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Sortir du nucléaire n°27



Juillet 2005

Réflexion

L’alibi politique des utopies technologiques

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°27 - Juillet 2005

 Politique énergétique  Nucléaire et climat
Article publié le : 1er juillet 2005


Pétrole à 50 dollars le baril, réchauffement climatique, alerte au terrorisme nucléaire, sans compter la pollution des villes, tous les clignotants énergétiques sont au rouge. Alors, comme dans toutes les périodes de crise, apparaissent de nouveaux prophètes qui, nous disent-ils, vont nous sauver du désastre annoncé, pour peu qu’on les écoute.



En ce début de siècle de technologie triomphante c’est évidemment dans la science et la technologie qu’ils trouvent leur inspiration. Pour l’énergie, de la fusion thermonucléaire contrôlée à l’enfouissement dans le sous sol terrestre du gaz carbonique émis par nos centrales à charbon, de la « civilisation de l’hydrogène » aux satellites solaires, ces nouveaux gourous et leurs adeptes nous proposent une large panoplie de solutions définitives au problème mondial de l’énergie.

Des gourous pour des solutions toutes faites

Les zélateurs de ces solutions, plus ou moins vraisemblables sur le plan de la physique, leur attribuent quelques caractéristiques évidemment alléchantes :

- Leur capacité potentielle à résoudre définitivement ou presque et pour des siècles, voire pour l’éternité, les problèmes énergétiques croissants auxquels l’humanité va se trouver confrontée,

- Leur totale innocuité environnementale, la très faible probabilité d’occurrence et la bénignité des accidents qui pourraient éventuellement survenir,

- Leur très faible coût, dès les étapes indispensables de la démonstration de faisabilité et du développement industriel franchies.

Reste, bien entendu, à trouver les ressources financières pour franchir ces étapes, mais vu l’ampleur de l’enjeu d’un succès, ce n’est qu’une goutte d’eau puisque dans 30 à 100 ans selon les technologies proposées, l’humanité sera définitivement à l’abri de tout souci énergétique.

Comment ne pas être convaincu devant ces images enthousiasmantes ?

Comme tout le monde ou presque admet sans discussion l’ampleur des enjeux en cause, le débat se focalise sur les chances du succès, son échéance, sur les coûts de mise au point, voire même sur le pays qui aura l’avantage et l’honneur de voir les premiers prototypes s’implanter sur son sol. C’est le cas aujourd’hui pour ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor), le projet de fusion thermonucléaire : François d’Aubert, devant le refus des Etats-Unis et du Japon de participer à l’aventure, vient de proposer que la France double sa mise initiale de 457 millions d’euros à 914 millions d’euros dans le financement de la construction d’ITER (c’est plus de trente années de financement de la recherche en France sur les renouvelables au rythme actuel), à condition que l’Europe décide sans plus tarder d’implanter le réacteur à Cadarache.

Par contre, personne ne semble s’être un instant posé en France la question de savoir pourquoi le Japon et les Etats-Unis, pourtant impliqués dès l’origine dans ce projet, le quittaient sur la pointe des pieds.

Et c’est bien là qu’est le problème ! C’est bien de supputer les chances, mais c’est encore plus important d’analyser les conséquences du succès de ces technologies, car après tout, si on assure le financement nécessaire à nos chercheurs, il n’y a pas de raison qu’ils ne parviennent pas à leurs fins.

ITER et fusion nucléaire

Revenons sur l’exemple de la fusion et le réacteur ITER. Pour réaliser la réaction prévue, il faut faire fusionner deux atomes, l’un de deutérium que l’on trouve en très petite quantité dans l’eau de mer, l’autre de tritium, introuvable sur terre et qu’on se propose de produire à partir de lithium. On obtient par fusion de l’hélium et des neutrons de très grande énergie qu’il faut ensuite capter, transformer en chaleur pour produire de la vapeur ou un gaz à haute température, détendre le tout dans une turbine, pour enfin produire de l’électricité. Mais à quel coût énergétique ? Les publications des tenants de ce projet sont muettes sur ces questions cruciales.

