19 octobre 2023
L’acide citrique est couramment utilisé dans les produits ménagers et les industries car c’est un excellent détartrant. Il élimine aussi la rouille, les champignons, les bactéries et même les algues. Il est très utilisé pour nettoyer les circuits de refroidissement. Et c’est justement dans ce cadre que la centrale nucléaire de Belleville (Centre - Val de Loire) s’en sert. Sauf que durant un an, le site industriel l’a rejeté ensuite dans la Loire, alors que cette substance n’est pas dans ses autorisations de rejets et doit normalement être évacuée vers une filière adaptée.
Crédit photo : André Paris
Aucune notion de la quantité d’acide déversée dans le fleuve n’est précisée dans la déclaration d’incident significatif pour l’environnement [1] . EDF prend toutefois le soin d’y préciser qu’il n’est pas dangereux, ni pour l’homme ni pour l’environnement. L’acide citrique cause toutefois des irritations, peut modifier le métabolisme des organismes vivants et rend le phosphore plus assimilable par les plantes. Une action qui peut ainsi modifier l’équilibre des écosystèmes aquatiques car le phosphore est un engrais, il favorise leur croissance. Or leur sur-développement aura un impact sur l’oxygénation de l’eau et provoquer une eutrophisation, qui auront à leurs tours un impact sur les autres organismes du milieu. Un excès de phosphore bloque aussi l’assimilation de l’azote par les plantes, les rendant plus sujettes aux maladies.
EDF précise avoir contrôlé le pH avant d’avoir rejeté dans le fleuve les déchets liquides issus de ses nettoyages de circuits de refroidissement. Mais cet indicateur est-il suffisant pour jauger d’une absence d’impact environnemental ?
Entre octobre 2022 et septembre 2023, l’industriel a déversé 27 fois dans la Loire de l’acide citrique (et d’autres produits résultant du nettoyage de circuits de refroidissement) alors que cette substance n’est pas sur la liste de celles dont le rejet lui est autorisé
[2]. Avant octobre 2022, l’acide utilisé pour le nettoyage des circuits de refroidissement étaient récupéré dans des citernes, puis envoyé dans une filière de traitement des déchets adaptée. Mais EDF a décidé de "réinterroger" cette pratique, "afin de permettre la réalisation de nettoyages des échangeurs de façon réactive". Doit-on comprendre que la gestion des stocks en citerne posait problème à l’industriel et qu’il était plus facile de déverser le tout dans le fleuve après un simple contrôle de pH ? Quoiqu’il en soit, ce n’est qu’un an plus tard, en septembre 2023, que EDF s’est rendu compte qu’il se débarrassait de cet acide par une voie qui ne lui est pas autorisée. C’est pour cette raison qu’il a déclaré aux autorités un évènement significatif pour l’environnement le 11 octobre 2023.
Au-delà de l’absence de chiffrage et d’une réelle caractérisation de l’impact environnemental de ces rejets en Loire (une mesure de pH n’étant pas suffisante pour étudier la bonne santé d’un écosystème), ce qu’il s’est passé à la centrale de Belleville pointe un problème autrement plus large : un industriel qui décide de changer le traitement de ses déchets pour plus de praticité, sans se poser la question des autorisations qui lui sont octroyées et sans même aller les vérifier avant de les déverser dans la nature. Qu’il lui ait fallu une année et 27 nettoyages pour s’en rendre compte enfonce un peu plus le clou de ce constat : EDF fait (trop) peu de cas de la protection de l’environnement dans la gestion de ses activités industrielles.
Déclaration d’événements significatifs environnement
Publié le 19/10/2023
Déclaration d’un événement significatif environnement, relatif au non-traitement d’acide citrique dans une filière dédiée
Chaque unité de production de la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire est constituée d’un circuit de refroidissement, le circuit RRI (réfrigération intermédiaire). Il assure le refroidissement de plusieurs équipements importants pour la sûreté, et est lui-même refroidi par le circuit SEC, alimenté par la source froide (eau de la Loire).
Le nettoyage des échangeurs RRI/SEC est réalisé périodiquement, et nécessite l’utilisation d’acide citrique*, qui, à l’issue, est récupéré dans une citerne pour être traité dans une filière dédiée. L’arrêté de rejets de la centrale de Belleville-sur-Loire autorise certains acides, toutefois il ne mentionne pas l’acide citrique.
En octobre 2022, la pratique de traitement en filière dédiée de l’acide citrique est réinterrogée par les équipes du site, afin de permettre la réalisation de nettoyages des échangeurs de façon réactive. A l’issue des nettoyages, les différents produits utilisés, dont l’acide citrique, sont collectés, traités, contrôlés, puis rejetés après analyses conformes (dont le pH).
En septembre 2023, le non-traitement de l’acide citrique dans une filière dédiée est identifiée.
Durant cette période, 27 nettoyages d’échangeurs ont été réalisés sur le site. La surveillance continue de l’environnement et des rejets au milieu extérieur confirment la conformité du pH sur toute la période.
En raison de l’évacuation de l’acide citrique en dehors des voies normales de collecte (filière dédiée), un événement significatif pour l’environnement a été déclaré par la direction de la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire le 11 octobre 2023 auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire.
* Selon la directive 67/548/CEE, il n’y a pas d’indication particulière concernant les dangers pour l’homme et l’environnement, relative à l’acide citrique.
[1] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements
[2] Les industriels ont des autorisations de rejets qui lui sont délivrées par les pouvoirs publics. Celles-ci mentionnent la liste des substances dont le rejet est autorisé mais aussi les limites et les modalités de ces rejets. Les substances mêmes autorisées ne peuvent pas être rejetées n’importe où, ni n’importe quand ni dans n’importe quelles quantités.
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