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Sortir du nucléaire n°72



Février 2017

L’éolien citoyen a le vent dans le dos

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°72 - Février 2017



Le premier parc éolien citoyen de France est en activité depuis bientôt deux ans à Béganne, en Bretagne. Financé par plus de mille habitants, il fournit de l’électricité à 8 000 foyers. Si les investisseurs, souvent militants, n’ont pas encore touché de dividendes, ils se réjouissent de ces premières années de fonctionnement. Et n’hésitent pas à remettre la main au porte-monnaie pour d’autres projets similaires.



La départementale 137 entre Béganne et Saint-Gorgon, dans le Morbihan, n’est pas la route la plus fréquentée du coin. Quelques maisons se dressent le long du serpentin bitumé. La forêt devient plus dense à mesure que l’on approche de la petite colline qui domine le territoire. Les vaches qui paissent dans les champs ne portent aucune attention aux quatre formes longilignes d’un blanc argile qui dominent Béganne et ses environs. En cette fin avril, le temps nuageux n’empêche pas le vent de se lever et d’accélérer, au fil des rafales, les pales de ces géants d’acier. Au pied de la colline ou quelques kilomètres plus loin, quelque 8 000 foyers profitent du travail continu des éoliennes lorsqu’ils allument la lumière ou enfournent un plat pour le dîner.

Au cœur du triangle qui unit Rennes, Nantes et Vannes, le pays de Redon est un territoire rural avec "peu de ressources", comme le confesse Michel Leclercq, vice-président d’Éolienne en Pays de Vilaine (EPV). En revanche, les idées et initiatives y fleurissent grâce à une forte mobilisation associative. "On est un territoire pauvre, si on ne se bouge, pas, il ne se passe rien. Comme il n’y a pas de grosses structures, on doit se prendre en main", résume le sexagénaire au physique élancé, avec des cheveux blancs qui semblent perpétuellement décoiffés. Le mouvement des "Paysans travailleurs", qui participera à la fondation de la Confédération paysanne, est né ici. De même que le premier parc éolien citoyen en France, mis en service au printemps 2014 et exploité par la SAS Bégawatts, créée pour l’occasion.. Le projet est parti, à l’origine, d’une discussion entre un agriculteur et Michel Leclercq en 2003. Il aura fallu dix ans et douze millions d’euros d’investissement de la part de plus de mille citoyens pour l’entériner.

Investissement de mille citoyens

Regroupés en 53 clubs Cigales (Club d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire) allant de cinq à vingt personnes, des acteurs locaux ont mis une partie de leur épargne en commun pour faire pousser quatre éoliennes au milieu des champs et des forêts. Edgar Wolf, 66 ans et résidant de Béganne, a adhéré à l’idée dès son aménagement dans le pays de Redon. S’il n’a pas eu de retour sur investissement pour le moment – les premiers sont prévus pour 2018, avec l’objectif d’atteindre rapidement un taux de l’ordre de 4 % – il ne regrette en rien d’avoir avancé son argent dans ce projet risqué. "J’ai mis 500 € entre 2008 et 2009. Je n’avais pas plus. Le fait d’investir, c’était avant tout un acte militant. On sait être patient. D’autant plus qu’il s’agit d’un projet précurseur en France", explique le gérant du club d’investisseurs Vent des Gréés qui avait eu connaissance de réalisations similaires à l’étranger. Traducteur-interprète avec un léger accent allemand qui trahit ses origines, il représente d’ailleurs depuis plusieurs années le parc éolien de Béganne lors de rencontres internationales aux Pays-Bas, en Irlande ou encore en Belgique pour "échanger des savoir-faire et monter des projets communs"

"1000 € pour chacun de mes enfants"

