Faire un don

Nos actions juridiques

Fuites d’eau en série et mensonges à la centrale


Victoires / Installation : Fessenheim


Le 28 février 2015, plus de 100 m3 d’eau se sont déversés dans la salle des machines du réacteur 1 de la centrale de Fessenheim, éclaboussant des boîtiers électriques et provoquant un défaut d’isolement sur un tableau électrique. Une seconde fuite s’est produite le 5 mars 2015. Le Réseau "Sortir du nucléaire" et 4 associations antinucléaires alsaciennes ont décidé de porter plainte.

La centrale nucléaire de Fessenheim


La centrale nucléaire de Fessenheim

Le site de Fessenheim abrite la centrale nucléaire exploitée par EDF dans le département du Haut-Rhin, à 23 km de Colmar et 26 de Mulhouse. Le site se trouve à 1,5 km de l’Allemagne et à environ 40 km de la Suisse.

Cette centrale nucléaire est constituée de 2 réacteurs à eau sous pression d’une puissance de 900 MW. Les réacteurs 1 et 2 constituent l’installation nucléaire de base (INB) 75.

Dans son appréciation 2014, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) considère que l’exploitant doit encore progresser dans la préparation des interventions et dans la tenue de la documentation d’exploitation où des écarts ont été constatés. L’ASN relève que l’année 2014 a été marquée par un arrêt fortuit de 7 semaines du réacteur 1 dû à une arrivée d’eau dans la partie non nucléaire de l’installation qui a endommagé des armoires électriques. L’ASN considère que, en raison de l’impact possible sur la sûreté des installations, l’exploitant doit veiller à un suivi rigoureux de la fonctionnalité des équipements ne figurant pas parmi les équipements importants pour la sûreté. Des écarts ont encore été relevés dans la gestion des déchets. Enfin, dans le domaine de la radioprotection des travailleurs, des progrès sont encore attendus dans la gestion des chantiers et dans l’analyse du retour d’expérience des interventions.

Deux fuites consécutives largement minimisées

Le 28 février 2015, EDF déclarait la mise à l’arrêt du réacteur n° 1 de la centrale de Fessenheim suite à un « défaut d’étanchéité » sur une tuyauterie. Ce sont en réalité plus de 100 m3 d’eau qui ont jailli, non pas suite à un défaut d’étanchéité mais à une rupture de tuyauterie, et qui se sont déversés dans la salle des machines, éclaboussant des boîtiers électriques et provoquant un défaut d’isolement sur un tableau électrique [1].

Le 5 mars, la tuyauterie a été remise en eau, contrairement aux engagements pris par EDF auprès de l’ASN et sans qu’aucune évaluation des causes de la rupture de la tuyauterie ni des impacts de la fuite n’ait été réalisée. Quelques minutes après, elle se rompait de nouveau, à un autre point, en présence des inspecteurs de l’ASN… La précipitation à cette remise en eau s’explique peut-être par le fait que le 12 mars 2015, Nicolas Sarkozy devait se rendre en visite à Fessenheim et qu’il aurait été certainement gênant que les deux réacteurs soient alors à l’arrêt...

Le 10 mars, interrogé lors d’une séance de la CLIS (Commission locale d’information et de surveillance) sur ce double incident, le directeur de la centrale a clairement failli à son obligation d’information, passant volontairement sous silence la réalité de l’événement.

Le mercredi 15 avril, lors de la présentation du rapport annuel de l’ASN devant l’OPECST, son président, Pierre-Franck Chevet a vivement critiqué la communication d’EDF, la qualifiant de « décalée », déclarant ne pas être « content de la manière dont ils ont informé » et s’inquiétant de « l’empressement [de l’exploitant] à vouloir redémarrer le réacteur ». Un procès-verbal pourrait d’ailleurs être transmis à la justice.

Une plainte contre un exploitant délinquant

D’après EDF, la première rupture de tuyauterie serait due à une fatigue vibratoire... C’est donc l’usure qui aurait eu raison de celle-ci.

Cet événement met en lumière le mépris de la sûreté dont EDF a une nouvelle fois fait preuve. L’exploitant de la centrale de Fessenheim n’a pas su tirer les leçons de l’« incident » survenu en avril 2014 [2]. Quant aux agissements d’EDF - minimisation de l’incident, mensonge à l’ASN, omission auprès de la CLIS – elle laisse plus que songeur quant à l’attitude que l’entreprise adopterait en cas d’accident de grande ampleur !

