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Sortir du nucléaire n°48



Hiver 2010-2011

Grenelle : l’heure du bilan

"Grenelle du nucléaire" : de la gestion du risque à l’organisation de l’insécurité

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°48 - Hiver 2010-2011

 Risque nucléaire  Politique énergétique
Article publié le : 1er février 2011


L’idée est aujourd’hui admise, dans les milieux environnementalistes reconnus et responsables, que le "Grenelle de l’environnement" est un échec. On tombe d’accord pour dire que les discussions préliminaires et la loi "Grenelle 1", qui fixe les grandes orientations en la matière, ont été sabotées par les applications concrètes désignées dans la loi "Grenelle 2" et les décisions gouvernementales prises en marge du processus.

Rien n’est plus faux. En réalité, le "Grenelle de l’environnement" est un ensemble parfaitement cohérent, en lui-même, mais aussi au regard de la politique gouvernementale générale. Approuver le "Grenelle de l’environnement", l’adoption du traité européen simplifié, ou l’expulsion massive de communautés ethniques, est une seule et même chose. Le "Grenelle" a été, dès le départ, une belle réussite : celle de l’idéologie néo-libérale – qui traverse tout à la fois le champ politique français et le mouvement associatif. Il est le symbole de la victoire politique de ceux qui refusent de voir la société occidentale modifier ses relations à la nature et aux pays pauvres, et qui privilégient l’intérêt privé face à la sécurité publique, l’intérêt économique face à la santé des citoyens. La thématique du nucléaire civil est au cœur de cette incompréhension – ou, plus exactement, de cette imposture.

Le choix des thèmes et, corrélativement, des structures ou des personnes participant à un débat, est bien entendu primordial. Nul besoin de se référer à Pierre Bourdieu pour se rendre compte que le sens même d’une discussion est absolument déterminé par les parties en présence, et la manière dont les questions sont posées. Le "Grenelle de l’environnement", sur ce plan, a été sans ambiguïté : découlant d’un programme électoral fondé sur le développement de la croissance technologique et économique et sur le refus du contrôle étatique des marchés financiers, et corrélativement sur le développement de l’énergie nucléaire, il a en toute logique évacué tant la question de la sécurité de la production atomique que celle de la décroissance énergétique. Croissance économique, techno-scientifique et énergétique fonctionnent de pair. Aussi le projet de démanteler un parc nucléaire – qu’il soit national, européen ou mondial – ne peut se penser de manière cohérente que corrélativement à la décroissance générale du système capitaliste occidental. La remise en cause du nucléaire va de pair avec une décroissance énergétique, et donc avec une baisse de la consommation. Rien de plus
normal, donc, que ces deux thèmes aient, ensemble, été bannis du débat public.

La perspective sécuritaire, qui est le fondement même du pacte social, est bafouée par les décisions laxistes qui mettent en danger la vie des populations civiles. Nous sommes passés d’une gestion du risque nucléaire au retrait de l’exigence sécuritaire. Le profond mépris dans lequel le chef de l’État tient le peuple français se manifeste ainsi dans des décisions qui relèvent de l’atteinte manifeste à l’intégrité de la nation française et du territoire qui est le sien. Ce n’est pas un hasard si des opérations spectaculaires visant des minorités ethniques sont conduites concomitamment à la dispersion d’éléments radioactifs dans l’environnement. En pointant le regard médiatique sur tel (non) événement, le gouvernement tente de faire accroire au peuple de France qu’un gitan est plus dangereux qu’une centrale nucléaire.

La politique nucléaire d’un État révèle à bien des égards la relation qui existe entre le peuple souverain et le gouvernement de la nation. Le cas actuel ne laisse aucun doute sur le sens politique et social de la déliquescence du pacte républicain : le gouvernement viole les principes fondamentaux du modèle républicain, car le mépris qu’il affiche envers la nation française s’applique par les conditions d’une mise en danger de la population civile qu’il est de son devoir de protéger. La santé publique et la protection du territoire sont ensemble bafouées au profit des intérêts économiques particuliers. Or, la santé publique et la protection du territoire ne sont pas des éléments parmi d’autres du champ politique. Elles sont l’essence même du politique, car le corps social ne peut se passer ni d’un lieu politique, ni de la vie de ses membres. C’est donc le pacte social lui-même qui est ainsi détruit. Mais avec cette destruction, le gouvernement a en même temps détruit la seule chose qui fonde sa justification. Il n’a donc plus lieu d’être ; ou plus exactement, il a lieu de ne plus être. Puisque le contrat social est nié dans son origine même par ceux qui sont censés le garantir et le représenter, il est, par les faits, nul et non avenu. Dans ces conditions, continuer à participer comme si de rien n’était au fonctionnement habituel du domaine politique est un acte de collaboration active avec les destructeurs de la nation. Le plus grave dans la situation actuelle n’est donc pas que la France soit dotée d’un gouvernement appliquant des principes de destruction de l’ordre public, ce qu’il avait d’ailleurs ouvertement annoncé, mais qu’il y ait tant de monde pour continuer à dialoguer avec ces violeurs décomplexés du modèle républicain.