D’autres habitants ont investi moins de leur temps, mais plus d’argent. André Le Thiec a, lui, engagé la somme maximale permise par une Cigales, à savoir 5 500 euros. "J’ai fait pareil au nom de ma femme à un an d’intervalle", précise l’homme de 68 ans, qui embraye sur son premier contact avec EPV. "Ma fille, qui habite Redon, m’appelle un jour pour me parler du projet du parc éolien et me dit de les contacter. Elle savait que j’avais toujours dit qu’une éolienne serait parfaite sur une parcelle de mon terrain, sur une petite crête. Et comme il y avait déjà eu deux échecs dans la recherche de site pouvant accueillir le parc éolien, c’était l’occasion ou jamais". La deuxième éolienne, entourée de sapins, se dresse désormais sur la partie la plus éloignée du terrain qu’il a hérité de ses parents. Une rente de 3 000 euros par an lui est assurée par la location de sa parcelle. Mais il affirme "ne pas avoir investi à but lucratif mais bien pour le projet citoyen".

Marie-Anne Tricot, réticente au nucléaire depuis longtemps, a, elle, investi "2 000 euros pour mon couple et 1 000 euros pour chacun de mes deux enfants. Cet investissement militant vient en lien avec une réflexion que mon mari et moi avons pour quitter EDF et rejoindre Enercoop, fournisseur français d’électricité d’origine renouvelable", explique la femme de 61 ans.

Une électricité rachetée par EDF

À l’heure du bilan, après presque deux ans d’exploitation du parc éolien, Michel Leclercq ne peut s’empêcher de sourire. "Quand on a réfléchi à notre utopie, on ne pensait pas que cela allait être aussi difficile, lâche le vice-président d’EPV. On s’est un peu planté sur la relation avec les riverains, surtout au niveau de l’acoustique", admet Michel Leclercq, lunettes sur le nez. Certains habitants se sont plaints du niveau sonore trop élevé des éoliennes lors de leur mise en service, période au cours de laquelle les pâles tournent à plein régime. "On a limité la puissance de la machine par la suite, rassure le militant écolo à la base du projet. Le point positif, c’est que l’on ne s’est pas planté dans le domaine financier". La SAS Bégawatts, société exploitant le parc, a réalisé un chiffre d’affaires de près d’1,5 million d’euros après un an d’exploitation. La production ayant été plus importante que prévue (18 465 Mwh, soit 1,5 % de plus que les estimations), le capital des emprunts a pu être remboursé et le compte de réserve exigé par les banques renfloué. L’électricité produite par les quatre éoliennes est vendue à EDF au tarif d’achat fixé par l’État, c’est-à-dire à 8,2 centimes€/kwh pendant dix ans puis, en fonction de la production des dix premières années, entre 2,8 et 8,2 centimes €/kwh pendant cinq ans.

Ouverture d’un deuxième parc éolien

Outre les retombées économiques pour le territoire, d’autres résultats positifs, qui n’étaient pas forcément prévus, sont visibles. "De manière générale, j’ai pu observer la vertu pédagogique d’un tel projet. Les gens sont maintenant au fait des actions dans la maîtrise d’énergie, et surtout dans l’éolien", confie Michel Leclercq. "On fait plus encore attention à notre consommation énergétique, non seulement à la maison mais aussi sur notre lieu de travail", ajoute Marie-Anne Tricot, qui travaille dans le secteur de la petite enfance et assure donc la transmission de gestes simples mais écologiques aux enfants. Aux bambins des autres mais aussi à ses propres enfants, dont le fils, fibre écolo familiale oblige, a fait construire une maison basse-consommation. Pour le vice-président d’EPV, ce projet précurseur est surtout l’occasion d’encourager l’investissement dans d’autres initiatives du même type. "On espère ainsi, après avoir créé des outils d’investissement locaux, que les clubs se lancent dans le financement d’autres projets", dit-il. Et il peut être rassuré. Sur les 53 Cigales qui se sont lancés dans le projet de Béganne, une trentaine a investi dans le deuxième parc éolien citoyen porté par la même équipe. Il sera inauguré le 7 mai prochain à Sévérac, petite bourgade du nord de la Loire-Atlantique. Un troisième projet est même en cours d’étude à Avessac (44). Les éoliennes citoyennes n’ont pas fini d’essaimer dans l’ouest de la France.