On omet aussi de dire qu’un tel réacteur produit des neutrons, dix fois plus puissants que ceux des réacteurs de fission, neutrons qui vont fragiliser et user très rapidement les parois du réacteur qu’il faudra remplacer régulièrement. Et l’impact de neutrons sur le métal le transforme à son tour en produit radioactif… A chaque opération de remplacement des parois (un cinquième environ tous les ans) on déchargera une masse de matériaux usés dont la radioactivité sera de l’ordre de grandeur de celle d’un coeur de nos centrales actuelles à fission. On évite enfin soigneusement de mettre en débat le moyen de se prémunir contre les risques de prolifération qu’engendre le tritium, composant très apprécié à petites doses (quelques grammes) des bombes atomiques « modernes »…

En cas de « succès », on le voit, la solution proposée risque bien de soulever de nouvelles questions encore plus redoutables que la question initiale posée, celle de l’approvisionnement mondial en énergie. Et puis surtout personne n’imagine une pénétration massive de la fusion avant la fin du siècle, alors que l’action que nous devons engager pour lutter contre le changement climatique est urgente si l’on veut éviter la catastrophe.

L’hydrogène et la pile à combustible : bonne ou mauvaise solution ?

C’est vrai que la recherche a permis des progrès importants depuis une dizaine d’années : les piles à combustible transforment l’hydrogène en électricité avec des rendements bien meilleurs que nos vieux moteurs à essence (60 % contre 35 à 40 % pour les moteurs à essence). Mais on oublie la plupart du temps de dire que l’hydrogène n’existe pas à l’état libre dans la nature et qu’il faut donc l’extraire, soit des hydrocarbures, soit de l’eau, que cela va coûter de l’énergie, beaucoup d’énergie, et donc entraîner de nouveaux problèmes. Si l’on part du méthane par exemple, on obtiendra de l’hydrogène avec un rendement de l’ordre de 60 % :on consommera donc une ressource fossile qu’on voudrait économiser, et d’autre part la réaction dégage du gaz carbonique qu’on voudrait bien justement éviter . Il faut dépenser environ 5 kWh de chaleur pour obtenir 1 m3 d’hydrogène, à son tour susceptible de fournir 3 kWh de chaleur par combustion ou 1,8 kWh d’électricité dans une pile à combustible. Si l’on part de l’eau, le plus simple est de la décomposer avec de l’électricité par électrolyse pour séparer l’oxygène de l’hydrogène. Mais il faut aujourd’hui environ 5 kWh d’électricité pour obtenir 1 m3 d’hydrogène. Et la production de l’électricité nécessaire entraîne à son tour des pertes. Si l’électricité est d’origine fossile, la dépense totale d’énergie par m3 atteint de 7,7 à 9 kWh avec une émission associée de 2,4 à 2,8 kg de CO2. Si elle est d’origine nucléaire, pas d’émissions mais les risques spécifiques du nucléaire. Si elle est d’origine renouvelable, elle échappe aux deux critiques précédentes mais reste le problème du rendement global, de l’intermittence et de la dispersion de certaines de ces sources (solaire, éolien) dont les procédés industriels de fabrication d’hydrogène s’accommodent mal.

Bref, le bilan global de l’opération est loin d’être aussi brillant qu’on veut bien nous le dire. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il n’y a aucun espace pour cette innovation : des créneaux d’utilisation s’ouvriront sûrement à la fois pour les transports et la production décentralisée d’électricité, mais ils ont toutes chances de rester limités dans les 50 ans qui viennent.

Capter les gaz à effet de serre pour éviter le réchauffement climatique ?

Même genre de problème avec le captage et le stockage dans le sous sol terrestre du gaz carbonique (CO2) produit par les centrales thermiques à charbon ou à gaz qui sont souvent présentées comme la solution miracle et à portée de la main, pour glisser nos émissions sous le tapis et éviter le réchauffement climatique sans nous restreindre en énergie. On devrait pouvoir stocker une bonne part du CO2 produit par ces centrales, à condition d’admettre un surcroît de consommation d’énergies fossiles de 20 à 30% (et donc de gaz carbonique), nécessaires à la séparation du CO2 des fumées, et au transport jusqu’aux puits pétroliers à sec où l’on pense les stocker.