La solidarité gouvernementale n’est pas un vain mot. La politique du gouvernement actuel se lit aussi bien dans les décisions prises en marge du "Grenelle de l’environnement", que dans les décisions incluses dans ce texte de loi. Ainsi, la circulation d’un convoi radioactif sans commune mesure, l’article du "Grenelle 2" soumettant un accroissement significatif des rejets radioactifs dans l’environnement depuis les installations nucléaires à une simple information publique, ou encore l’arrêté gouvernemental du 5 mai 2009 visant à autoriser la présence de matériaux contaminés dans les produits de consommation courante – arrêté pris malgré un avis négatif de l’Autorité de Sûreté Nucléaire –, s’appuient tous sur un régime dérogatoire violant le devoir sécuritaire du gouvernement. Alors que depuis 2002, date de l’entrée en vigueur des articles du Code de la santé publique interdisant d’introduire des éléments contaminés dans les produits de consommation, aucune disposition n’était venue mettre en cause cette interdiction, l’utilisation de la possibilité dérogatoire en 2009 est un signe flagrant – mais d’une gravité sans précédent – de laxisme gouvernemental eu égard à la sécurité publique. Que les ministères de la Santé et de l’Écologie en soient à l’origine n’est pas le plus mince détail de l’affaire ; qu’ils s’autorisent à ne pas répondre au Conseil d’État au sujet du recours pour excès de pouvoir déposé par la CRIIRAD n’est pas non plus anodin. Ces décisions sont des preuves claires que l’on est passé, en matière nucléaire, de la gestion d’un risque grave à l’organisation délibérée de l’insécurité.

La problématique du nucléaire civil est fondamentalement politique. Elle concerne la relation de chacun à la chose publique, par le fait que la sécurité individuelle et la sécurité collective se confondent de manière particulièrement nette en la matière. Impossible de considérer qu’un accident nucléaire à l’autre bout de la France n’aura pas de conséquence sur soi-même. Le risque nucléaire est un risque incommensurable, car cette technologie n’est maîtrisable ni dans l’espace, ni dans le temps : que ce soit de manière insidieuse ou accidentelle, la pollution qu’elle engendre est sans commune mesure. Le régime dérogatoire qui lui est appliqué est donc sensiblement plus grave que lorsque celui-ci est appliqué aux autres domaines de la vie collective : le danger change de nature. La dérogation est dans ce cas la porte ouverte à la destruction définitive d’un territoire et de son corps social. Elle n’est donc pas seulement inacceptable : son rejet n’est pas négociable. Et, doit-on ajouter, n’est pas non plus négociable l’exigence de ne pas négocier avec ceux qui sont à l’origine de cet inacceptable.

Ces décisions sont des manquements manifestes au devoir sécuritaire des responsables du pouvoir exécutif, manquements clairement incompatibles avec l’exercice de mandats républicains. Certes, les exemples n’ont pas manqué, depuis l’instauration du nouveau pouvoir en 2007, de violations volontaires de la loi et des principes républicains : ces actes, tantôt graves tantôt ridicules, ont remis en question tant la séparation des pouvoirs que les rituels républicains. Mais la violation de la fonction sécuritaire du gouvernement d’un État de droit ne se voit jamais avec autant de clarté que lorsqu’elle concerne les choses invisibles : à moins d’admettre la légitimité d’un changement de régime, on peut bel et bien dire aujourd’hui que l’organisation de la dissémination radioactive dans la population et sur le territoire national est un acte d’empoisonnement du peuple français. Celui-ci ne saurait tolérer qu’on le tue, sauf à nier de lui-même sa propre souveraineté.
Grenelle de l’environnement : l’histoire d’un échec
Sur le même sujet vient de sortir également le livre-réquisitoire de Stéphen Kerckhove : Grenelle de l’environnement : l’histoire d’un échec (éditions Yves Michel)
Jean-Christophe Mathias

Chercheur indépendant, auteur de Grenelle
de l’environnement : la supercherie écologique, collection "Le droit de savoir", éditions du Sang de la Terre, Paris, octobre 2010.
Site : https://partnature.free.fr

L’idée est aujourd’hui admise, dans les milieux environnementalistes reconnus et responsables, que le "Grenelle de l’environnement" est un échec. On tombe d’accord pour dire que les discussions préliminaires et la loi "Grenelle 1", qui fixe les grandes orientations en la matière, ont été sabotées par les applications concrètes désignées dans la loi "Grenelle 2" et les décisions gouvernementales prises en marge du processus.