Baptiste Langlois

Cet article a été primé dans le cadre du Prix Gide "du meilleur reportage en économie sociale" de la Fondation Crédit Coopératif.

La départementale 137 entre Béganne et Saint-Gorgon, dans le Morbihan, n’est pas la route la plus fréquentée du coin. Quelques maisons se dressent le long du serpentin bitumé. La forêt devient plus dense à mesure que l’on approche de la petite colline qui domine le territoire. Les vaches qui paissent dans les champs ne portent aucune attention aux quatre formes longilignes d’un blanc argile qui dominent Béganne et ses environs. En cette fin avril, le temps nuageux n’empêche pas le vent de se lever et d’accélérer, au fil des rafales, les pales de ces géants d’acier. Au pied de la colline ou quelques kilomètres plus loin, quelque 8 000 foyers profitent du travail continu des éoliennes lorsqu’ils allument la lumière ou enfournent un plat pour le dîner.

Au cœur du triangle qui unit Rennes, Nantes et Vannes, le pays de Redon est un territoire rural avec "peu de ressources", comme le confesse Michel Leclercq, vice-président d’Éolienne en Pays de Vilaine (EPV). En revanche, les idées et initiatives y fleurissent grâce à une forte mobilisation associative. "On est un territoire pauvre, si on ne se bouge, pas, il ne se passe rien. Comme il n’y a pas de grosses structures, on doit se prendre en main", résume le sexagénaire au physique élancé, avec des cheveux blancs qui semblent perpétuellement décoiffés. Le mouvement des "Paysans travailleurs", qui participera à la fondation de la Confédération paysanne, est né ici. De même que le premier parc éolien citoyen en France, mis en service au printemps 2014 et exploité par la SAS Bégawatts, créée pour l’occasion.. Le projet est parti, à l’origine, d’une discussion entre un agriculteur et Michel Leclercq en 2003. Il aura fallu dix ans et douze millions d’euros d’investissement de la part de plus de mille citoyens pour l’entériner.

Investissement de mille citoyens

Regroupés en 53 clubs Cigales (Club d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire) allant de cinq à vingt personnes, des acteurs locaux ont mis une partie de leur épargne en commun pour faire pousser quatre éoliennes au milieu des champs et des forêts. Edgar Wolf, 66 ans et résidant de Béganne, a adhéré à l’idée dès son aménagement dans le pays de Redon. S’il n’a pas eu de retour sur investissement pour le moment – les premiers sont prévus pour 2018, avec l’objectif d’atteindre rapidement un taux de l’ordre de 4 % – il ne regrette en rien d’avoir avancé son argent dans ce projet risqué. "J’ai mis 500 € entre 2008 et 2009. Je n’avais pas plus. Le fait d’investir, c’était avant tout un acte militant. On sait être patient. D’autant plus qu’il s’agit d’un projet précurseur en France", explique le gérant du club d’investisseurs Vent des Gréés qui avait eu connaissance de réalisations similaires à l’étranger. Traducteur-interprète avec un léger accent allemand qui trahit ses origines, il représente d’ailleurs depuis plusieurs années le parc éolien de Béganne lors de rencontres internationales aux Pays-Bas, en Irlande ou encore en Belgique pour "échanger des savoir-faire et monter des projets communs"

"1000 € pour chacun de mes enfants"

D’autres habitants ont investi moins de leur temps, mais plus d’argent. André Le Thiec a, lui, engagé la somme maximale permise par une Cigales, à savoir 5 500 euros. "J’ai fait pareil au nom de ma femme à un an d’intervalle", précise l’homme de 68 ans, qui embraye sur son premier contact avec EPV. "Ma fille, qui habite Redon, m’appelle un jour pour me parler du projet du parc éolien et me dit de les contacter. Elle savait que j’avais toujours dit qu’une éolienne serait parfaite sur une parcelle de mon terrain, sur une petite crête. Et comme il y avait déjà eu deux échecs dans la recherche de site pouvant accueillir le parc éolien, c’était l’occasion ou jamais". La deuxième éolienne, entourée de sapins, se dresse désormais sur la partie la plus éloignée du terrain qu’il a hérité de ses parents. Une rente de 3 000 euros par an lui est assurée par la location de sa parcelle. Mais il affirme "ne pas avoir investi à but lucratif mais bien pour le projet citoyen".