A priori vu l’extension des besoins d’électricité mondiaux qui seront très probablement satisfaits à partir d’énergies fossiles, 20 % des émissions cumulées de CO2 du siècle prochain (10 % des émissions totales de gaz à effet de serre) pourraient être concernées par cette technique, si elle se répandait systématiquement au niveau mondial. Mais quand on regarde les capacités de stockage dans les champs pétroliers (stockage le plus maîtrisé à l’heure actuelle) il faut modérer notre enthousiasme et cela pour deux raisons. La première est la localisation des puits. En effet, les cartes des centrales thermiques et des puits pétroliers se recouvrent très mal sauf dans certaines régions (les Etats-Unis par exemple) : les capacités de stockage du Moyen-Orient ou de la Russie sont éloignées de plusieurs milliers de km des grands centres de concentration humaine ou industrielle européens ou asiatiques où seront implantées la plupart des centrales. Des pays comme la Chine ou l’Inde qui devraient multiplier leurs centrales à charbon disposent de très peu de capacités de stockage dans les champs d’hydrocarbure par rapport à leur émissions de CO2. Et puis le stockage doit respecter la dynamique de déplétion des puits en activité. Si l’on tient compte de ces contraintes, on s’aperçoit que la quantité réellement stockable de CO2 se réduit en peau de chagrin pour tomber autour de quelques pour cent des émissions cumulées du vingt et unième siècle. On peut certes envisager d’autres sites de stockage comme les aquifères salins, les veines de charbon inexploitées, ou même les fosses océaniques, mais là on est encore dans l’incertitude sur les risques environnementaux associés. Cela ne veut évidemment pas dire que le captage stockage du CO2 n’est pas une bonne solution industrielle ponctuelle, mais simplement qu’elle a peu de chances de modifier fondamentalement le problème de la réduction indispensable des émissions de CO2 au cours du vingt et unième siècle.

Un dernier exemple, celui du stockage de CO2 par la biomasse. L’idée est simple et ne suppose même pas de révolution technologique : replanter des forêts partout où c’est possible. Pendant qu’elle pousse, on stocke du CO2. Bien entendu il faut un jour, 50 ou 100 ans après, la couper, sinon elle finira par pourrir sur place. On peut en faire des charpentes ou des meubles, et continuer ainsi à stocker le carbone pour un temps, ou brûler le bois. On relargue certes le CO2 dans l’atmosphère, mais il sera absorbé de nouveau par la repousse de la forêt, et on économise des combustibles fossiles. Mais où faire pousser en masse des forêts ? On s’aperçoit bien vite que, pour dégager les centaines de millions d’hectares nécessaires, en particulier en Afrique, en Amérique latine et en Asie, il faut impérativement que les rendements agricoles de ces régions atteignent des valeurs comparables aux valeurs européennes. Pour être significatif au plan mondial un tel scénario suppose donc une très forte intensification de l’agriculture des pays en développement. Mais cette intensification est en elle-même un enjeu gigantesque pour le développement des pays en voie de développement, avec ses conséquences positives et ses effets pervers (par exemple sur l’emploi de deux milliards de paysans). On voit vite que l’importance réelle de la solution « stockage par la biomasse » dépend de considérations qui la dépassent complètement.

Impliquer les citoyens et les consommateurs que nous sommes

Deux constats à travers ces exemples : notre fascination pour le progrès technique, qui semble nous ôter tout sens critique, et notre goût immodéré pour le « y-a qu’à faire ceci ou cela » à condition bien sûr que ce soit de préférence chez les autres. Les médias s’emparent volontiers de ces utopies, souvent avec la complicité des grands organismes de recherche trop contents de « faire rêver » le grand public. Quant aux politiques, ils s’en délectent. L’utopie des « lendemains qui chantent » leur a servi longtemps de tremplin électoral. Aujourd’hui, dans une société occidentale qui, malgré les progrès considérables de sécurité dont elle bénéficie, par exemple en termes d’espérance de vie, se laisse entraîner dans l’anxiété généralisée, c’est plutôt de nos cauchemars que ces mêmes politiques nous proposent de nous protéger.

