé, selon. Tout marche.

Bien davantage que le nucléaire !
C’est immoral, mais le marché est pratiquement sans limites à vue humaine. Je lis ce 15 novembre 2007 une dépêche italienne. Selon Corrado Clini, le président du Global Bioenergy Partnership (Gbep), les bioénergies pourraient satisfaire, à l’horizon 2030, 20 % des besoins mondiaux en énergie. Beaucoup plus que le nucléaire ! Bien entendu, les biocarburants ne sont qu’une fraction de ce pactole, mais le biodiesel et l’éthanol pourraient représenter, dans à peine plus que 20 ans, au moins 7 % des carburants utilisés sur cette planète. L’enjeu est donc colossal.
Et la FNSEA, dont l’ardeur au combat n’est plus à démontrer, n’entend pas laisser filer une occasion historique de cette dimension. Seulement, voilà : nous parlons calmement d’une tragédie planétaire, comme je le montre sans vraie grande difficulté dans mon livre. À cause du boom mondial sur les biocarburants, le prix des plantes alimentaires et des céréales devient fou. Songez que les Etats-Unis consacrent déjà 26 à 27 % de leur production de maïs à la fabrication d’un éthanol destiné aux bagnoles. Autant de moins pour les humains. Par contagion et substitution, le prix des autres céréales s’est mis à flamber. Demandez donc à un homme qui (sur)vit avec un dollar par jour, pour lui et sa famille, de se serrer un peu plus la ceinture !
Au Swaziland, pays d’Afrique où l’espérance de vie est de 33 ans, où la famine est reine, le gouvernement vient de vendre des milliers d’hectares à l’entreprise American Distilleries. Pour y planter du manioc destiné aux biocarburants. La même chose se produit partout ailleurs.

Et les forêts tropicales, au fait ?
Au-delà, les biocarburants sont une menace directe contre les forêts tropicales encore debout, et leur fabuleuse diversité. Je vous parle de dizaines de millions d’hectares qui sont ou vont partir en fumée pour laisser la place à des plantations industrielles. En Indonésie, en Malaisie, au Cameroun, en République démocratique du Congo, au Pérou, au Brésil, en Colombie, etc.
Enfin, contrairement à ce que veut faire croire la propagande – elle ne vaut pas mieux que celle en faveur du nucléaire -, les biocarburants sont une bombe climatique. Pour s’en convaincre, il faut, ce que jamais les marchands ne font, inclure dans le bilan de la filière tout ce qui concourt à la fabrication des biocarburants. Et toutes les émissions de gaz à effet de serre que leur déferlement entraîne. Les travaux de Pimentel, Patzek et ceux, dernièrement, du prix Nobel de chimie Paul Crutzen, montrent que les biocarburants sont au total pires pour le climat que le pétrole qu’ils remplacent pourtant.
Amis du réseau Sortir du nucléaire, j’en ai fini. Les « communicants » du Grenelle de l’environnement ont lié, dans leurs plans de manipulation, la question du nucléaire et celle des biocarburants. Eh bien, ils ont raison. Les deux incarnent un avenir énergétique détestable et dangereux, qui laisse de côté la seule question qui vaille. Et cette question, vous le savez, est celle-ci : comment moins consommer ? Comment moins gaspiller cette extraordinaire offrande qu’est l’énergie ? Je vous invite fortement à dénouer, dans vos futures mobilisations, les deux bouts de cette corde qui pour l’heure nous étrangle : le nucléaire et les nécrocarburants.

Fabrice Niccolino

Auteur du livre La faim, la bagnole, le blé et nous
https://fabrice-nicolino.com/index.php

Amis du Réseau “Sortir du nucléaire”, vous savez comme moi que l’atome ne faisait pas partie des agapes du Grenelle de l’environnement. Eh non, pas question de discuter avec nos Excellences de ce qui fait la fierté de nos grands ingénieurs et les fins de mois d’Areva et d’EDF. Pas touche au nucléaire ! Chasse gardée ! Domaine réservé de sa Majesté Sarkozy 1er.
Évidemment, cela pose quelques menus problèmes. Au moment où l’Iran tente d’obtenir la bombe, aidé en cela par l’exemplaire Pakistan de M. Musharraf, on peut même écrire que cela fait désordre. Car la France – c’était celle de M. Mitterrand, il y a vingt ans – a puissamment aidé le Pakistan en son temps. Oh, à des fins civiles, cela va sans dire. On a vu le résultat. On jugera de même le cas libyen et tous ceux qui voudront bien acheter au prix fort notre splendide technologie. Le monde est rempli d’États stables, n’est-il pas ?
Bien, assez ricané. Je vous adresse une sorte de lettre, car je suis l’auteur d’un livre intitulé La faim, la bagnole, le blé et nous (Fayard), qui est un pamphlet contre les biocarburants, qu’on devrait plutôt appeler les nécrocarburants, tant ils véhiculent la mort.

