Faire un don

Sortir du nucléaire n°43



Eté 2009

Fausse alternative

Le stockage du CO2 est-il une solution contre l’effet de serre ?

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°43 - Eté 2009

 Nucléaire et climat
Article publié le : 1er août 2009


Les émissions de gaz à effet de serre sont un danger immense pour la stabilité du climat. Suffit-il de les capter et de les stocker pour résoudre le problème ? De nombreux projets ont fleuri en France et dans le monde. Coûteux, inefficaces et trop tardifs selon Mae-Wan Ho, directrice de l’association britannique "Institute for science in society".



Le captage et le stockage de carbone sont censés réduire l’impact des combustibles fossiles sur le
climat en conservant le CO2 émis par les centrales thermiques afin de le stocker dans le sous-sol. Ce procédé intéresse beaucoup les gouvernements et les industriels de par le monde.

Aux États-Unis par exemple, les centrales
thermiques au charbon fournissent environ la moitié de l’électricité consommée. Or la combustion du charbon produit plus de dioxyde de carbone que tout autre combustible fossile. L’industrie du charbon promeut le stockage du CO2 sous les termes de “charbon propre”. Le gouvernement Bush a été le premier à s’engager dans le financement d’une centrale à charbon de grande envergure destinée à servir de modèle au monde entier. Le partenariat public-privé FutureGen Alliance comprend des industries comme American Electric Power Service, BHP Billington et China Huaneng Group, la plus importante compagnie charbonnière chinoise. Ce projet a vu le jour en 2005 en réponse à l’appel de Georges Bush en février 2003 pour un programme visant à lancer “la première centrale à charbon mondiale presque sans émissions.”

En 2005, le département de l’énergie américain a donc présenté un projet de 950 millions de dollars pour une centrale à cycle combiné avec gazéification intégrée. Il s’agissait de produire de l’électricité et de l’hydrogène, tout en capturant et en stockant le CO2 produit. Le ministre de l’écologie Clay Sell
claironnait à l’époque : “Il y a déjà 33 projets de ce type.” Or en mars 2007, le coût prévu du prototype qui devait voir le jour dans l’Illinois avait doublé pour s’établir à 1,8 milliard de dollars dont 74 % aurait été payé par l’État américain. En janvier 2008, le département de l’Énergie américain a
logiquement retiré son soutien au projet en raison de l’envolée exponentielle de son coût. Mais au mois de mai 2008, le Sénat américain a adopté une résolution pour obliger le département de l’Énergie à relancer FutureGen.

En 2007, au moins 11 projets ont été abandonnés au Royaume-Uni, au Canada et en Norvège. Les plans pour de nouveaux projets stagnent et le développement de projets existants a considérablement ralenti.

En mai 2008, Rio Tinto et BP ont abandonné un
projet en Australie reconnaissant qu’il n’y avait pas de garantie que les roches, sur le site prévu de Kwinana, puissent le stocker de façon hermétique. Le projet devait coûter environ 2 milliards de
dollars australiens par an pour une capture de
4 millions de tonnes de CO2 par an.

En juin 2008, la Royal Society britannique,
avec d’autres académies des sciences du monde industrialisé dont celles de la Chine et de l’Inde, ont appelé les gouvernements à fixer un calendrier pour mettre au point des centrales thermiques avec capture de CO2 afin d’éviter le changement climatique “dangereux et irréversible”.

Inefficace

Mais il existe de sérieux doutes sur l’efficacité, la
viabilité économique et la sécurité de cette technique et sa capacité à lutter contre le changement climatique. Comme le résume un rapport de Greenpeace : “La technologie est à ses balbutiements et ne sera pas prête à temps pour contribuer à sauver le
climat”.
En effet, la mise en service du système de captage sur ces centrales ne pourra pas avoir lieu avant 2030 ! Or selon le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU, pour éviter les pires effets du changement climatique, les émissions devraient commencer à baisser d’ici 2015 à 50 % des niveaux de 1990. Les centrales à charbon, responsables de 40 à 70 % des émissions de CO2 dans le secteur de l’électricité, ne seront donc pas prêtes à temps pour le captage du carbone.

La capture et le stockage utilisent entre 10 et 40 % de l’énergie produite par une centrale, annulant ainsi les gains d’efficacité énergétique acquis ces 50 dernières années et augmentant d’un tiers la consommation de la ressource.