Rien n’est plus faux. En réalité, le "Grenelle de l’environnement" est un ensemble parfaitement cohérent, en lui-même, mais aussi au regard de la politique gouvernementale générale. Approuver le "Grenelle de l’environnement", l’adoption du traité européen simplifié, ou l’expulsion massive de communautés ethniques, est une seule et même chose. Le "Grenelle" a été, dès le départ, une belle réussite : celle de l’idéologie néo-libérale – qui traverse tout à la fois le champ politique français et le mouvement associatif. Il est le symbole de la victoire politique de ceux qui refusent de voir la société occidentale modifier ses relations à la nature et aux pays pauvres, et qui privilégient l’intérêt privé face à la sécurité publique, l’intérêt économique face à la santé des citoyens. La thématique du nucléaire civil est au cœur de cette incompréhension – ou, plus exactement, de cette imposture.

Le choix des thèmes et, corrélativement, des structures ou des personnes participant à un débat, est bien entendu primordial. Nul besoin de se référer à Pierre Bourdieu pour se rendre compte que le sens même d’une discussion est absolument déterminé par les parties en présence, et la manière dont les questions sont posées. Le "Grenelle de l’environnement", sur ce plan, a été sans ambiguïté : découlant d’un programme électoral fondé sur le développement de la croissance technologique et économique et sur le refus du contrôle étatique des marchés financiers, et corrélativement sur le développement de l’énergie nucléaire, il a en toute logique évacué tant la question de la sécurité de la production atomique que celle de la décroissance énergétique. Croissance économique, techno-scientifique et énergétique fonctionnent de pair. Aussi le projet de démanteler un parc nucléaire – qu’il soit national, européen ou mondial – ne peut se penser de manière cohérente que corrélativement à la décroissance générale du système capitaliste occidental. La remise en cause du nucléaire va de pair avec une décroissance énergétique, et donc avec une baisse de la consommation. Rien de plus
normal, donc, que ces deux thèmes aient, ensemble, été bannis du débat public.

La perspective sécuritaire, qui est le fondement même du pacte social, est bafouée par les décisions laxistes qui mettent en danger la vie des populations civiles. Nous sommes passés d’une gestion du risque nucléaire au retrait de l’exigence sécuritaire. Le profond mépris dans lequel le chef de l’État tient le peuple français se manifeste ainsi dans des décisions qui relèvent de l’atteinte manifeste à l’intégrité de la nation française et du territoire qui est le sien. Ce n’est pas un hasard si des opérations spectaculaires visant des minorités ethniques sont conduites concomitamment à la dispersion d’éléments radioactifs dans l’environnement. En pointant le regard médiatique sur tel (non) événement, le gouvernement tente de faire accroire au peuple de France qu’un gitan est plus dangereux qu’une centrale nucléaire.

La politique nucléaire d’un État révèle à bien des égards la relation qui existe entre le peuple souverain et le gouvernement de la nation. Le cas actuel ne laisse aucun doute sur le sens politique et social de la déliquescence du pacte républicain : le gouvernement viole les principes fondamentaux du modèle républicain, car le mépris qu’il affiche envers la nation française s’applique par les conditions d’une mise en danger de la population civile qu’il est de son devoir de protéger. La santé publique et la protection du territoire sont ensemble bafouées au profit des intérêts économiques particuliers. Or, la santé publique et la protection du territoire ne sont pas des éléments parmi d’autres du champ politique. Elles sont l’essence même du politique, car le corps social ne peut se passer ni d’un lieu politique, ni de la vie de ses membres. C’est donc le pacte social lui-même qui est ainsi détruit. Mais avec cette destruction, le gouvernement a en même temps détruit la seule chose qui fonde sa justification. Il n’a donc plus lieu d’être ; ou plus exactement, il a lieu de ne plus être. Puisque le contrat social est nié dans son origine même par ceux qui sont censés le garantir et le représenter, il est, par les faits, nul et non avenu. Dans ces conditions, continuer à participer comme si de rien n’était au fonctionnement habituel du domaine politique est un acte de collaboration active avec les destructeurs de la nation. Le plus grave dans la situation actuelle n’est donc pas que la France soit dotée d’un gouvernement appliquant des principes de destruction de l’ordre public, ce qu’il avait d’ailleurs ouvertement annoncé, mais qu’il y ait tant de monde pour continuer à dialoguer avec ces violeurs décomplexés du modèle républicain.