Alors, face à des risques majeurs qui risquent de remettre en cause nos modes de vie, quoi de plus efficace pour l’homme politique que de promettre la sortie de crise par la science et la technique, au besoin dans 50 ou 80 ans ? Il peut bien se permettre de dresser un tableau sans détours des catastrophes qui nous guettent, de donner ainsi corps à nos pires cauchemars. Il est en effet immédiatement capable d’y apporter une réponse ; conceptuellement simple, à fort contenu scientifique, gage de sérieux. Et cette réponse permet, en reportant sur la science et sur les autres la solution du problème, d’éviter de remettre en cause les modes de vie actuels de ses électeurs…

Et c’est bien là que se pose la vraie question. Car, même en cas de succès, les réponses apportées par ces nouvelles technologies resteront partielles et trop tardives.

Pour conjurer nos cauchemars, plutôt que de nouvelles incantations et de nouveaux prophètes, c’est de choix de société dont nous avons besoin : s’attaquer dès maintenant à nos modes de vie et de consommation, engager des programmes sérieux de maîtrise de l’énergie, bref impliquer les citoyens et les consommateurs que nous sommes dans la réflexion et l’action collective.

Mais c’est manifestement plus difficile. On le voit bien aujourd’hui avec l’envolée des cours du pétrole à laquelle le gouvernement réagit par une absence totale de politique d’économie d’énergie dans les transports, des réductions de taxe pour les professions électoralement sensibles et l’annonce du doublement de la participation française dans ITER. Comme s’il était plus réaliste et plus efficace de renforcer la recherche sur la fusion pour diminuer peut-être dans 80 ans la pression sur les carburants que d’inciter, sérieusement et maintenant, les constructeurs à construire les voitures bien plus économes qu’ils savent faire et les automobilistes à utiliser un peu plus leurs pieds ou les transports en commun.
Dernière minute

Mardi 28 juin : Le site de Cadarache (Bouches-du-Rhône) a été choisi pour l’implentation du Réacteur ITER (réacteur expérimental de fusion thermonucléaire). Nous aborderons ce sujet dans notre prochain numéro.
Benjamin Dessus

Article paru dans Le Monde Diplomatique de janvier 2005
Benjamin Dessus

Président de l’association de scientifiques “Global Chance”

41, rue Rouget de Lisle

92150 Suresnes

global-chance@wanadoo.fr

En ce début de siècle de technologie triomphante c’est évidemment dans la science et la technologie qu’ils trouvent leur inspiration. Pour l’énergie, de la fusion thermonucléaire contrôlée à l’enfouissement dans le sous sol terrestre du gaz carbonique émis par nos centrales à charbon, de la « civilisation de l’hydrogène » aux satellites solaires, ces nouveaux gourous et leurs adeptes nous proposent une large panoplie de solutions définitives au problème mondial de l’énergie.

Des gourous pour des solutions toutes faites

Les zélateurs de ces solutions, plus ou moins vraisemblables sur le plan de la physique, leur attribuent quelques caractéristiques évidemment alléchantes :

- Leur capacité potentielle à résoudre définitivement ou presque et pour des siècles, voire pour l’éternité, les problèmes énergétiques croissants auxquels l’humanité va se trouver confrontée,

- Leur totale innocuité environnementale, la très faible probabilité d’occurrence et la bénignité des accidents qui pourraient éventuellement survenir,

- Leur très faible coût, dès les étapes indispensables de la démonstration de faisabilité et du développement industriel franchies.

Reste, bien entendu, à trouver les ressources financières pour franchir ces étapes, mais vu l’ampleur de l’enjeu d’un succès, ce n’est qu’une goutte d’eau puisque dans 30 à 100 ans selon les technologies proposées, l’humanité sera définitivement à l’abri de tout souci énergétique.

Comment ne pas être convaincu devant ces images enthousiasmantes ?