C’est pourquoi les associations antinucléaires ont décidé de porter plainte contre EDF et contre Thierry Rosso, directeur de la centrale au moment des faits. Le dépôt de plainte officiel a eu lieu le 21 avril 2015 (voir notre plainte, en document joint).

Le Parquet de Colmar a décidé d’engager des poursuites à l’encontre d’EDF. L’audience a eu lieu au tribunal de police de Guebwiller, le 5 octobre 2016 (voir nos conclusions, en document joint). L’affaire a été mise en délibéré et le jugement a été rendu le 8 mars 2017.

Le tribunal de police de Guebwiller a condamné EDF à 17 000 euros et a rejeté sa demande de dispense de peine et de non inscription de la décision à son casier judiciaire (voir le jugement, en document joint). EDF a fait appel de cette condamnation.

L’audience a eu lieu à la cour d’appel de Colmar le 26 septembre 2018 (voir nos conclusions, en document joint) [3]. L’affaire a été mise en délibéré et l’arrêt a été rendu le 21 novembre 2018 (voir l’arrêt de la cour d’appel, en document joint) : celui-ci confirme le jugement de première instance. EDF est condamnée à payer 7 000 euros d’amende et sa condamnation figurera bien à son casier judiciaire. EDF a déposé un pourvoi en cassation (voir notre mémoire en défense, en document joint).

La Cour de cassation a examiné l’affaire le 19 novembre 2019. L’affaire a été mise en délibéré et l’arrêt a été rendu le 17 décembre 2019.

L’avocat général avait demandé la cassation sur l’absence d’identification par la cour d’appel de l’organe ou du représentant de la personne morale dont la faute est à l’origine du dommage. Mais la Cour de cassation a finalement rejeté définitivement le pourvoi d’EDF, estimant qu’en statuant ainsi, par des motifs dont il se déduit que M. Kremer était le représentant de la personne morale agissant pour le compte de celle-ci, la cour d’appel avait justifié sa décision.

 

Téléchargez l’arrêt de la Cour de cassation
Fuites Fessenheim - Arrêt de la C.cass 17/12/19

 

Pour en savoir plus sur cette affaire :
https://www.sortirdunucleaire.org/France-Fessenheim-fuites

Notes

[1Voir la lettre d’inspection de l’Autorité de sûreté nucléaire publiée suite à cet événement

[2Une négligence inadmissible des opérateurs de l’équipe de conduite au moment du remplissage d’un réservoir avait provoqué le débordement de plus de 3 m3 d’eau. Cette inondation avait ensuite déclenché plusieurs alarmes de défaut d’isolement électrique et forcé un arrêt en urgence du réacteur n° 1. Ces problèmes à répétition ne font que confirmer la dangerosité de cette centrale. Le vieillissement et l’usure des équipements laissent craindre de nouvelles défaillances inquiétantes si la centrale n’est pas arrêtée immédiatement. Voir la lettre d’inspection de l’Autorité de sûreté nucléaire publiée suite à cet évènement.

[3Compte-rendu de l’audience du 26 septembre 2018 : Audience en présence de JP Dion, responsable juridique chez EDF, du directeur technique et environnement de la centrale de Fessenheim (Laurent Jarry), de l’avocat d’EDF (Me Martinet) et d’un représentant de l’ASN (Vincent Blanchard) adjoint au chef de division de l’ASN Strasbourg (entendu comme témoin). Les associations étaient représentées par Me Benoist Busson.