Marie-Anne Tricot, réticente au nucléaire depuis longtemps, a, elle, investi "2 000 euros pour mon couple et 1 000 euros pour chacun de mes deux enfants. Cet investissement militant vient en lien avec une réflexion que mon mari et moi avons pour quitter EDF et rejoindre Enercoop, fournisseur français d’électricité d’origine renouvelable", explique la femme de 61 ans.

Une électricité rachetée par EDF

À l’heure du bilan, après presque deux ans d’exploitation du parc éolien, Michel Leclercq ne peut s’empêcher de sourire. "Quand on a réfléchi à notre utopie, on ne pensait pas que cela allait être aussi difficile, lâche le vice-président d’EPV. On s’est un peu planté sur la relation avec les riverains, surtout au niveau de l’acoustique", admet Michel Leclercq, lunettes sur le nez. Certains habitants se sont plaints du niveau sonore trop élevé des éoliennes lors de leur mise en service, période au cours de laquelle les pâles tournent à plein régime. "On a limité la puissance de la machine par la suite, rassure le militant écolo à la base du projet. Le point positif, c’est que l’on ne s’est pas planté dans le domaine financier". La SAS Bégawatts, société exploitant le parc, a réalisé un chiffre d’affaires de près d’1,5 million d’euros après un an d’exploitation. La production ayant été plus importante que prévue (18 465 Mwh, soit 1,5 % de plus que les estimations), le capital des emprunts a pu être remboursé et le compte de réserve exigé par les banques renfloué. L’électricité produite par les quatre éoliennes est vendue à EDF au tarif d’achat fixé par l’État, c’est-à-dire à 8,2 centimes€/kwh pendant dix ans puis, en fonction de la production des dix premières années, entre 2,8 et 8,2 centimes €/kwh pendant cinq ans.

Ouverture d’un deuxième parc éolien

Outre les retombées économiques pour le territoire, d’autres résultats positifs, qui n’étaient pas forcément prévus, sont visibles. "De manière générale, j’ai pu observer la vertu pédagogique d’un tel projet. Les gens sont maintenant au fait des actions dans la maîtrise d’énergie, et surtout dans l’éolien", confie Michel Leclercq. "On fait plus encore attention à notre consommation énergétique, non seulement à la maison mais aussi sur notre lieu de travail", ajoute Marie-Anne Tricot, qui travaille dans le secteur de la petite enfance et assure donc la transmission de gestes simples mais écologiques aux enfants. Aux bambins des autres mais aussi à ses propres enfants, dont le fils, fibre écolo familiale oblige, a fait construire une maison basse-consommation. Pour le vice-président d’EPV, ce projet précurseur est surtout l’occasion d’encourager l’investissement dans d’autres initiatives du même type. "On espère ainsi, après avoir créé des outils d’investissement locaux, que les clubs se lancent dans le financement d’autres projets", dit-il. Et il peut être rassuré. Sur les 53 Cigales qui se sont lancés dans le projet de Béganne, une trentaine a investi dans le deuxième parc éolien citoyen porté par la même équipe. Il sera inauguré le 7 mai prochain à Sévérac, petite bourgade du nord de la Loire-Atlantique. Un troisième projet est même en cours d’étude à Avessac (44). Les éoliennes citoyennes n’ont pas fini d’essaimer dans l’ouest de la France.

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Cet article a été primé dans le cadre du Prix Gide "du meilleur reportage en économie sociale" de la Fondation Crédit Coopératif.



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