Comme tout le monde ou presque admet sans discussion l’ampleur des enjeux en cause, le débat se focalise sur les chances du succès, son échéance, sur les coûts de mise au point, voire même sur le pays qui aura l’avantage et l’honneur de voir les premiers prototypes s’implanter sur son sol. C’est le cas aujourd’hui pour ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor), le projet de fusion thermonucléaire : François d’Aubert, devant le refus des Etats-Unis et du Japon de participer à l’aventure, vient de proposer que la France double sa mise initiale de 457 millions d’euros à 914 millions d’euros dans le financement de la construction d’ITER (c’est plus de trente années de financement de la recherche en France sur les renouvelables au rythme actuel), à condition que l’Europe décide sans plus tarder d’implanter le réacteur à Cadarache.

Par contre, personne ne semble s’être un instant posé en France la question de savoir pourquoi le Japon et les Etats-Unis, pourtant impliqués dès l’origine dans ce projet, le quittaient sur la pointe des pieds.

Et c’est bien là qu’est le problème ! C’est bien de supputer les chances, mais c’est encore plus important d’analyser les conséquences du succès de ces technologies, car après tout, si on assure le financement nécessaire à nos chercheurs, il n’y a pas de raison qu’ils ne parviennent pas à leurs fins.

ITER et fusion nucléaire

Revenons sur l’exemple de la fusion et le réacteur ITER. Pour réaliser la réaction prévue, il faut faire fusionner deux atomes, l’un de deutérium que l’on trouve en très petite quantité dans l’eau de mer, l’autre de tritium, introuvable sur terre et qu’on se propose de produire à partir de lithium. On obtient par fusion de l’hélium et des neutrons de très grande énergie qu’il faut ensuite capter, transformer en chaleur pour produire de la vapeur ou un gaz à haute température, détendre le tout dans une turbine, pour enfin produire de l’électricité. Mais à quel coût énergétique ? Les publications des tenants de ce projet sont muettes sur ces questions cruciales.

On omet aussi de dire qu’un tel réacteur produit des neutrons, dix fois plus puissants que ceux des réacteurs de fission, neutrons qui vont fragiliser et user très rapidement les parois du réacteur qu’il faudra remplacer régulièrement. Et l’impact de neutrons sur le métal le transforme à son tour en produit radioactif… A chaque opération de remplacement des parois (un cinquième environ tous les ans) on déchargera une masse de matériaux usés dont la radioactivité sera de l’ordre de grandeur de celle d’un coeur de nos centrales actuelles à fission. On évite enfin soigneusement de mettre en débat le moyen de se prémunir contre les risques de prolifération qu’engendre le tritium, composant très apprécié à petites doses (quelques grammes) des bombes atomiques « modernes »…

En cas de « succès », on le voit, la solution proposée risque bien de soulever de nouvelles questions encore plus redoutables que la question initiale posée, celle de l’approvisionnement mondial en énergie. Et puis surtout personne n’imagine une pénétration massive de la fusion avant la fin du siècle, alors que l’action que nous devons engager pour lutter contre le changement climatique est urgente si l’on veut éviter la catastrophe.

L’hydrogène et la pile à combustible : bonne ou mauvaise solution ?

C’est vrai que la recherche a permis des progrès importants depuis une dizaine d’années : les piles à combustible transforment l’hydrogène en électricité avec des rendements bien meilleurs que nos vieux moteurs à essence (60 % contre 35 à 40 % pour les moteurs à essence). Mais on oublie la plupart du temps de dire que l’hydrogène n’existe pas à l’état libre dans la nature et qu’il faut donc l’extraire, soit des hydrocarbures, soit de l’eau, que cela va coûter de l’énergie, beaucoup d’énergie, et donc entraîner de nouveaux problèmes. Si l’on part du méthane par exemple, on obtiendra de l’hydrogène avec un rendement de l’ordre de 60 % :on consommera donc une ressource fossile qu’on voudrait économiser, et d’autre part la réaction dégage du gaz carbonique qu’on voudrait bien justement éviter . Il faut dépenser environ 5 kWh de chaleur pour obtenir 1 m3 d’hydrogène, à son tour susceptible de fournir 3 kWh de chaleur par combustion ou 1,8 kWh d’électricité dans une pile à combustible. Si l’on part de l’eau, le plus simple est de la décomposer avec de l’électricité par électrolyse pour séparer l’oxygène de l’hydrogène. Mais il faut aujourd’hui environ 5 kWh d’électricité pour obtenir 1 m3 d’hydrogène. Et la production de l’électricité nécessaire entraîne à son tour des pertes. Si l’électricité est d’origine fossile, la dépense totale d’énergie par m3 atteint de 7,7 à 9 kWh avec une émission associée de 2,4 à 2,8 kg de CO2. Si elle est d’origine nucléaire, pas d’émissions mais les risques spécifiques du nucléaire. Si elle est d’origine renouvelable, elle échappe aux deux critiques précédentes mais reste le problème du rendement global, de l’intermittence et de la dispersion de certaines de ces sources (solaire, éolien) dont les procédés industriels de fabrication d’hydrogène s’accommodent mal.