Le président : EDF était poursuivie devant le tribunal de police de Guebwiller pour avoir, entre le 28/02 et le 05/03/15, exploité le CNPE Fessenhein en violation des règles techniques générales en ne déterminant pas les causes précises de la première fuite, en ne définissant pas les mesures correctives appropriées, en ne mettant pas en œuvre les dispositions appropriées, infractions prévues et réprimées par l’article 56 du décret du 2 novembre 2007. Le tribunal de Guebwiller a écarté la note en délibéré produite par EDF suite à l’audience de 1e instance. Il a déclaré EDF coupable des deux premières infractions et l’a relaxée sur la 3e. Il l’a condamnée à 3500 euros d’amende chacune avec inscription de la condamnation au casier judiciaire. Irrecevabilité de la constitution de partie civile de deux associations : STHN et CSFR. 3 000 euros de dommages et intérêts pour chacune des 3 autres associations. Appel interjeté par EDF, le Ministère Public et les parties civiles. Règlementation stricte des INB mise en place depuis les années 60. Article du Code de l’environnement qui dispose que les INB sont soumises à des arrêtés pour leurs règles générales. Règles fixées par différents arrêtés et notamment arrêté du 07/02/12. Définition d’un écart donnée par cet arrêté : non-respect d’une exigence définie par le système de management intégré de l’exploitant. Évènement significatif = écart d’une importance particulière selon critères définis par l’ASN. Management intégré = l’exploitant définit et met en œuvre un système de management intégré tel que les intérêts définis par l’article L. 593-1 du Code de l’environnement soient systématiquement pris en compte. Articles 2.6.1, .2 et .3 de l’arrêté du 07/02/12 portent sur la gestion des écarts. Un distinguo est fait entre écarts et évènements significatifs. L’ASN est une AAI sur les risques nucléaires. Elle est composée d’inspecteurs. Peut constater des infractions par PV. Comment les manquements à l’arrêté du 07/02/12 sont-ils sanctionnés ? L’article 56 du décret du 02/11/07 prévoit que constitue une contravention de la 5e classe le fait d’exploiter une INB en violation des règles générales et des décisions à caractère règlementaire. Les PV de l’ASN font foi jusqu’à preuve du contraire. Quid du texte qui prévoit un délai de 48H pour déclarer les évènements significatifs ? Retour sur les faits : SMS informel envoyé à l’ASN le 28/02 pour un "défaut d’étanchéité" et mise à l’arrêt du réacteur 1. Fuite signalée par un technicien. Échanges téléphoniques avec l’ASN les jours qui ont suivi. Le 03/03/15, l’exploitant a adressé une déclaration d’ESS : repli de la tranche 1 suite à découverte d’une fuite sur circuit secondaire. Terme technique pour dire arrêt avec intervention. Document d’ESS assez complet : description de l’évènement heure par heure et de son traitement. Des projections d’eau ont eu pour conséquence de causer des anomalies sur les tableaux électriques. La bâche doit contenir un certain volume d’eau. En dessous de celui-ci, il faut replier. Évènement important pour la sûreté. 2 inspecteurs ASN sont venus sur place pour procéder à une inspection le 05/03. Les inspecteurs ont pu constater que le tronçon de la tuyauterie qui avait lâché avait été remplacé. Circuit ANG. Fissuration importante. Fuite sur plus de 100 m3 en 2 heures qui a entraîné l’indisponibilité de certains matériels électriques importants pour la sûreté. Arrêt préventif du réacteur 1 aurait été nécessaire. Programme de travaux établi le jour de l’inspection : insuffisant car peu approfondi. Pendant l’inspection, la tuyauterie réparée a été victime d’une seconde fuite à 1 mètre de la première réparation. L’alarme d’évacuation s’est alors déclenchée. Les inspecteurs ont dressé un PV. L’incident du 05/03 montre qu’on n’a pas fait ce qu’il faut. Manque de rigueur. Le 12/03, l’ASN adresse à Fessenheim un courrier de demandes. Les associations anti-nucléaires ont porté plainte pour d’autres infractions dont le délit de non déclaration. A l’issue de l’enquête, le Ministère Public a retenu trois contraventions. Je resterai surtout sur les deux premières puisqu’il y a eu relaxe en première instance sur la troisième infractions et que le Parquet général et les parties civiles ne reviennent pas dessus. Durant l’enquête, le représentant d’EDF a déclaré qu’il n’y avait pas eu de défaillance dans l’information. Transmission progressive. Sur la rupture du 05/03 : était isolable immédiatement. Le réservoir de secours était utilisable ponctuellement. Délai ok pour l’ASN.

Me Martinet : Exception de nullité soulevée car on ne sait pas sur quelles bases pénales EDF est poursuivie. Droit extrêmement technique. La lettre de l’ASN dit que "cet évènement n’a eu aucune conséquence sur la sûreté de l’installation". L’exploitant a respecté le "code de la route" et aucune suite n’a été donnée à cette lettre de suites. L’incident est clos. EDF a été bien surprise de recevoir cette citation un an plus tard. Injuste que la dispense de peine n’est pas été accordée. Dans les conclusions de partie civile, c’est le flou le plus total. Il y a une violation des droits de la défense fondée sur le flou de la base légale.

