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Sortir du nucléaire n°63



Novembre 2014

Alternatives

Isolation en briques de chanvre : se chauffer pour 100€ par an

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°63 - Novembre 2014



Le pouvoir isolant des murs en blocs de béton de chanvre n’est plus à démontrer. Dans cette maison près de Grenoble, la facture de chauffage par géothermie est bien inférieure à celle de l’électricité spécifique.



Nous avons hésité à faire ce reportage. Car Philippe Auvergne, propriétaire de cette maison au sud de Grenoble, travaille dans l’entreprise qui a fourni le principal matériau de construction : des blocs de chanvre, commercialisés sous la marque Chanvribloc®. Difficile d’être juge et partie. Pourtant, il semble bien que nous ayons affaire à une vraie réussite. Depuis trois ans, les factures énergétiques parlent d’elles-mêmes. La consommation de chauffage par géothermie ne dépasse pas 1000 kWh par an pour 180 m2 habitables. Le poêle du salon, censé jouer un rôle d’appoint, n’est là que pour l’agrément. Quand il neige dehors, une bonne flambée est agréable à regarder. Et tant pis si l’on a trop chaud ensuite ! Plus étonnant encore, dans cette maison habitée par quatre personnes, les factures pour s’éclairer, cuisiner ou se laver sont bien supérieures à celles du chauffage… Voilà qui mérite explication.

Votre maison consomme très peu, était-ce votre ambition de départ ?

Philippe : Je souhaitais une habitation écologique conçue avec des matériaux sains et une facture énergétique réduite. Mais elle est beaucoup plus performante que prévu. J’ai voulu tester les blocs de chanvre de mon entreprise, dans laquelle je suis ingénieur électro-automaticien et commercial. Ces blocs de 30 cm d’épaisseur viennent s’appuyer sur une ossature bois porteuse en poteaux-poutres. Pas besoin d’isolant supplémentaire, une couche d’enduit intérieur et extérieur suffit. Les murs sont perspirants. On se sent comme dans un cocon.

La maison est bioclimatique, avec de larges baies vitrées au sud. J’ai fait modifier les plans de l’architecte pour la rendre plus compacte. Aujourd’hui, je me rends compte que j’aurais pu me passer d’installer le chauffage à l’étage et le poêle d’appoint au rez-de-chaussée. Le thermostat est réglé sur 19°C en journée et 17°C la nuit. Mais on est souvent au-dessus. En hiver, les jours ensoleillés, le chauffage s’arrête automatiquement. La nuit aussi.

Quels sont les avantages des blocs de chanvre ?

P. : Ces blocs sont constitués de chènevotte (paille de chanvre), de chaux hydraulique et d’eau. Il n’y a pas de liant synthétique. C’est un véritable écomatériau. Dans la région, quelques maisons avaient déjà été construites ou rénovées en blocs de chanvre par Olivier Duport (voir La Maison Ecologique n°23), l’artisan qui a conçu ce matériau. Nous avons industrialisé avec lui le processus de production. Comparé à du chanvre banché, on réduit la part de chaux, donc la densité. On emprisonne de l’air et cela renforce le pouvoir isolant et la légèreté. L’énergie grise lors de la conception est faible, quatre fois moins qu’une brique de terre cuite alvéolée et trois fois moins que le béton cellulaire. Les blocs sont assemblés avec un mortier colle à joints minces, composé de sable et de chaux, ce qui permet d’éviter les ponts thermiques. On peut monter des murs hauts de dix mètres, juste en superposant les blocs. Ils sont autoporteurs, mais pas porteurs. Ils s’appuient au sol sur un mur de fondation en béton classique, et s’adossent à une ossature bois qui supporte aussi la toiture. Il faut compter un poteau de bois tous les quatre ou cinq mètres pour solidifier la structure. Côté isolation, j’ai également fait poser des blocs de chanvre sur les sols du rez-de-chaussée et de l’étage, ainsi que 40 cm de chènevotte en vrac en toiture.

Pourquoi avoir installé un chauffage par géothermie ?

