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Sortir du nucléaire n°48



Hiver 2010-2011

Alerte au tritium

Le CEA contamine deux sites en Île-de-France : le Réseau révèle le scandale et porte plainte

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°48 - Hiver 2010-2011

 Risque nucléaire  Pollution radioactive
Article publié le : 1er février 2011


De Valduc (Côte d’Or) à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) en passant par Bondoufle (Essonne), l’armée nous contamine avec un "tamis moléculaire" utilisé pour filtrer du tritium contenu dans des gaz. Le Réseau "Sortir du nucléaire", qui a révélé ce scandale sanitaire, a porté plainte pour "mise en danger de la vie d’autrui". La CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité) a également déposé une plainte. Voici un point d’étape, rédigé mi-décembre, de cette contamination toujours en cours.



Valduc : des militaires irresponsables

Le centre de Valduc est une installation nucléaire du Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA), qui héberge la Direction des Applications Militaires. C’est sur ce site qu’est répertorié en 1996 le tamis moléculaire. En 2000 cet équipement est devenu très fortement radioactif. Mais lors d’un inventaire, il se trouve classé par erreur comme neuf, donc inoffensif : un membre du CEA s’est trompé de touche sur son clavier d’ordinateur. Petit geste lourd de conséquences : personne ne soupçonne la dangerosité du tamis, qui voyage et propage ses 200 milliards de becquerels.

Bondoufle : une contamination d’abord niée par l’ASN

Un communiqué de presse de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) du 9 novembre évoque le passage du tamis contaminé chez un chaudronnier prestataire du CEA : “Études et Diffusions”. L’ASN certifie alors que "les locaux ne présentent aucune trace de tritium". Mais le 14 décembre la même ASN affirmera le contraire, et le rapport de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) publié le 6 décembre détaille une contamination des locaux, des matériels, des végétaux et des personnels dans et autour de l’entreprise. Quant aux doses de radioactivité reçues, les chiffres fournis sont sujets à caution. L’IRSN lui-même reconnaît que "ses récentes investigations ne permettent pas d’en apprécier l’importance". Le 6 décembre, on trouvait encore dans l’entreprise deux bidons d’eau fortement contaminée, qui diffusent du tritium depuis des mois. D’autres bidons ont été retournés à Valduc, mais une partie de l’eau contaminée a été jetée dehors "par une porte de service", selon la déclaration d’un salarié.

Saint-Maur-des-Fossés : même le collège est contaminé

Du 29 avril jusqu’au 4 novembre 2010, on retrouve le tamis contaminé chez un autre prestataire du CEA, l’entreprise 2M Process. Ses locaux étant situés en pleine ville, la contamination touche salariés, mais aussi riverains et passants. Les tissus d’un commerçant voisin ont été vendus pendant des mois sans traçabilité possible. Le 29 octobre, un salarié de 2M Process vient à Valduc pour travailler en zone réglementée. L’analyse d’urine obligatoire révèle une dose radioactive de 2 994 500 béquerels par litre, selon l’IRSN. À l’entrée des locaux de 2M Process, la contamination en tritium a été mesurée comme cent fois supérieure à celle que l’on trouve autour des installations nucléaires les plus polluantes, et mille fois supérieure au niveau habituel, alors que 650 enfants fréquentent le collège Pissarro, situé à 200 mètres de là. Des prélèvements ne seront effectués dans ce collège qu’à partir du 25 novembre, longtemps après le pic de contamination maximale. Ils confirmeront la contamination de l’eau contenue dans un bassin à l’intérieur de l’enceinte scolaire. Les analyses de l’IRSN, parues jeudi 9 décembre, montrent que les rejets radioactifs se poursuivent à Saint-Maur plus d’un mois après le retrait de la source radioactive. Les locaux de l’entreprise sont devenus eux-mêmes une source de radioactivité.