Me Busson : Les faits sont connus par EDF. Les PV font foi jusqu’à preuve contraire : cela ne signifie pas que seuls les PV servent de base. Plusieurs décisions sont tombées et ont défriché le terrain en la matière. Sur la note en délibéré produite par EDF après l’audience en 1e instance, là-dessus, la jurisprudence est constante : pas de note en délibéré possible.

L’avocate générale : D’après la défense, la citation pénale serait nulle parce qu’il y aurait une différence entre les infractions contenues dans le PV de l’ASN et la citation. Or, c’est un principe de base de la procédure pénale, mais le Parquet a l’opportunité des poursuites et le droit de choisir la procédure pénale et la qualification. Le Parquet n’est pas lié par une qualification. Jurisprudence constante de la Cour de cassation : il appartient ensuite aux juges du fond de dire si les infractions sont caractérisées ou non. La citation directe délivrée à EDF était tout à fait intelligible. Selon l’article 56 du décret du 02/11/07, est une contravention de 5e classe le fait de ne pas respecter les règles techniques générales. L’article 2.6.3 de l’arrêté de 2012 est très clair. Il précise exactement ce qui est reproché à la personne morale. Je demande le rejet de l’exception de nullité.

Le président : Exception de nullité jointe au fond.

Le représentant de l’ASN : Traitement des écarts pas satisfaisant dans cette affaire. Sur la fuite, il n’y avait aucun enjeu de sûreté mais niveau trop bas dans la bâche par rapport à ce qui est défini dans la réglementation.

Le président : on déduit l’insuffisance d’EDF de la seconde fuite du 05/03.

Le représentant de l’ASN : Ce qui est reproché à EDF, c’est l’absence d’examen et l’insuffisance de traitement.

Le président : Réparation insuffisante et inappropriée et ce qui est grave, ce sont les conséquences potentielles de la fuite.

Le représentant de l’ASN : L’écart était constitué par le niveau trop bas dans la bâche causé par la fuite. Mesures curatives nécessaires.

Le président : L’arrêté de 2012 définit les équipements importants pour la sûreté. Cas de la bâche. EDF dit que l’élément moral de l’écart est insaisissable parce qu’il renvoie à des éléments dont EDF est maître (système de management intégré).

Le représentant de l’ASN : Un évènement significatif pour la sûreté est un écart particulier. Ces écarts doivent faire l’objet d’une déclaration et l’ASN en définit les critères, comme par exemple, l’arrêt automatique d’un réacteur.

Le président : EDF soutient que le guide fait par l’ASN sur les critères de déclaration et les délais est dépourvu de portée réglementaire.

Le représentant de l’ASN : Ce guide date d’octobre 2005 mais les critères qu’il contient sont toujours d’actualité. Il est prévu de prévoir tout cela au sein d’une décision de l’ASN.

Le président : EDF définit les règles et c’est examiné par l’ASN et ça devient réglementaire une fois que l’ASN accorde.

L’avocate générale : L’article 1.3.3 définit l’évènement significatif. Le règlement donne ici compétence à l’ASN pour définir les critères des évènements significatifs.

Le président : Classement au niveau 0 de l’échelle INES.

Le représentant de l’ASN : Les RGE sont une sorte de "code de la route". Ces règles fixe un minimum en dessous duquel le réacteur doit être mis à l’arrêt.

Me Busson : Rôle technique des réservoirs d’eau qui constituent une bâche de sécurité pour les générateurs de vapeur. Quelles conséquences ?

Le représentant de l’ASN : Ces réservoirs permettent le refroidissement du réacteur en cas d’urgence. Événement type séisme qui ferait perdre les systèmes de refroidissement normaux. Si le niveau d’eau est trop bas, le réservoir de secours n’est alors plus apte à prendre le relais en cas d’urgence.

Me Martinet : Depuis l’apparition des guides de l’ASN, la réglementation a largement évolué. Un évènement significatif est un écart d’une importance particulière. Référentiel réglementaire.

Le représentant de l’ASN : Le guide reste valable en dépit de l’évolution de la réglementation.

Me Martinet : A partir du moment où les textes ont évolué, ça doit aussi évoluer. En cas d’écart mineur, l’article 2.6.3 prévoit que le traitement peut se limiter à définir des actions curatives. Sur cette déclaration d’ESS, évènement a été classé au niveau 0 de l’échelle INES.

Le représentant de l’ASN : Le caractère mineur/majeur d’un écart doit s’apprécier en termes de conséquences potentielles.