P. : Le budget était le même qu’un bon chauffage central au bois et j’apprécie le confort de la géothermie. C’est un chauffage entièrement automatique, sans besoin de rechargement. Seul inconvénient, il fonctionne à l’électricité, mais avec un COP (coefficient de performance) de 5. On obtient ainsi 5 kWh de chaleur pour 1 kWh d’électricité consommée, c’est très performant. Il y a huit pompes en tout, soit huit circuits séparés qui chauffent chacun une partie de la maison, plus l’eau chaude sanitaire. Cette dernière est la seule qui fonctionne en été. On a enterré 710 mètres de serpentins dans le jardin à 70 cm de profondeur et 810 mètres dans les sols du rez-de-chaussée et de l’étage. Mais, encore une fois, on aurait pu se passer de ceux de l’étage et réaliser ainsi près de 3000 euros d’économie sur l’installation.

Sans le vouloir, vous avez presque conçu une maison passive ?

P. : Non, pas vraiment. Je ne voulais pas d’une maison passive, trop contraignante en termes de réglementation et d’usage. Mais à l’arrivée, si l’on considère le seul chauffage, elle ne consomme que 5,5 kWh/m2.an d’énergie finale. On se situe en effet bien en dessous du seuil du passif qui est de 15. Mais on ne peut pas obtenir le label avec la géothermie, car il ne tient pas compte de l’énergie consommée au compteur, mais de l’énergie dissipée dans l’habitat, autrement dit l’énergie utile. Que celle-ci soit puisée dans le sol (par géothermie) ou entièrement sur le réseau électrique (avec un simple chauffage électrique), ne fait pas de différence. Pour obtenir ce label de façon théorique, il aurait fallu doubler l’épaisseur des murs, installer du triple vitrage et une VMC double-flux. Un surcoût de 30 000 euros pour diviser la consommation par deux et donc gagner 50 euros par an, soit une rentabilité sur… 600 ans ! Ma maison est en revanche la première en blocs de chanvre et poteaux-poutres labellisée BBC.

Pouvez-vous réaliser des économies d’énergie autrement ?

P. : Oui, bien sûr. Le véritable enjeu aujourd’hui est de réduire notre consommation d’électricité en changeant nos comportements ou nos appareils. Nous avons deux congélateurs, un gros réfrigérateur, un four, des ampoules classiques… J’ai déjà installé trois sous-compteurs : un pour le chauffage du rez-de-chaussée, un autre pour celui de l’étage et un troisième pour l’eau chaude. Je vais en rajouter un quatrième dédié au seul éclairage. Notre consommation électrique hors chauffage et eau chaude est de l’ordre de 7500 kWh/an. C’est presque huit fois plus que pour nous chauffer !

Stéphane Perraud Source : La Maison Écologique n°81, www.lamaisonecologique.com

Trois questions à Cédric Tournoud, maçon en Chartreuse (38)

Pour l’artisan qui a construit cette maison en blocs de chanvre, c’était une grande première. Une expérience qu’il se dit prêt à renouveler.

Pourquoi avoir accepté de poser des blocs de chanvre ?

J’avais très envie de tester ce matériau que j’avais déjà vu chez des amis qui semblaient satisfaits. J’ai beaucoup apprécié la mise en œuvre, notamment la légèreté. Un bloc de chanvre de 20 x 30 x 60 cm pèse 13 kilos seulement contre 19 kg pour un moellon en béton de 20 x 25 x 50 cm. Quand on en manipule plusieurs centaines, on sent vite la différence. Après quelques tâtonnements de départ pour trouver le bon dosage du mortier, le montage s’est passé sans problème. Les joints minces permettent d’éviter les coulures, cela donne un chantier propre.

Quelles précautions faut-il prendre ?

Il faut être très vigilant sur le niveau du mur de fondation qui doit être parfaitement plat, car les joints minces ne permettent pas de rectifier une petite erreur de départ, contrairement aux moellons où l’on peut ajouter une épaisseur de ciment pour rattraper un ou deux centimètres. Autre différence, quand on construit un mur en béton classique, on laisse les ouvertures dans lesquelles on va installer les fenêtres. Les moellons font le cadre. Avec les blocs de chanvre, c’est l’inverse. On pose les cadres des fenêtres sur les blocs et on construit le reste du mur autour. Il faut faire très attention à ce que les châssis ne bougent pas.

Êtes-vous devenu prescripteur ?

Non, car je ne fais pas spécialement de chantier écologique. Mais j’aimerais beaucoup re-poser des blocs de chanvre. J’ai proposé ce matériau à plusieurs personnes car il est sain et durable. Mais pour l’instant, je n’ai essuyé que des refus, car les gens ne le connaissent pas. Le prix apparaît parfois aussi comme un frein. En dehors de la construction écologique, les gens recherchent souvent les matériaux les moins onéreux. Pourtant, avec ces blocs, on économise la pose d’un isolant. Ce n’est pas négligeable.