Bref, le bilan global de l’opération est loin d’être aussi brillant qu’on veut bien nous le dire. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il n’y a aucun espace pour cette innovation : des créneaux d’utilisation s’ouvriront sûrement à la fois pour les transports et la production décentralisée d’électricité, mais ils ont toutes chances de rester limités dans les 50 ans qui viennent.

Capter les gaz à effet de serre pour éviter le réchauffement climatique ?

Même genre de problème avec le captage et le stockage dans le sous sol terrestre du gaz carbonique (CO2) produit par les centrales thermiques à charbon ou à gaz qui sont souvent présentées comme la solution miracle et à portée de la main, pour glisser nos émissions sous le tapis et éviter le réchauffement climatique sans nous restreindre en énergie. On devrait pouvoir stocker une bonne part du CO2 produit par ces centrales, à condition d’admettre un surcroît de consommation d’énergies fossiles de 20 à 30% (et donc de gaz carbonique), nécessaires à la séparation du CO2 des fumées, et au transport jusqu’aux puits pétroliers à sec où l’on pense les stocker.

A priori vu l’extension des besoins d’électricité mondiaux qui seront très probablement satisfaits à partir d’énergies fossiles, 20 % des émissions cumulées de CO2 du siècle prochain (10 % des émissions totales de gaz à effet de serre) pourraient être concernées par cette technique, si elle se répandait systématiquement au niveau mondial. Mais quand on regarde les capacités de stockage dans les champs pétroliers (stockage le plus maîtrisé à l’heure actuelle) il faut modérer notre enthousiasme et cela pour deux raisons. La première est la localisation des puits. En effet, les cartes des centrales thermiques et des puits pétroliers se recouvrent très mal sauf dans certaines régions (les Etats-Unis par exemple) : les capacités de stockage du Moyen-Orient ou de la Russie sont éloignées de plusieurs milliers de km des grands centres de concentration humaine ou industrielle européens ou asiatiques où seront implantées la plupart des centrales. Des pays comme la Chine ou l’Inde qui devraient multiplier leurs centrales à charbon disposent de très peu de capacités de stockage dans les champs d’hydrocarbure par rapport à leur émissions de CO2. Et puis le stockage doit respecter la dynamique de déplétion des puits en activité. Si l’on tient compte de ces contraintes, on s’aperçoit que la quantité réellement stockable de CO2 se réduit en peau de chagrin pour tomber autour de quelques pour cent des émissions cumulées du vingt et unième siècle. On peut certes envisager d’autres sites de stockage comme les aquifères salins, les veines de charbon inexploitées, ou même les fosses océaniques, mais là on est encore dans l’incertitude sur les risques environnementaux associés. Cela ne veut évidemment pas dire que le captage stockage du CO2 n’est pas une bonne solution industrielle ponctuelle, mais simplement qu’elle a peu de chances de modifier fondamentalement le problème de la réduction indispensable des émissions de CO2 au cours du vingt et unième siècle.