Les centrales qui stockent et qui capturent le CO2 requièrent non seulement plus d’énergie mais aussi 90 % d’eau douce en plus.

Cette technique est donc très onéreuse et pourrait augmenter les coûts d’installation des centrales et ceux de l’électricité entre 21 et 91 %.

En Australie, cette technique amènerait au mieux 9% de réduction des émissions du pays en 2030 et une réduction cumulée de 2,4 % de 2005 à 2030 dû à l’absence de lieu de stockage convenable.

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) décrète une centrale prête au captage de CO2 lorsque “les cadres économiques ou légaux sont en place”,
ce qui est suffisamment vague pour concerner toute centrale à charbon. Une nouvelle centrale à charbon dans le Kent a été vendue comme apte au captage, mais jusqu’à ce qu’elle soit opérationnelle, elle émettra 8 millions de tonnes de CO2 par an. L’AIE estime que pour que la capture ait des effets sur le climat d’ici 2050, il faudrait 6 000 installations injectant chacune dans le sol un million de tonnes de CO2 par an. Cela paraît difficile d’autant plus que cela nécessiterait suffisamment de sites de stockage à proximité immédiate des centrales, étant donné que le coût du transport sur plus
de 100 kilomètres devient prohibitif.
Le captage et le stockage prolongent en réalité notre dépendance au combustible fossile et accélèrent la production de CO2 dont une grande quantité serait stockée à nos risques et périls. Cela confisque les financements qui devraient être consacrés
aux énergies renouvelables. Une récente étude commandée par le gouvernement fédéral allemand confirme que tout euro investi dans le captage et le stockage augmentera les émissions de CO2 entre
10 et 40 fois plus qu’un euro investi dans les énergies renouvelables.

En juin 2008, un dirigeant de RWE Npower, une compagnie espérant construire une grande
centrale à charbon avec le captage et le stockage à Tilbury sur l’estuaire de la Tamise, a exprimé ses inquiétudes par rapport au coût et au calendrier. M. Chris Elston dit que de telles centrales “pourraient doubler le coût de l’électricité”.

Injection de CO2 dans les champs pétrolifères

Une proposition pour rendre le captage et le stockage moins coûteux est la récupération assistée du pétrole (en anglais EOR), qui consiste à injecter le CO2 dans un champ pétrolifère souterrain pour en faire ressortir le gaz ou le pétrole restant. Cela permet de rallonger la durée de vie du champ pétrolifère de 20 ans ! Or le gisement pétrolier
britannique est devenu économiquement non
rentable en 2005. BP a alors recherché des aides publiques auprès du gouvernement britannique pour initier un projet de récupération de CO2, mais les profits attendus ne compensaient pas les coûts de captage et de stockage. BP a tenté de convaincre le gouvernement de combler le déficit attendu avec une réduction d’impôt de 50 % et un taux de retour subventionné garanti ! Mais le gouvernement
britannique a heureusement refusé.

Le gouvernement norvégien s’est quant à lui engagé à couvrir tous les coûts additionnels de construction et de fonctionnement pour les deux centrales à gaz naturel de Karsto et Mongstad. La centrale de Karsto, qui émet environ 1 million de tonnes de CO2 par an, a été mise en service en novembre 2007. Le captage et le stockage devaient fonctionner en 2009 mais la date de mise en service a été repoussée à 2012 au plus tôt : l’usine de capture, le pipeline et le lieu de stockage doivent encore être construits ! La raffinerie de Mongstad qui devait être un centre test de deux usines pilotes est en construction avec l’objectif de capturer 100 000 tonnes de CO2 par an d’ici 2011. Pourtant d’ici là, tout le CO2 capturé sera relâché dans l’atmosphère parce que les pipelines et le stockage ne sont eux non plus pas encore construits…

Risque de fuite

Avec le stockage du CO2 dans des sites géologiques, le risque d’une fuite lente ou brutale existe.
Un exemple bien connu du danger de la fuite
naturelle de CO2 est l’accident survenu en 1986 au lac Nyos au Cameroun. Une éruption volcanique a provoqué la libération d’un kilomètre cube de gaz carbonique accumulé au fond du lac. Le gaz dégagé a asphyxié 1 700 personnes et des milliers d’animaux à 25 km à la ronde.

