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Sortir du nucléaire n°99



Automne 2023
Crédit photo : Miguel Alcantara - Unsplash

Dossier : Nucléaire et pop culture

La fiction radiophonique : un médium privilégié pour alerter sur les dangers du nucléaire ?

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°99 - Automne 2023

 Culture antinucléaire  Risque nucléaire
Article publié le : 6 octobre 2023


Qu’ont en commun les fictions Plateforme 70 ou l’Âge atomique et Le Nuage ? Elles permettent, chacune à leur époque et à leur façon, de prendre conscience des risques du nucléaire à travers un médium sonore : la radio.



« Je dois vous faire une importante communication ». C’est ainsi que, le 4 février 1946, le professeur Hélium commence son allocution à la RDF (ex RTF). Il se présente comme un membre de l’Institut Mondial de Recherche Atomique (IMRA) et a des révélations fracassantes à transmettre : des savants qui travaillent sur la désintégration de l’atome ont perdu le contrôle de leur expérience. Les accidents se multiplient, documentés en direct à la radio.

Vous n’avez pas raté un fait majeur de l’histoire du nucléaire en France : il s’agissait évidemment d’un canular. Le journaliste Jean Nocher, à l’origine de la fiction radiophonique Plateforme 70 ou l’Âge atomique, le révèle à la fin. Mais il semblerait que des auditeur·ices y ont cru : 28 000 courriers auraient été reçus à la radio. Le nombre a peut-être été légèrement surestimé [1] mais le contexte est propice à l’inquiétude : six mois auparavant, les 6 et 9 août 1945, deux bombes nucléaires étaient lâchées sur les villes de Hiroshima et Nagasaki. La fausse information résonne donc fortement avec le réel. D’autant que le format renforce le réalisme de celle-ci. D’après Simone Douek "les informations données en direct [à la radio] tendent à renforcer l’effet du réel, puisque le temps du locuteur correspond rigoureusement à celui de l’auditeur" [2].

Le format de la fiction Le Nuage n’est pas le même, mais l’effet produit présente des similitudes. Dans cette série de podcasts, réalisée par Aurore Meyer-Mahieu en 2020, on suit Julia Roch-Rivière, directrice de la centrale nucléaire du Douvrey dans sa gestion d’une catastrophe en cours. Sous l’effet de la canicule, un réacteur est en surchauffe et l’accident est proche. L’auditeur·ice sait qu’il s’agit d’une fiction. La plupart des commentaires laissés sur une autre plateforme où il a été diffusé sont élogieux [3]. Le réalisme des scènes est saisissant. Les bruitages sont ciselés. Le travail de Nicolas Becker, designer sonore, ainsi que le matériel et les techniques utilisés (micro qui enregistre à 360°, enregistrement en extérieur [4]…) placent l’auditeur·ice au cœur de l’action, partageant les émotions des personnages principaux. Auprès du Figaro, la réalisatrice justifie ces choix : "Pour représenter cette menace invisible, l’audio apparaît comme le vecteur idéal. Hautement suggestif, le son permet de stimuler l’imagination, et l’auditeur crée ses propres représentations." Et il ou elle se retrouve immergé·e dans un présent fictif qui ressemble malheureusement beaucoup au nôtre [5].

Marion Rivet


Notes

[1Fabrice Picon documente le fait que les réactions d’auditeur·ices puis médiatiques auraient pu être alimentées par la volonté d’évincer le directeur de la RDF. Picon, Fabrice, Claude Bourder, intellectuel résistant : éthique contestataire et journalisme, de la résistance à la nouvelle gauche (1928-1958), mai 2014. https://etda.libraries.psu.edu/files/final_submissions/9512

[2Douek, Simone, L’acte radiophonique, une esthétique du documentaire, Creaphiseditions, 2021, p.10

[3Nouvelles écoutes, Le Nuage, Épisode 01, 14 déc. 2020, Youtube

[4Making-of du podcast Le Nuage par Nouvelles Écoutes, 2020. Disponible sur Youtube

[5Cette année comme la précédente, l’activité de plusieurs réacteurs a dû être ralentie à cause de la température élevée des cours d’eau où ils puisent pour leur refroidissement : https://s.42l.fr/france3-aura-centrales-bugey-tricastin-canicule

« Je dois vous faire une importante communication ». C’est ainsi que, le 4 février 1946, le professeur Hélium commence son allocution à la RDF (ex RTF). Il se présente comme un membre de l’Institut Mondial de Recherche Atomique (IMRA) et a des révélations fracassantes à transmettre : des savants qui travaillent sur la désintégration de l’atome ont perdu le contrôle de leur expérience. Les accidents se multiplient, documentés en direct à la radio.

Vous n’avez pas raté un fait majeur de l’histoire du nucléaire en France : il s’agissait évidemment d’un canular. Le journaliste Jean Nocher, à l’origine de la fiction radiophonique Plateforme 70 ou l’Âge atomique, le révèle à la fin. Mais il semblerait que des auditeur·ices y ont cru : 28 000 courriers auraient été reçus à la radio. Le nombre a peut-être été légèrement surestimé [1] mais le contexte est propice à l’inquiétude : six mois auparavant, les 6 et 9 août 1945, deux bombes nucléaires étaient lâchées sur les villes de Hiroshima et Nagasaki. La fausse information résonne donc fortement avec le réel. D’autant que le format renforce le réalisme de celle-ci. D’après Simone Douek "les informations données en direct [à la radio] tendent à renforcer l’effet du réel, puisque le temps du locuteur correspond rigoureusement à celui de l’auditeur" [2].

Le format de la fiction Le Nuage n’est pas le même, mais l’effet produit présente des similitudes. Dans cette série de podcasts, réalisée par Aurore Meyer-Mahieu en 2020, on suit Julia Roch-Rivière, directrice de la centrale nucléaire du Douvrey dans sa gestion d’une catastrophe en cours. Sous l’effet de la canicule, un réacteur est en surchauffe et l’accident est proche. L’auditeur·ice sait qu’il s’agit d’une fiction. La plupart des commentaires laissés sur une autre plateforme où il a été diffusé sont élogieux [3]. Le réalisme des scènes est saisissant. Les bruitages sont ciselés. Le travail de Nicolas Becker, designer sonore, ainsi que le matériel et les techniques utilisés (micro qui enregistre à 360°, enregistrement en extérieur [4]…) placent l’auditeur·ice au cœur de l’action, partageant les émotions des personnages principaux. Auprès du Figaro, la réalisatrice justifie ces choix : "Pour représenter cette menace invisible, l’audio apparaît comme le vecteur idéal. Hautement suggestif, le son permet de stimuler l’imagination, et l’auditeur crée ses propres représentations." Et il ou elle se retrouve immergé·e dans un présent fictif qui ressemble malheureusement beaucoup au nôtre [5].

Marion Rivet



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