Un dernier exemple, celui du stockage de CO2 par la biomasse. L’idée est simple et ne suppose même pas de révolution technologique : replanter des forêts partout où c’est possible. Pendant qu’elle pousse, on stocke du CO2. Bien entendu il faut un jour, 50 ou 100 ans après, la couper, sinon elle finira par pourrir sur place. On peut en faire des charpentes ou des meubles, et continuer ainsi à stocker le carbone pour un temps, ou brûler le bois. On relargue certes le CO2 dans l’atmosphère, mais il sera absorbé de nouveau par la repousse de la forêt, et on économise des combustibles fossiles. Mais où faire pousser en masse des forêts ? On s’aperçoit bien vite que, pour dégager les centaines de millions d’hectares nécessaires, en particulier en Afrique, en Amérique latine et en Asie, il faut impérativement que les rendements agricoles de ces régions atteignent des valeurs comparables aux valeurs européennes. Pour être significatif au plan mondial un tel scénario suppose donc une très forte intensification de l’agriculture des pays en développement. Mais cette intensification est en elle-même un enjeu gigantesque pour le développement des pays en voie de développement, avec ses conséquences positives et ses effets pervers (par exemple sur l’emploi de deux milliards de paysans). On voit vite que l’importance réelle de la solution « stockage par la biomasse » dépend de considérations qui la dépassent complètement.

Impliquer les citoyens et les consommateurs que nous sommes

Deux constats à travers ces exemples : notre fascination pour le progrès technique, qui semble nous ôter tout sens critique, et notre goût immodéré pour le « y-a qu’à faire ceci ou cela » à condition bien sûr que ce soit de préférence chez les autres. Les médias s’emparent volontiers de ces utopies, souvent avec la complicité des grands organismes de recherche trop contents de « faire rêver » le grand public. Quant aux politiques, ils s’en délectent. L’utopie des « lendemains qui chantent » leur a servi longtemps de tremplin électoral. Aujourd’hui, dans une société occidentale qui, malgré les progrès considérables de sécurité dont elle bénéficie, par exemple en termes d’espérance de vie, se laisse entraîner dans l’anxiété généralisée, c’est plutôt de nos cauchemars que ces mêmes politiques nous proposent de nous protéger.

Alors, face à des risques majeurs qui risquent de remettre en cause nos modes de vie, quoi de plus efficace pour l’homme politique que de promettre la sortie de crise par la science et la technique, au besoin dans 50 ou 80 ans ? Il peut bien se permettre de dresser un tableau sans détours des catastrophes qui nous guettent, de donner ainsi corps à nos pires cauchemars. Il est en effet immédiatement capable d’y apporter une réponse ; conceptuellement simple, à fort contenu scientifique, gage de sérieux. Et cette réponse permet, en reportant sur la science et sur les autres la solution du problème, d’éviter de remettre en cause les modes de vie actuels de ses électeurs…

Et c’est bien là que se pose la vraie question. Car, même en cas de succès, les réponses apportées par ces nouvelles technologies resteront partielles et trop tardives.

Pour conjurer nos cauchemars, plutôt que de nouvelles incantations et de nouveaux prophètes, c’est de choix de société dont nous avons besoin : s’attaquer dès maintenant à nos modes de vie et de consommation, engager des programmes sérieux de maîtrise de l’énergie, bref impliquer les citoyens et les consommateurs que nous sommes dans la réflexion et l’action collective.

Mais c’est manifestement plus difficile. On le voit bien aujourd’hui avec l’envolée des cours du pétrole à laquelle le gouvernement réagit par une absence totale de politique d’économie d’énergie dans les transports, des réductions de taxe pour les professions électoralement sensibles et l’annonce du doublement de la participation française dans ITER. Comme s’il était plus réaliste et plus efficace de renforcer la recherche sur la fusion pour diminuer peut-être dans 80 ans la pression sur les carburants que d’inciter, sérieusement et maintenant, les constructeurs à construire les voitures bien plus économes qu’ils savent faire et les automobilistes à utiliser un peu plus leurs pieds ou les transports en commun.
Dernière minute

Mardi 28 juin : Le site de Cadarache (Bouches-du-Rhône) a été choisi pour l’implentation du Réacteur ITER (réacteur expérimental de fusion thermonucléaire). Nous aborderons ce sujet dans notre prochain numéro.
Benjamin Dessus

Article paru dans Le Monde Diplomatique de janvier 2005
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Président de l’association de scientifiques “Global Chance”

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