Une expérimentation de champ géologique pilote a été menée en 2006 pour tester le dépôt de dioxyde de carbone dans une roche saline sédimentaire à Frio au Texas. Les chercheurs ont trouvé que le CO2 enterré dissolvait de grandes quantités de minéraux dans les rochers responsables de la capture du gaz. En effet, le CO2 se dissout dans l’eau salée et
l’acidifie. L’acide dissout les autres minéraux dont des métaux comme le fer et le manganèse qui scellent naturellement les pores et les failles dans les sites géologiques. La dissolution de ce scellement
relâcherait le CO2 dans l’atmosphère. En outre, l’eau contaminée par les métaux pourrait s’infiltrer dans les aquifères et contaminer à son tour l’eau d’irrigation et de boisson. Le scientifique responsable de cette expérimentation Yousif Kharak a prévenu que “les résultats devaient servir d’avertissement, qui appellent à des études détaillées et soignées de sites d’injection” et pour “un programme bien mené pour détecter toute fuite de CO2 dans l’eau potable ou l’atmosphère.”

Résumons : les risques environnementaux sont
la fuite lente de sites de stockage par des failles géologiques, la fuite de CO2 et des substances associées dans l’eau profonde, la migration de métaux toxiques en surface contaminant l’eau de surface, les sols et l’eau de mer.

Les fuites locales de CO2 présentent un danger
d’asphyxie pour les hommes et les animaux. Le CO2 est plus dense que l’air et peut s’accumuler dans des aires peu ventilées il devient un danger à partir de 3%. Le CO2 affleurant à la surface peut avoir des effets létaux sur les plantes et les animaux des sols. L’acidification et la suppression de la respiration racinaire ont été observées dans des zones volcaniques et sismiques. Sur la montagne Mammoth en Californie, le relâchement de CO2 suite à plusieurs faibles tremblements de terre a suffit à tuer une
centaine d’hectares de forêt. Le CO2 peut acidifier l’eau et mobiliser des métaux toxiques. Son injection souterraine peut augmenter la pression, déplacer la saumure et être à l’origine d’activités sismiques.
Des entreprises non responsables

Le captage et le stockage du CO2 sont donc si
risqués que l’industrie est réticente à y mettre toutes ses billes sans un cadre qui la protège d’une responsabilité à long terme. Des usines refusent de fournir le CO2 pour stockage, à moins de se voir ôter la responsabilité du CO2 au-delà du territoire de la centrale. Les opérateurs potentiels réclament d’être couverts par une assurance des pouvoirs publics pour le stockage du CO2.

J’insiste sur le fait que le captage et le stockage du CO2 détournent des financements de l’énergie renouvelable. Par exemple, l’Australie a trois
centres de recherche sur les combustibles dont
l’un se concentre sur le captage et le stockage mais pas un seul n’est dédié aux énergies renouvelables. En Norvège, la recherche sur le pétrole reçoit
cinq fois plus de financements que les énergies renouvelables.

En 2009, les États-Unis comptent dépenser 623
millions de dollars, soit 26 % de plus qu’en 2008, pour le captage et le stockage de CO2, tout en diminuant de 27,1 % leur investissement dans les énergies renouvelables à 146,2 millions de dollars. Espérons néanmoins que la nouvelle administration américaine reviendra sur ces orientations.

Concluons avec le Programme des Nations unies pour le développement pour lequel, indépendamment de leurs inconvénients, les techniques de captage et le stockage de CO2 “arriveraient de toute façon trop tard sur le champ de bataille pour contribuer à éviter la crise climatique”.

Mae-Wan Ho

Directrice de l’association britannique
Institute for science in society (www.i-sis.org)

Article paru dans la revue L’Ecologiste n°27.
Site : www.ecologiste.org

Les notes et les sources de cet article sont consultables sur www.sortirdunucleaire.fr Rubrique
"s’informer" puis "Revue".

Photo ci-dessous :

Dans les coteaux du Jurançon, en France, Total prévoit de transformer un gisement de gaz épuisé en site de stockage du CO2. 150 000 tonnes de CO2 seraient stockées sur deux ans à une profondeur de 4 500 mètres. Une fois le puits refermé, Total se désengagerait,
laissant à l’État français la responsabilité du site. La municipalité de Jurançon s’est prononcée contre ce projet. L’association Coteaux de Jurançon Environnement lutte activement contre le projet. Site :
https://asso-cje.over-blog.com

Photo ci-dessous :

La plateforme gazière de Sleipner, au large de la Norvège, est la toute première opération
mondiale de stockage de CO2.
Elle stocke depuis 1996 un million de tonnes de CO2 par an produites par l’extraction de gaz. Le CO2
est réinjecté dans un aquifère salin, à plus de 800 mètres
en-dessous du sol marin.