Me Martinet : On ne peut pas à la fois respecter les RGE à la lettre et après être considéré comme "en écart". L’ASN a validé a posteriori.

Le représentant de l’ASN : Il y a eu un écart : réservoir en-dessous d’un certain niveau. A partir de là, l’article 2.6.3 s’applique.

Me Martinet : Quelle partie du 2.6.3 ? Ecart mineur ou majeur ?

Le représentant de l’ASN : Ecart non mineur.

Le représentant d’EDF (Laurent Jarry) : On parle de fuites d’eau non radioactive. L’exploitant applique les RGE. On a géré l’évènement dans le strict respect des RGE. On a déclaré un évènement significatif. Guide de l’ASN antérieur à l’arrêt qui prévoit plusieurs critères pour la déclaration. Dès que situation de repli, on déclare un évènement. Événement significatif, on ne le conteste pas. Si nous n’avions pas respecté les RGE, on aurait déclaré au niveau 1 de l’échelle INES et non au niveau 0. Equipement qui n’a aucune exigence technique. Bâche qui a plusieurs moyens d’alimentation. Pas d’exigence d’étanchéité. Comme il ne s’agit pas d’un équipement important pour la protection, on n’est pas dans une situation d’écart. Mais comme il y a une fuite en salle des machines, on arrête la tranche qui passe alors sur l’alimentation de secours, ce qui a pour conséquence de faire baisser le niveau d’eau de la bâche. 6 domaines différents de repli : il y a le réacteur en puissance et des niveaux inférieurs. Baisser signifie ramener la tranche à un niveau plus bas en termes de pression/température. L’alarme qui s’est déclenchée le 05/03 n’était pas la conséquence de la fuite.

Le président : Je ne comprends pas bien. Dans la déclaration très précise d’évènement significatif sûreté (ce terme n’engage qu’EDF d’après elle), le volume d’eau borée devient inférieure, ce qui exige un repli. C’est la baisse qui a imposé l’arrêt et non l’arrêt qui a causé la baisse du niveau d’eau.

Le représentant d’EDF (Laurent Jarry) : A chaque situation, il y a une conduite à tenir. Dans tous les cas, on a respecté les règles.

Le président : le 05/03, nouvelle fuite pratiquement au même endroit.

Le représentant d’EDF (Laurent Jarry) : La question se pose en terme d’enjeu de sûreté. Sur cette tuyauterie, il n’y en a aucun. Remplacement et contrôle par sondage. L’équipement n’a pas d’exigence de sûreté, mais on a mené les contrôles. Actions correctives et curatives associées.

Le représentant d’EDF (JP Dion) : Complexité de la réglementation. Article 2.6.3 qui définit un écart comme le non respect d’une exigence soit défini dans le système de management intégré de l’exploitant, soit doit être susceptible de remettre en cause la défense en profondeur. On ne sait pas précisément ce de quoi on parle : 1e fuite ? 2e fuite ? baisse de la bâche ? Distinguo entre le légal et le supralégal. L’ASN est quasiment en permanence sur le terrain. C’est un partenaire d’EDF. Cela conduit EDF à discuter avec l’ASN et à appliquer les exigences de celle-ci même si elles n’ont pas de valeur réglementaire. Guide de l’ASN de 2005 qui est obsolète. On espère qu’il y aura une mise à jour prochaine. Ce n’est pas parce qu’on applique qu’on reconnaît une valeur réglementaire. C’est la première fois que l’ASN dresse un PV sur un évènement qui respecte scrupuleusement les STE. Nous affirmons que les STE ont été scrupuleusement respectées. Appréciation qui doit se faire dans la durée. Situation inédite et parfaitement inhabituelle car atteinte d’un seuil mais STE respectées.

Me Busson : Au départ, EDF parlait de "défaut d’étanchéité" dans sa communication vis-à-vis du public. Est-ce que vous faites une différence entre défaut d’étanchéité et fuite ? Il semble que non. Affaire qui a choqué le président de l’ASN, notamment sur l’aspect communication.

Le président : Qu’est-ce qu’est tenu de déclarer l’exploitant dans les 48h ? Le SMS est une déclaration informelle. Ce qui engage EDF, c’est la déclaration d’ESS.

Me Busson : La bâche est ce qui a créé la situation de repli.

Le représentant d’EDF (Laurent Jarry) : La bâche a vu son volume d’eau baissé donc arrêt de tranche.