La solidarité gouvernementale n’est pas un vain mot. La politique du gouvernement actuel se lit aussi bien dans les décisions prises en marge du "Grenelle de l’environnement", que dans les décisions incluses dans ce texte de loi. Ainsi, la circulation d’un convoi radioactif sans commune mesure, l’article du "Grenelle 2" soumettant un accroissement significatif des rejets radioactifs dans l’environnement depuis les installations nucléaires à une simple information publique, ou encore l’arrêté gouvernemental du 5 mai 2009 visant à autoriser la présence de matériaux contaminés dans les produits de consommation courante – arrêté pris malgré un avis négatif de l’Autorité de Sûreté Nucléaire –, s’appuient tous sur un régime dérogatoire violant le devoir sécuritaire du gouvernement. Alors que depuis 2002, date de l’entrée en vigueur des articles du Code de la santé publique interdisant d’introduire des éléments contaminés dans les produits de consommation, aucune disposition n’était venue mettre en cause cette interdiction, l’utilisation de la possibilité dérogatoire en 2009 est un signe flagrant – mais d’une gravité sans précédent – de laxisme gouvernemental eu égard à la sécurité publique. Que les ministères de la Santé et de l’Écologie en soient à l’origine n’est pas le plus mince détail de l’affaire ; qu’ils s’autorisent à ne pas répondre au Conseil d’État au sujet du recours pour excès de pouvoir déposé par la CRIIRAD n’est pas non plus anodin. Ces décisions sont des preuves claires que l’on est passé, en matière nucléaire, de la gestion d’un risque grave à l’organisation délibérée de l’insécurité.

La problématique du nucléaire civil est fondamentalement politique. Elle concerne la relation de chacun à la chose publique, par le fait que la sécurité individuelle et la sécurité collective se confondent de manière particulièrement nette en la matière. Impossible de considérer qu’un accident nucléaire à l’autre bout de la France n’aura pas de conséquence sur soi-même. Le risque nucléaire est un risque incommensurable, car cette technologie n’est maîtrisable ni dans l’espace, ni dans le temps : que ce soit de manière insidieuse ou accidentelle, la pollution qu’elle engendre est sans commune mesure. Le régime dérogatoire qui lui est appliqué est donc sensiblement plus grave que lorsque celui-ci est appliqué aux autres domaines de la vie collective : le danger change de nature. La dérogation est dans ce cas la porte ouverte à la destruction définitive d’un territoire et de son corps social. Elle n’est donc pas seulement inacceptable : son rejet n’est pas négociable. Et, doit-on ajouter, n’est pas non plus négociable l’exigence de ne pas négocier avec ceux qui sont à l’origine de cet inacceptable.

Ces décisions sont des manquements manifestes au devoir sécuritaire des responsables du pouvoir exécutif, manquements clairement incompatibles avec l’exercice de mandats républicains. Certes, les exemples n’ont pas manqué, depuis l’instauration du nouveau pouvoir en 2007, de violations volontaires de la loi et des principes républicains : ces actes, tantôt graves tantôt ridicules, ont remis en question tant la séparation des pouvoirs que les rituels républicains. Mais la violation de la fonction sécuritaire du gouvernement d’un État de droit ne se voit jamais avec autant de clarté que lorsqu’elle concerne les choses invisibles : à moins d’admettre la légitimité d’un changement de régime, on peut bel et bien dire aujourd’hui que l’organisation de la dissémination radioactive dans la population et sur le territoire national est un acte d’empoisonnement du peuple français. Celui-ci ne saurait tolérer qu’on le tue, sauf à nier de lui-même sa propre souveraineté.
Grenelle de l’environnement : l’histoire d’un échec
Sur le même sujet vient de sortir également le livre-réquisitoire de Stéphen Kerckhove : Grenelle de l’environnement : l’histoire d’un échec (éditions Yves Michel)
Jean-Christophe Mathias

Chercheur indépendant, auteur de Grenelle
de l’environnement : la supercherie écologique, collection "Le droit de savoir", éditions du Sang de la Terre, Paris, octobre 2010.
Site : https://partnature.free.fr



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