Le captage et le stockage de carbone sont censés réduire l’impact des combustibles fossiles sur le
climat en conservant le CO2 émis par les centrales thermiques afin de le stocker dans le sous-sol. Ce procédé intéresse beaucoup les gouvernements et les industriels de par le monde.

Aux États-Unis par exemple, les centrales
thermiques au charbon fournissent environ la moitié de l’électricité consommée. Or la combustion du charbon produit plus de dioxyde de carbone que tout autre combustible fossile. L’industrie du charbon promeut le stockage du CO2 sous les termes de “charbon propre”. Le gouvernement Bush a été le premier à s’engager dans le financement d’une centrale à charbon de grande envergure destinée à servir de modèle au monde entier. Le partenariat public-privé FutureGen Alliance comprend des industries comme American Electric Power Service, BHP Billington et China Huaneng Group, la plus importante compagnie charbonnière chinoise. Ce projet a vu le jour en 2005 en réponse à l’appel de Georges Bush en février 2003 pour un programme visant à lancer “la première centrale à charbon mondiale presque sans émissions.”

En 2005, le département de l’énergie américain a donc présenté un projet de 950 millions de dollars pour une centrale à cycle combiné avec gazéification intégrée. Il s’agissait de produire de l’électricité et de l’hydrogène, tout en capturant et en stockant le CO2 produit. Le ministre de l’écologie Clay Sell
claironnait à l’époque : “Il y a déjà 33 projets de ce type.” Or en mars 2007, le coût prévu du prototype qui devait voir le jour dans l’Illinois avait doublé pour s’établir à 1,8 milliard de dollars dont 74 % aurait été payé par l’État américain. En janvier 2008, le département de l’Énergie américain a
logiquement retiré son soutien au projet en raison de l’envolée exponentielle de son coût. Mais au mois de mai 2008, le Sénat américain a adopté une résolution pour obliger le département de l’Énergie à relancer FutureGen.

En 2007, au moins 11 projets ont été abandonnés au Royaume-Uni, au Canada et en Norvège. Les plans pour de nouveaux projets stagnent et le développement de projets existants a considérablement ralenti.

En mai 2008, Rio Tinto et BP ont abandonné un
projet en Australie reconnaissant qu’il n’y avait pas de garantie que les roches, sur le site prévu de Kwinana, puissent le stocker de façon hermétique. Le projet devait coûter environ 2 milliards de
dollars australiens par an pour une capture de
4 millions de tonnes de CO2 par an.

En juin 2008, la Royal Society britannique,
avec d’autres académies des sciences du monde industrialisé dont celles de la Chine et de l’Inde, ont appelé les gouvernements à fixer un calendrier pour mettre au point des centrales thermiques avec capture de CO2 afin d’éviter le changement climatique “dangereux et irréversible”.

Inefficace

Mais il existe de sérieux doutes sur l’efficacité, la
viabilité économique et la sécurité de cette technique et sa capacité à lutter contre le changement climatique. Comme le résume un rapport de Greenpeace : “La technologie est à ses balbutiements et ne sera pas prête à temps pour contribuer à sauver le
climat”.
En effet, la mise en service du système de captage sur ces centrales ne pourra pas avoir lieu avant 2030 ! Or selon le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’ONU, pour éviter les pires effets du changement climatique, les émissions devraient commencer à baisser d’ici 2015 à 50 % des niveaux de 1990. Les centrales à charbon, responsables de 40 à 70 % des émissions de CO2 dans le secteur de l’électricité, ne seront donc pas prêtes à temps pour le captage du carbone.

La capture et le stockage utilisent entre 10 et 40 % de l’énergie produite par une centrale, annulant ainsi les gains d’efficacité énergétique acquis ces 50 dernières années et augmentant d’un tiers la consommation de la ressource.

Les centrales qui stockent et qui capturent le CO2 requièrent non seulement plus d’énergie mais aussi 90 % d’eau douce en plus.

Cette technique est donc très onéreuse et pourrait augmenter les coûts d’installation des centrales et ceux de l’électricité entre 21 et 91 %.

En Australie, cette technique amènerait au mieux 9% de réduction des émissions du pays en 2030 et une réduction cumulée de 2,4 % de 2005 à 2030 dû à l’absence de lieu de stockage convenable.