Me Busson : Les incriminations par des renvois successifs sont parfaitement légales et font l’objet d’une jurisprudence constante en la matière.
 Sur l’élément légal : si vous deviez juger qu’il n’y a pas d’écart, ce serait un revirement à 360. Oui les écarts font partie des éléments matériels. La loi TSN est très calquée sur la réglementation ICPE donc nous avons fait référence à des jurisprudences ICPE de la Chambre criminelle. Règles préventives : prévenir accident/incident. Un accident sur une INB n’aurait pas les mêmes conséquences qu’un non-respect du Code de la route. Prévenir pour éviter la survenance d’un accident majeur. On ne peut pas prévoir dans la réglementation l’intégralité des comportements à respecter. Système qui renvoie donc à des guides. Cela est prévu par l’arrêté ministériel. Parallèle à faire avec le droit de l’urbanisme. Lorsque je dépose un permis de construire en mairie et qu’il est accordé, je vais devoir me conformer à celui-ci. En cas de non-respect, c’est une infraction. Ce sont des règles que j’ai moi-même édictées. Totale prévisibilité et intelligibilité de la loi pénale. Ce n’est pas une réglementation que découvre EDF qui est en dialogue permanent avec l’ASN. L’arrêté de 2012 n’a jamais été contesté par EDF. On ne sait soi-disant pas les règles mais on les applique et on ne les conteste pas... Avant 2012, il y avait l’arrêté RTGE de 1999. Depuis que les centrales nucléaires existent, il y a une réglementation qui les encadre. Les textes successifs ont juste apporté une mise en harmonie. EDF invoque le droit à ne pas s’auto-incriminer. Or, ce droit est celui qui permet, notamment en garde à vue, de garder le silence. Je ne vois pas le rapport ici. EDF a décidé le repli du réacteur. L’évènement significatif résulte de ces fuites à quelques jours d’écart. L’article 1.3 de l’arrêté de 2012 définit l’écart notamment comme le non-respect d’une exigence définie. Tout évènement significatif est un écart. Sur l’absence d’atteinte à la sûreté, ce n’est pas le sujet. L’article 2.6.3 impose la caractérisation, l’analyse et le traitement. Non-respect puisqu’il y a eu une deuxième fuite. Sur le classement INES, la sûreté n’étant pas le sujet, le moyen est inopérant. EDF a une obligation de résultat sur l’identification des causes. Elle aurait dû analyser, aurait dû traiter le problème. Je demande donc la confirmation de la culpabilité.
 Sur la dispense de peine : Fessenheim serait soi-disant la mieux notée des centrales. Pourtant, là encore, le réacteur 2 a été mis à l’arrêt pour défaillance. La gestion calamiteuse de ce simple "problème de plomberie" inquiète les associations que je représente. Les textes imposent que le dommage soit intégralement réparé. Les conditions posées par les textes pour une dispense de peine ne sont pas réunies.
 Sur les intérêts civils : appel incident pas sur le montant des dommages et intérêts mais sur le fait que deux associations ont été déclarées irrecevables. Objet statutaire : lutte contre pollutions et risques de l’industrie nucléaire. EDF soutient que dès que les associations ne sont pas agréées, n’ont pas l’intérêt à agir. Mais s’il n’y a pas d’agrément, elles peuvent avoir un intérêt spécifique qui dépend de leur objet statutaire. C’est le cas de SF, STHN et du CSFR. Pour STHN et CSFR, nous avons produit cette fois-ci l’inscription au greffe (petite spécificité locale). Sur le montant de la réparation : faire que le nucléaire emporte le moins de risques possibles en respectant la réglementation. On ne va pas attendre un évènement majeur pour se constituer partie civile. Il y avait déjà eu un problème en 2014 sur le circuit secondaire. Ce n’est pas parce qu’il n’y a "pas de risque" que c’est banal. Décalage entre la communication d’EDF et la réalité. Chevet lui-même l’a dit. EDF devrait peut-être investir un peu moins dans la communication et un peu plus dans les tuyaux. On demande 5000 euros par association.