Nous avons hésité à faire ce reportage. Car Philippe Auvergne, propriétaire de cette maison au sud de Grenoble, travaille dans l’entreprise qui a fourni le principal matériau de construction : des blocs de chanvre, commercialisés sous la marque Chanvribloc®. Difficile d’être juge et partie. Pourtant, il semble bien que nous ayons affaire à une vraie réussite. Depuis trois ans, les factures énergétiques parlent d’elles-mêmes. La consommation de chauffage par géothermie ne dépasse pas 1000 kWh par an pour 180 m2 habitables. Le poêle du salon, censé jouer un rôle d’appoint, n’est là que pour l’agrément. Quand il neige dehors, une bonne flambée est agréable à regarder. Et tant pis si l’on a trop chaud ensuite ! Plus étonnant encore, dans cette maison habitée par quatre personnes, les factures pour s’éclairer, cuisiner ou se laver sont bien supérieures à celles du chauffage… Voilà qui mérite explication.

Votre maison consomme très peu, était-ce votre ambition de départ ?

Philippe : Je souhaitais une habitation écologique conçue avec des matériaux sains et une facture énergétique réduite. Mais elle est beaucoup plus performante que prévu. J’ai voulu tester les blocs de chanvre de mon entreprise, dans laquelle je suis ingénieur électro-automaticien et commercial. Ces blocs de 30 cm d’épaisseur viennent s’appuyer sur une ossature bois porteuse en poteaux-poutres. Pas besoin d’isolant supplémentaire, une couche d’enduit intérieur et extérieur suffit. Les murs sont perspirants. On se sent comme dans un cocon.

La maison est bioclimatique, avec de larges baies vitrées au sud. J’ai fait modifier les plans de l’architecte pour la rendre plus compacte. Aujourd’hui, je me rends compte que j’aurais pu me passer d’installer le chauffage à l’étage et le poêle d’appoint au rez-de-chaussée. Le thermostat est réglé sur 19°C en journée et 17°C la nuit. Mais on est souvent au-dessus. En hiver, les jours ensoleillés, le chauffage s’arrête automatiquement. La nuit aussi.

Quels sont les avantages des blocs de chanvre ?

P. : Ces blocs sont constitués de chènevotte (paille de chanvre), de chaux hydraulique et d’eau. Il n’y a pas de liant synthétique. C’est un véritable écomatériau. Dans la région, quelques maisons avaient déjà été construites ou rénovées en blocs de chanvre par Olivier Duport (voir La Maison Ecologique n°23), l’artisan qui a conçu ce matériau. Nous avons industrialisé avec lui le processus de production. Comparé à du chanvre banché, on réduit la part de chaux, donc la densité. On emprisonne de l’air et cela renforce le pouvoir isolant et la légèreté. L’énergie grise lors de la conception est faible, quatre fois moins qu’une brique de terre cuite alvéolée et trois fois moins que le béton cellulaire. Les blocs sont assemblés avec un mortier colle à joints minces, composé de sable et de chaux, ce qui permet d’éviter les ponts thermiques. On peut monter des murs hauts de dix mètres, juste en superposant les blocs. Ils sont autoporteurs, mais pas porteurs. Ils s’appuient au sol sur un mur de fondation en béton classique, et s’adossent à une ossature bois qui supporte aussi la toiture. Il faut compter un poteau de bois tous les quatre ou cinq mètres pour solidifier la structure. Côté isolation, j’ai également fait poser des blocs de chanvre sur les sols du rez-de-chaussée et de l’étage, ainsi que 40 cm de chènevotte en vrac en toiture.

Pourquoi avoir installé un chauffage par géothermie ?

P. : Le budget était le même qu’un bon chauffage central au bois et j’apprécie le confort de la géothermie. C’est un chauffage entièrement automatique, sans besoin de rechargement. Seul inconvénient, il fonctionne à l’électricité, mais avec un COP (coefficient de performance) de 5. On obtient ainsi 5 kWh de chaleur pour 1 kWh d’électricité consommée, c’est très performant. Il y a huit pompes en tout, soit huit circuits séparés qui chauffent chacun une partie de la maison, plus l’eau chaude sanitaire. Cette dernière est la seule qui fonctionne en été. On a enterré 710 mètres de serpentins dans le jardin à 70 cm de profondeur et 810 mètres dans les sols du rez-de-chaussée et de l’étage. Mais, encore une fois, on aurait pu se passer de ceux de l’étage et réaliser ainsi près de 3000 euros d’économie sur l’installation.