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) décrète une centrale prête au captage de CO2 lorsque “les cadres économiques ou légaux sont en place”,
ce qui est suffisamment vague pour concerner toute centrale à charbon. Une nouvelle centrale à charbon dans le Kent a été vendue comme apte au captage, mais jusqu’à ce qu’elle soit opérationnelle, elle émettra 8 millions de tonnes de CO2 par an. L’AIE estime que pour que la capture ait des effets sur le climat d’ici 2050, il faudrait 6 000 installations injectant chacune dans le sol un million de tonnes de CO2 par an. Cela paraît difficile d’autant plus que cela nécessiterait suffisamment de sites de stockage à proximité immédiate des centrales, étant donné que le coût du transport sur plus
de 100 kilomètres devient prohibitif.
Le captage et le stockage prolongent en réalité notre dépendance au combustible fossile et accélèrent la production de CO2 dont une grande quantité serait stockée à nos risques et périls. Cela confisque les financements qui devraient être consacrés
aux énergies renouvelables. Une récente étude commandée par le gouvernement fédéral allemand confirme que tout euro investi dans le captage et le stockage augmentera les émissions de CO2 entre
10 et 40 fois plus qu’un euro investi dans les énergies renouvelables.

En juin 2008, un dirigeant de RWE Npower, une compagnie espérant construire une grande
centrale à charbon avec le captage et le stockage à Tilbury sur l’estuaire de la Tamise, a exprimé ses inquiétudes par rapport au coût et au calendrier. M. Chris Elston dit que de telles centrales “pourraient doubler le coût de l’électricité”.

Injection de CO2 dans les champs pétrolifères

Une proposition pour rendre le captage et le stockage moins coûteux est la récupération assistée du pétrole (en anglais EOR), qui consiste à injecter le CO2 dans un champ pétrolifère souterrain pour en faire ressortir le gaz ou le pétrole restant. Cela permet de rallonger la durée de vie du champ pétrolifère de 20 ans ! Or le gisement pétrolier
britannique est devenu économiquement non
rentable en 2005. BP a alors recherché des aides publiques auprès du gouvernement britannique pour initier un projet de récupération de CO2, mais les profits attendus ne compensaient pas les coûts de captage et de stockage. BP a tenté de convaincre le gouvernement de combler le déficit attendu avec une réduction d’impôt de 50 % et un taux de retour subventionné garanti ! Mais le gouvernement
britannique a heureusement refusé.

Le gouvernement norvégien s’est quant à lui engagé à couvrir tous les coûts additionnels de construction et de fonctionnement pour les deux centrales à gaz naturel de Karsto et Mongstad. La centrale de Karsto, qui émet environ 1 million de tonnes de CO2 par an, a été mise en service en novembre 2007. Le captage et le stockage devaient fonctionner en 2009 mais la date de mise en service a été repoussée à 2012 au plus tôt : l’usine de capture, le pipeline et le lieu de stockage doivent encore être construits ! La raffinerie de Mongstad qui devait être un centre test de deux usines pilotes est en construction avec l’objectif de capturer 100 000 tonnes de CO2 par an d’ici 2011. Pourtant d’ici là, tout le CO2 capturé sera relâché dans l’atmosphère parce que les pipelines et le stockage ne sont eux non plus pas encore construits…

Risque de fuite

Avec le stockage du CO2 dans des sites géologiques, le risque d’une fuite lente ou brutale existe.
Un exemple bien connu du danger de la fuite
naturelle de CO2 est l’accident survenu en 1986 au lac Nyos au Cameroun. Une éruption volcanique a provoqué la libération d’un kilomètre cube de gaz carbonique accumulé au fond du lac. Le gaz dégagé a asphyxié 1 700 personnes et des milliers d’animaux à 25 km à la ronde.

Une expérimentation de champ géologique pilote a été menée en 2006 pour tester le dépôt de dioxyde de carbone dans une roche saline sédimentaire à Frio au Texas. Les chercheurs ont trouvé que le CO2 enterré dissolvait de grandes quantités de minéraux dans les rochers responsables de la capture du gaz. En effet, le CO2 se dissout dans l’eau salée et
l’acidifie. L’acide dissout les autres minéraux dont des métaux comme le fer et le manganèse qui scellent naturellement les pores et les failles dans les sites géologiques. La dissolution de ce scellement
relâcherait le CO2 dans l’atmosphère. En outre, l’eau contaminée par les métaux pourrait s’infiltrer dans les aquifères et contaminer à son tour l’eau d’irrigation et de boisson. Le scientifique responsable de cette expérimentation Yousif Kharak a prévenu que “les résultats devaient servir d’avertissement, qui appellent à des études détaillées et soignées de sites d’injection” et pour “un programme bien mené pour détecter toute fuite de CO2 dans l’eau potable ou l’atmosphère.”