L’avocate générale : Sur le défaut d’élément légal : le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation ont validé depuis longtemps les incriminations indirectes par renvoi. Respect de l’article 111-3 du Code pénale. Sur le fond : jugement fort bien rédigé et complet. Conclusions de partie civile très complètes. Les règles générales sont fixées par le ministre. ESS : c’est de cette façon-là que l’évènement est libellé. Selon l’article 1.3 de l’arrêté de 2012, l’ES est un écart présentant une importance particulière. L’arrêté de 2012 donne compétence à l’ASN pour définir ce qu’est un écart. Tout à l’heure, nous avons entendu l’inspecteur de l’ASN : même si le guide de l’ASN est antérieur à la réglementation actuelle, les critères correspondront toujours à un tel évènement. L’écart est aussi défini par l’article 1.3. Ce n’est pas la tuyauterie mais les conséquences de cette fuite. Fuite => défaillance du système électrique => baisse du réservoir de secours => écart. EDF n’est pas allée au bout de l’article 2.6.3., à savoir "déterminer les causes techniques, organisationnelles et humaines". Il n’y a pas eu d’analyse complète des causes. Le simple remplacement du tronçon de tuyauterie n’a pas suffi puisqu’il y a eu une seconde fuite. EDF n’a pas déterminé les causes techniques de la première fuite, ce qui aurait permis d’éviter la seconde, et n’a pas défini d’actions correctives et curatives appropriées. Je vous demande d’entrer en voie de condamnation pour ces deux infractions. Sur la dispense de peine, le reclassement n’est pas acquis donc non. La non-inscription au casier judiciaire ne peut pas être accordée. Je demande la confirmation intégrale du jugement de première instance.

Me Martinet : Grande déception à l’écoute des réquisitions du Parquet général. Il s’agit là d’un procès d’intention permanent que ce dernier ne peut pas faire. Tribunal aussi : "l’absence de conséquence de la deuxième fuite n’est due qu’à la chance". C’est inadmissible. Manque de sérieux dans la préparation des audiences. Incident fermé qui n’a pas eu de portée. On ne regarde pas concrètement les choses. Stricto sensu, on ne rentre pas dans la définition d’un écart. Jurisprudence du tribunal de police de Paris : un écart n’est pas égal à une infraction. La base de la répression doit être claire. Il n’y a rien dans l’arrêté de 2012 sur le niveau de la bâche. On n’est pas là pour débattre sur la sortie du nucléaire. Corps à corps avec l’ASN. Le pénal n’est pas la réponse car amène la défiance. On a clôturé l’incident. A minima, si confirmation sur culpabilité, demande de dispense de peine. L’ASN, elle-même, a reconnu la bonne gestion de l’incident dans son rapport.

L’affaire a été mise en délibéré et l’arrêt sera rendu le 21 novembre 2018 à 8h30.

La centrale nucléaire de Fessenheim

Le site de Fessenheim abrite la centrale nucléaire exploitée par EDF dans le département du Haut-Rhin, à 23 km de Colmar et 26 de Mulhouse. Le site se trouve à 1,5 km de l’Allemagne et à environ 40 km de la Suisse.

Cette centrale nucléaire est constituée de 2 réacteurs à eau sous pression d’une puissance de 900 MW. Les réacteurs 1 et 2 constituent l’installation nucléaire de base (INB) 75.

Dans son appréciation 2014, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) considère que l’exploitant doit encore progresser dans la préparation des interventions et dans la tenue de la documentation d’exploitation où des écarts ont été constatés. L’ASN relève que l’année 2014 a été marquée par un arrêt fortuit de 7 semaines du réacteur 1 dû à une arrivée d’eau dans la partie non nucléaire de l’installation qui a endommagé des armoires électriques. L’ASN considère que, en raison de l’impact possible sur la sûreté des installations, l’exploitant doit veiller à un suivi rigoureux de la fonctionnalité des équipements ne figurant pas parmi les équipements importants pour la sûreté. Des écarts ont encore été relevés dans la gestion des déchets. Enfin, dans le domaine de la radioprotection des travailleurs, des progrès sont encore attendus dans la gestion des chantiers et dans l’analyse du retour d’expérience des interventions.

Deux fuites consécutives largement minimisées

Le 28 février 2015, EDF déclarait la mise à l’arrêt du réacteur n° 1 de la centrale de Fessenheim suite à un « défaut d’étanchéité » sur une tuyauterie. Ce sont en réalité plus de 100 m3 d’eau qui ont jailli, non pas suite à un défaut d’étanchéité mais à une rupture de tuyauterie, et qui se sont déversés dans la salle des machines, éclaboussant des boîtiers électriques et provoquant un défaut d’isolement sur un tableau électrique [1].