Faute de contrôler la pollution radioactive, les autorités la minimisent

Les premières analyses de radioactivité des végétaux de l’IRSN à Saint-Maur ont été effectuées en majorité dans le sens contraire des vents dominants, qui propageaient le tritium en direction du collège. Les rapports publiés par l’IRSN les 15, 25 novembre et 2 décembre 2010 se contredisent quant au calendrier de la contamination. Ils n’apparaissent pas suffisants pour connaître les doses de radioactivité réellement reçues, et n’apportent aucune certitude sur la qualité et le nombre des personnes contaminées depuis le départ de Valduc. Des personnes ont été exposées et n’ont pas été recensées (mission pourtant confiée à l’IRSN par l’ASN dès le 4 novembre). Le tamis moléculaire a contaminé les locaux (habitations et ateliers), les végétaux, les eaux pluviales et les humains. Et ce ne sont pas les analyses pratiquées en novembre qui peuvent garantir que la contamination n’a pas mis en danger la population. La note d’information générale de l’ASN du 17 décembre minimise les conséquences sanitaires : les travailleurs ont reçu des doses maximales efficaces comprises entre 0,5 mSv (millisievert) et 5 mSv, "valeur inférieure à la limite annuelle réglementaire pour les travailleurs classés au sens du Code du travail fixée à 20 mSv par an". Or, jusqu’à preuve du contraire, les entreprises concernées ne sont pas habilitées à manipuler des sources de radioactivité. La contamination est donc certainement supérieure à la norme qui les concerne.

Questions en suspens

Comment se fait-il qu’un centre militaire du CEA, extrêmement sécurisé, répertorie comme sain du matériel hautement contaminé, et le laisse sortir sans contrôle ? Que fait l’ASND (Autorité de Sûreté Nucléaire Défense) compétente quand il s’agit de nucléaire militaire, et totalement absente de ce dossier ? Quelles sont les véritables dates et la durée de l’exposition au tritium ? Combien de personnes sont concernées, quelles sont exactement les doses reçues ? Comment l’ASN et l’IRSN peuvent-ils s’asseoir impunément sur la loi TSN du 13 juin 2006 qui garantit au public, en toute transparence, une information fiable et accessible en matière de sécurité nucléaire ?

Les autorités se taisent, ou tentent de banaliser l’affaire : peu de choses ont changé depuis l’accident de Tchernobyl en 1986. Ce scandale est parti pour durer. Le Réseau "Sortir du nucléaire", après l’avoir révélée, ne lâchera pas l’affaire.
En savoir plus sur le tritium
Le tritium a les mêmes propriétés chimiques que l’hydrogène, dont il est l’isotope radioactif. Il est fabriqué naturellement à très haute altitude, sous l’effet des rayonnements cosmiques. L’activité ordinaire du tritium (en dehors de la proximité des centrales nucléaires) est de 0,01 à 0,05 Bq/m3 dans l’air ambiant et de 1 à 4 Bq/l pour l’eau. Le tritium est très difficilement confinable ; il traverse les métaux et le béton. Les militaires s’en servent dans la fabrication des bombes atomiques et des ogives nucléaires. Les réacteurs nucléaires rejettent des quantités importantes de tritium dans l’environnement mais ce sont les usines de retraitement et certains centres militaires qui en produisent le plus. Les usines de la Hague (Manche) rejettent plus de tritium que l’ensemble des réacteurs nucléaires dans le monde. L’industrie nucléaire a longtemps considéré cet élément radioactif comme inoffensif, mais des études récentes montrent que la toxicité du tritium a été sous-évaluée, notamment quand il est absorbé par l’organisme. Il pénètre alors dans l’ADN des cellules. Une partie du tritium ingéré ou inhalé est éliminée (environ 97%), par contre les 3% restants se fixent aux molécules de l’organisme et certains experts évoquent une possible sous-estimation de l’efficacité biologique relative au rayonnement du tritium. L’IRSN reconnaît dans son rapport du 9 juillet 2010 "les lacunes de connaissances sur ses effets sanitaires et environnementaux" du tritium et demande dans le même document "une évaluation, dans des conditions réalistes d’exposition, des effets biologiques et sanitaires du tritium sur les organismes vivants". Or l’IRSN tenait un tout autre discours le 9 décembre sur la contamination radioactive de Saint-Maur, affirmant que les doses de tritium rejeté accidentellement représentent "des valeurs négligeables en termes de risque radiologique pour les écosystèmes et pour la santé humaine." Sur notre site Internet, davantage d’informations, et une cyberaction à signer en ligne : https://www.sortirdunucleaire.org/blogs/contamination-au-tritium