Résumons : les risques environnementaux sont
la fuite lente de sites de stockage par des failles géologiques, la fuite de CO2 et des substances associées dans l’eau profonde, la migration de métaux toxiques en surface contaminant l’eau de surface, les sols et l’eau de mer.

Les fuites locales de CO2 présentent un danger
d’asphyxie pour les hommes et les animaux. Le CO2 est plus dense que l’air et peut s’accumuler dans des aires peu ventilées il devient un danger à partir de 3%. Le CO2 affleurant à la surface peut avoir des effets létaux sur les plantes et les animaux des sols. L’acidification et la suppression de la respiration racinaire ont été observées dans des zones volcaniques et sismiques. Sur la montagne Mammoth en Californie, le relâchement de CO2 suite à plusieurs faibles tremblements de terre a suffit à tuer une
centaine d’hectares de forêt. Le CO2 peut acidifier l’eau et mobiliser des métaux toxiques. Son injection souterraine peut augmenter la pression, déplacer la saumure et être à l’origine d’activités sismiques.
Des entreprises non responsables

Le captage et le stockage du CO2 sont donc si
risqués que l’industrie est réticente à y mettre toutes ses billes sans un cadre qui la protège d’une responsabilité à long terme. Des usines refusent de fournir le CO2 pour stockage, à moins de se voir ôter la responsabilité du CO2 au-delà du territoire de la centrale. Les opérateurs potentiels réclament d’être couverts par une assurance des pouvoirs publics pour le stockage du CO2.

J’insiste sur le fait que le captage et le stockage du CO2 détournent des financements de l’énergie renouvelable. Par exemple, l’Australie a trois
centres de recherche sur les combustibles dont
l’un se concentre sur le captage et le stockage mais pas un seul n’est dédié aux énergies renouvelables. En Norvège, la recherche sur le pétrole reçoit
cinq fois plus de financements que les énergies renouvelables.

En 2009, les États-Unis comptent dépenser 623
millions de dollars, soit 26 % de plus qu’en 2008, pour le captage et le stockage de CO2, tout en diminuant de 27,1 % leur investissement dans les énergies renouvelables à 146,2 millions de dollars. Espérons néanmoins que la nouvelle administration américaine reviendra sur ces orientations.

Concluons avec le Programme des Nations unies pour le développement pour lequel, indépendamment de leurs inconvénients, les techniques de captage et le stockage de CO2 “arriveraient de toute façon trop tard sur le champ de bataille pour contribuer à éviter la crise climatique”.

Mae-Wan Ho

Directrice de l’association britannique
Institute for science in society (www.i-sis.org)

Article paru dans la revue L’Ecologiste n°27.
Site : www.ecologiste.org

Les notes et les sources de cet article sont consultables sur www.sortirdunucleaire.fr Rubrique
"s’informer" puis "Revue".

Photo ci-dessous :

Dans les coteaux du Jurançon, en France, Total prévoit de transformer un gisement de gaz épuisé en site de stockage du CO2. 150 000 tonnes de CO2 seraient stockées sur deux ans à une profondeur de 4 500 mètres. Une fois le puits refermé, Total se désengagerait,
laissant à l’État français la responsabilité du site. La municipalité de Jurançon s’est prononcée contre ce projet. L’association Coteaux de Jurançon Environnement lutte activement contre le projet. Site :
https://asso-cje.over-blog.com

Photo ci-dessous :

La plateforme gazière de Sleipner, au large de la Norvège, est la toute première opération
mondiale de stockage de CO2.
Elle stocke depuis 1996 un million de tonnes de CO2 par an produites par l’extraction de gaz. Le CO2
est réinjecté dans un aquifère salin, à plus de 800 mètres
en-dessous du sol marin.



Soyez au coeur de l'information !

Tous les 3 mois, retrouvez 36 pages (en couleur) de brèves, interviews, articles, BD, alternatives concrètes, actions originales, luttes antinucléaires à l’étranger, décryptages, etc.

Je m'abonne à la revue du Réseau