Sans le vouloir, vous avez presque conçu une maison passive ?

P. : Non, pas vraiment. Je ne voulais pas d’une maison passive, trop contraignante en termes de réglementation et d’usage. Mais à l’arrivée, si l’on considère le seul chauffage, elle ne consomme que 5,5 kWh/m2.an d’énergie finale. On se situe en effet bien en dessous du seuil du passif qui est de 15. Mais on ne peut pas obtenir le label avec la géothermie, car il ne tient pas compte de l’énergie consommée au compteur, mais de l’énergie dissipée dans l’habitat, autrement dit l’énergie utile. Que celle-ci soit puisée dans le sol (par géothermie) ou entièrement sur le réseau électrique (avec un simple chauffage électrique), ne fait pas de différence. Pour obtenir ce label de façon théorique, il aurait fallu doubler l’épaisseur des murs, installer du triple vitrage et une VMC double-flux. Un surcoût de 30 000 euros pour diviser la consommation par deux et donc gagner 50 euros par an, soit une rentabilité sur… 600 ans ! Ma maison est en revanche la première en blocs de chanvre et poteaux-poutres labellisée BBC.

Pouvez-vous réaliser des économies d’énergie autrement ?

P. : Oui, bien sûr. Le véritable enjeu aujourd’hui est de réduire notre consommation d’électricité en changeant nos comportements ou nos appareils. Nous avons deux congélateurs, un gros réfrigérateur, un four, des ampoules classiques… J’ai déjà installé trois sous-compteurs : un pour le chauffage du rez-de-chaussée, un autre pour celui de l’étage et un troisième pour l’eau chaude. Je vais en rajouter un quatrième dédié au seul éclairage. Notre consommation électrique hors chauffage et eau chaude est de l’ordre de 7500 kWh/an. C’est presque huit fois plus que pour nous chauffer !

Stéphane Perraud Source : La Maison Écologique n°81, www.lamaisonecologique.com

Trois questions à Cédric Tournoud, maçon en Chartreuse (38)

Pour l’artisan qui a construit cette maison en blocs de chanvre, c’était une grande première. Une expérience qu’il se dit prêt à renouveler.

Pourquoi avoir accepté de poser des blocs de chanvre ?

J’avais très envie de tester ce matériau que j’avais déjà vu chez des amis qui semblaient satisfaits. J’ai beaucoup apprécié la mise en œuvre, notamment la légèreté. Un bloc de chanvre de 20 x 30 x 60 cm pèse 13 kilos seulement contre 19 kg pour un moellon en béton de 20 x 25 x 50 cm. Quand on en manipule plusieurs centaines, on sent vite la différence. Après quelques tâtonnements de départ pour trouver le bon dosage du mortier, le montage s’est passé sans problème. Les joints minces permettent d’éviter les coulures, cela donne un chantier propre.

Quelles précautions faut-il prendre ?

Il faut être très vigilant sur le niveau du mur de fondation qui doit être parfaitement plat, car les joints minces ne permettent pas de rectifier une petite erreur de départ, contrairement aux moellons où l’on peut ajouter une épaisseur de ciment pour rattraper un ou deux centimètres. Autre différence, quand on construit un mur en béton classique, on laisse les ouvertures dans lesquelles on va installer les fenêtres. Les moellons font le cadre. Avec les blocs de chanvre, c’est l’inverse. On pose les cadres des fenêtres sur les blocs et on construit le reste du mur autour. Il faut faire très attention à ce que les châssis ne bougent pas.

Êtes-vous devenu prescripteur ?

Non, car je ne fais pas spécialement de chantier écologique. Mais j’aimerais beaucoup re-poser des blocs de chanvre. J’ai proposé ce matériau à plusieurs personnes car il est sain et durable. Mais pour l’instant, je n’ai essuyé que des refus, car les gens ne le connaissent pas. Le prix apparaît parfois aussi comme un frein. En dehors de la construction écologique, les gens recherchent souvent les matériaux les moins onéreux. Pourtant, avec ces blocs, on économise la pose d’un isolant. Ce n’est pas négligeable.



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