Valduc : des militaires irresponsables

Le centre de Valduc est une installation nucléaire du Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA), qui héberge la Direction des Applications Militaires. C’est sur ce site qu’est répertorié en 1996 le tamis moléculaire. En 2000 cet équipement est devenu très fortement radioactif. Mais lors d’un inventaire, il se trouve classé par erreur comme neuf, donc inoffensif : un membre du CEA s’est trompé de touche sur son clavier d’ordinateur. Petit geste lourd de conséquences : personne ne soupçonne la dangerosité du tamis, qui voyage et propage ses 200 milliards de becquerels.

Bondoufle : une contamination d’abord niée par l’ASN

Un communiqué de presse de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) du 9 novembre évoque le passage du tamis contaminé chez un chaudronnier prestataire du CEA : “Études et Diffusions”. L’ASN certifie alors que "les locaux ne présentent aucune trace de tritium". Mais le 14 décembre la même ASN affirmera le contraire, et le rapport de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) publié le 6 décembre détaille une contamination des locaux, des matériels, des végétaux et des personnels dans et autour de l’entreprise. Quant aux doses de radioactivité reçues, les chiffres fournis sont sujets à caution. L’IRSN lui-même reconnaît que "ses récentes investigations ne permettent pas d’en apprécier l’importance". Le 6 décembre, on trouvait encore dans l’entreprise deux bidons d’eau fortement contaminée, qui diffusent du tritium depuis des mois. D’autres bidons ont été retournés à Valduc, mais une partie de l’eau contaminée a été jetée dehors "par une porte de service", selon la déclaration d’un salarié.

Saint-Maur-des-Fossés : même le collège est contaminé

Du 29 avril jusqu’au 4 novembre 2010, on retrouve le tamis contaminé chez un autre prestataire du CEA, l’entreprise 2M Process. Ses locaux étant situés en pleine ville, la contamination touche salariés, mais aussi riverains et passants. Les tissus d’un commerçant voisin ont été vendus pendant des mois sans traçabilité possible. Le 29 octobre, un salarié de 2M Process vient à Valduc pour travailler en zone réglementée. L’analyse d’urine obligatoire révèle une dose radioactive de 2 994 500 béquerels par litre, selon l’IRSN. À l’entrée des locaux de 2M Process, la contamination en tritium a été mesurée comme cent fois supérieure à celle que l’on trouve autour des installations nucléaires les plus polluantes, et mille fois supérieure au niveau habituel, alors que 650 enfants fréquentent le collège Pissarro, situé à 200 mètres de là. Des prélèvements ne seront effectués dans ce collège qu’à partir du 25 novembre, longtemps après le pic de contamination maximale. Ils confirmeront la contamination de l’eau contenue dans un bassin à l’intérieur de l’enceinte scolaire. Les analyses de l’IRSN, parues jeudi 9 décembre, montrent que les rejets radioactifs se poursuivent à Saint-Maur plus d’un mois après le retrait de la source radioactive. Les locaux de l’entreprise sont devenus eux-mêmes une source de radioactivité.