La FNSEA est l’EDF des biocarburants
Aucun rapport avec le nucléaire ? À voir. Au cours du Grenelle en tout cas, deux sujets ont été soigneusement occultés : le nucléaire, comme vous avez pu voir, mais aussi les biocarburants. Selon mes informations, recoupées par d’autres voies, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) ne voulait à aucun prix que la question soit seulement abordée. Or la FNSEA, mutatis mutandis, c’est l’EDF de l’agriculture. En tout cas, c’est à peu près la même puissance.
Mais pourquoi diable ? Les biocarburants ne représentent pour l’heure que moins de 2 % des carburants utilisés en France. Il est vrai que la tendance est davantage à l’explosion des chiffres qu’à leur croissance, mais il reste comme un mystère. Permettez-moi de vous
dire deux mots sur le fond du dossier. L’agriculture, devenue une industrie transnationale comme une autre, est obsédée comme il se doit par la recherche de marchés solvables. Depuis des décennies, elle se heurte à des crises de surproduction à répétition. Le soubassement des biocarburants est là, nulle part ailleurs.
Jusqu’ici, cette agriculture promettait au monde et à nous tous qu’elle oeuvrait pour le bien commun et l’éradication de la faim. C’était sa marque de fabrique, son logo. Et voilà que tout vole en éclats : pour la première fois, avec les biocarburants, elle est obligée de dire la vérité. L’agriculture est un business.
La preuve : dans un monde qui compte un milliard d’affamés chroniques, elle utilise désormais, massivement, des plantes alimentaires pour faire rouler des bagnoles. De l’huile de palme, du manioc, de la canne à sucre, du soja, du maïs, du colza, du tournesol, de la betterave, du blé, selon. Tout marche.

Bien davantage que le nucléaire !
C’est immoral, mais le marché est pratiquement sans limites à vue humaine. Je lis ce 15 novembre 2007 une dépêche italienne. Selon Corrado Clini, le président du Global Bioenergy Partnership (Gbep), les bioénergies pourraient satisfaire, à l’horizon 2030, 20 % des besoins mondiaux en énergie. Beaucoup plus que le nucléaire ! Bien entendu, les biocarburants ne sont qu’une fraction de ce pactole, mais le biodiesel et l’éthanol pourraient représenter, dans à peine plus que 20 ans, au moins 7 % des carburants utilisés sur cette planète. L’enjeu est donc colossal.
Et la FNSEA, dont l’ardeur au combat n’est plus à démontrer, n’entend pas laisser filer une occasion historique de cette dimension. Seulement, voilà : nous parlons calmement d’une tragédie planétaire, comme je le montre sans vraie grande difficulté dans mon livre. À cause du boom mondial sur les biocarburants, le prix des plantes alimentaires et des céréales devient fou. Songez que les Etats-Unis consacrent déjà 26 à 27 % de leur production de maïs à la fabrication d’un éthanol destiné aux bagnoles. Autant de moins pour les humains. Par contagion et substitution, le prix des autres céréales s’est mis à flamber. Demandez donc à un homme qui (sur)vit avec un dollar par jour, pour lui et sa famille, de se serrer un peu plus la ceinture !
Au Swaziland, pays d’Afrique où l’espérance de vie est de 33 ans, où la famine est reine, le gouvernement vient de vendre des milliers d’hectares à l’entreprise American Distilleries. Pour y planter du manioc destiné aux biocarburants. La même chose se produit partout ailleurs.

Et les forêts tropicales, au fait ?
Au-delà, les biocarburants sont une menace directe contre les forêts tropicales encore debout, et leur fabuleuse diversité. Je vous parle de dizaines de millions d’hectares qui sont ou vont partir en fumée pour laisser la place à des plantations industrielles. En Indonésie, en Malaisie, au Cameroun, en République démocratique du Congo, au Pérou, au Brésil, en Colombie, etc.
Enfin, contrairement à ce que veut faire croire la propagande – elle ne vaut pas mieux que celle en faveur du nucléaire -, les biocarburants sont une bombe climatique. Pour s’en convaincre, il faut, ce que jamais les marchands ne font, inclure dans le bilan de la filière tout ce qui concourt à la fabrication des biocarburants. Et toutes les émissions de gaz à effet de serre que leur déferlement entraîne. Les travaux de Pimentel, Patzek et ceux, dernièrement, du prix Nobel de chimie Paul Crutzen, montrent que les biocarburants sont au total pires pour le climat que le pétrole qu’ils remplacent pourtant.
Amis du réseau Sortir du nucléaire, j’en ai fini. Les « communicants » du Grenelle de l’environnement ont lié, dans leurs plans de manipulation, la question du nucléaire et celle des biocarburants. Eh bien, ils ont raison. Les deux incarnent un avenir énergétique détestable et dangereux, qui laisse de côté la seule question qui vaille. Et cette question, vous le savez, est celle-ci : comment moins consommer ? Comment moins gaspiller cette extraordinaire offrande qu’est l’énergie ? Je vous invite fortement à dénouer, dans vos futures mobilisations, les deux bouts de cette corde qui pour l’heure nous étrangle : le nucléaire et les nécrocarburants.

Fabrice Niccolino

Auteur du livre La faim, la bagnole, le blé et nous
https://fabrice-nicolino.com/index.php



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