Faute de contrôler la pollution radioactive, les autorités la minimisent

Les premières analyses de radioactivité des végétaux de l’IRSN à Saint-Maur ont été effectuées en majorité dans le sens contraire des vents dominants, qui propageaient le tritium en direction du collège. Les rapports publiés par l’IRSN les 15, 25 novembre et 2 décembre 2010 se contredisent quant au calendrier de la contamination. Ils n’apparaissent pas suffisants pour connaître les doses de radioactivité réellement reçues, et n’apportent aucune certitude sur la qualité et le nombre des personnes contaminées depuis le départ de Valduc. Des personnes ont été exposées et n’ont pas été recensées (mission pourtant confiée à l’IRSN par l’ASN dès le 4 novembre). Le tamis moléculaire a contaminé les locaux (habitations et ateliers), les végétaux, les eaux pluviales et les humains. Et ce ne sont pas les analyses pratiquées en novembre qui peuvent garantir que la contamination n’a pas mis en danger la population. La note d’information générale de l’ASN du 17 décembre minimise les conséquences sanitaires : les travailleurs ont reçu des doses maximales efficaces comprises entre 0,5 mSv (millisievert) et 5 mSv, "valeur inférieure à la limite annuelle réglementaire pour les travailleurs classés au sens du Code du travail fixée à 20 mSv par an". Or, jusqu’à preuve du contraire, les entreprises concernées ne sont pas habilitées à manipuler des sources de radioactivité. La contamination est donc certainement supérieure à la norme qui les concerne.

Questions en suspens

Comment se fait-il qu’un centre militaire du CEA, extrêmement sécurisé, répertorie comme sain du matériel hautement contaminé, et le laisse sortir sans contrôle ? Que fait l’ASND (Autorité de Sûreté Nucléaire Défense) compétente quand il s’agit de nucléaire militaire, et totalement absente de ce dossier ? Quelles sont les véritables dates et la durée de l’exposition au tritium ? Combien de personnes sont concernées, quelles sont exactement les doses reçues ? Comment l’ASN et l’IRSN peuvent-ils s’asseoir impunément sur la loi TSN du 13 juin 2006 qui garantit au public, en toute transparence, une information fiable et accessible en matière de sécurité nucléaire ?

Les autorités se taisent, ou tentent de banaliser l’affaire : peu de choses ont changé depuis l’accident de Tchernobyl en 1986. Ce scandale est parti pour durer. Le Réseau "Sortir du nucléaire", après l’avoir révélée, ne lâchera pas l’affaire.
En savoir plus sur le tritium
Le tritium a les mêmes propriétés chimiques que l’hydrogène, dont il est l’isotope radioactif. Il est fabriqué naturellement à très haute altitude, sous l’effet des rayonnements cosmiques. L’activité ordinaire du tritium (en dehors de la proximité des centrales nucléaires) est de 0,01 à 0,05 Bq/m3 dans l’air ambiant et de 1 à 4 Bq/l pour l’eau. Le tritium est très difficilement confinable ; il traverse les métaux et le béton. Les militaires s’en servent dans la fabrication des bombes atomiques et des ogives nucléaires. Les réacteurs nucléaires rejettent des quantités importantes de tritium dans l’environnement mais ce sont les usines de retraitement et certains centres militaires qui en produisent le plus. Les usines de la Hague (Manche) rejettent plus de tritium que l’ensemble des réacteurs nucléaires dans le monde. L’industrie nucléaire a longtemps considéré cet élément radioactif comme inoffensif, mais des études récentes montrent que la toxicité du tritium a été sous-évaluée, notamment quand il est absorbé par l’organisme. Il pénètre alors dans l’ADN des cellules. Une partie du tritium ingéré ou inhalé est éliminée (environ 97%), par contre les 3% restants se fixent aux molécules de l’organisme et certains experts évoquent une possible sous-estimation de l’efficacité biologique relative au rayonnement du tritium. L’IRSN reconnaît dans son rapport du 9 juillet 2010 "les lacunes de connaissances sur ses effets sanitaires et environnementaux" du tritium et demande dans le même document "une évaluation, dans des conditions réalistes d’exposition, des effets biologiques et sanitaires du tritium sur les organismes vivants". Or l’IRSN tenait un tout autre discours le 9 décembre sur la contamination radioactive de Saint-Maur, affirmant que les doses de tritium rejeté accidentellement représentent "des valeurs négligeables en termes de risque radiologique pour les écosystèmes et pour la santé humaine." Sur notre site Internet, davantage d’informations, et une cyberaction à signer en ligne : https://www.sortirdunucleaire.org/blogs/contamination-au-tritium



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