Le 5 mars, la tuyauterie a été remise en eau, contrairement aux engagements pris par EDF auprès de l’ASN et sans qu’aucune évaluation des causes de la rupture de la tuyauterie ni des impacts de la fuite n’ait été réalisée. Quelques minutes après, elle se rompait de nouveau, à un autre point, en présence des inspecteurs de l’ASN… La précipitation à cette remise en eau s’explique peut-être par le fait que le 12 mars 2015, Nicolas Sarkozy devait se rendre en visite à Fessenheim et qu’il aurait été certainement gênant que les deux réacteurs soient alors à l’arrêt...

Le 10 mars, interrogé lors d’une séance de la CLIS (Commission locale d’information et de surveillance) sur ce double incident, le directeur de la centrale a clairement failli à son obligation d’information, passant volontairement sous silence la réalité de l’événement.

Le mercredi 15 avril, lors de la présentation du rapport annuel de l’ASN devant l’OPECST, son président, Pierre-Franck Chevet a vivement critiqué la communication d’EDF, la qualifiant de « décalée », déclarant ne pas être « content de la manière dont ils ont informé » et s’inquiétant de « l’empressement [de l’exploitant] à vouloir redémarrer le réacteur ». Un procès-verbal pourrait d’ailleurs être transmis à la justice.

Une plainte contre un exploitant délinquant

D’après EDF, la première rupture de tuyauterie serait due à une fatigue vibratoire... C’est donc l’usure qui aurait eu raison de celle-ci.

Cet événement met en lumière le mépris de la sûreté dont EDF a une nouvelle fois fait preuve. L’exploitant de la centrale de Fessenheim n’a pas su tirer les leçons de l’« incident » survenu en avril 2014 [2]. Quant aux agissements d’EDF - minimisation de l’incident, mensonge à l’ASN, omission auprès de la CLIS – elle laisse plus que songeur quant à l’attitude que l’entreprise adopterait en cas d’accident de grande ampleur !

C’est pourquoi les associations antinucléaires ont décidé de porter plainte contre EDF et contre Thierry Rosso, directeur de la centrale au moment des faits. Le dépôt de plainte officiel a eu lieu le 21 avril 2015 (voir notre plainte, en document joint).

Le Parquet de Colmar a décidé d’engager des poursuites à l’encontre d’EDF. L’audience a eu lieu au tribunal de police de Guebwiller, le 5 octobre 2016 (voir nos conclusions, en document joint). L’affaire a été mise en délibéré et le jugement a été rendu le 8 mars 2017.

Le tribunal de police de Guebwiller a condamné EDF à 17 000 euros et a rejeté sa demande de dispense de peine et de non inscription de la décision à son casier judiciaire (voir le jugement, en document joint). EDF a fait appel de cette condamnation.

L’audience a eu lieu à la cour d’appel de Colmar le 26 septembre 2018 (voir nos conclusions, en document joint) [3]. L’affaire a été mise en délibéré et l’arrêt a été rendu le 21 novembre 2018 (voir l’arrêt de la cour d’appel, en document joint) : celui-ci confirme le jugement de première instance. EDF est condamnée à payer 7 000 euros d’amende et sa condamnation figurera bien à son casier judiciaire. EDF a déposé un pourvoi en cassation (voir notre mémoire en défense, en document joint).

La Cour de cassation a examiné l’affaire le 19 novembre 2019. L’affaire a été mise en délibéré et l’arrêt a été rendu le 17 décembre 2019.

L’avocat général avait demandé la cassation sur l’absence d’identification par la cour d’appel de l’organe ou du représentant de la personne morale dont la faute est à l’origine du dommage. Mais la Cour de cassation a finalement rejeté définitivement le pourvoi d’EDF, estimant qu’en statuant ainsi, par des motifs dont il se déduit que M. Kremer était le représentant de la personne morale agissant pour le compte de celle-ci, la cour d’appel avait justifié sa décision.

 

Téléchargez l’arrêt de la Cour de cassation
Fuites Fessenheim - Arrêt de la C.cass 17/12/19

 

Pour en savoir plus sur cette affaire :
https://www.sortirdunucleaire.org/France-Fessenheim-fuites

  C’est grâce à vos dons que nous les poursuivons !

Nous attaquons chaque fois que nécessaire les industriels du nucléaire, pollueurs et menteurs, afin de lutter contre l'impunité dont ils font l'objet et faire barrage à leurs grands projets inutiles et dangereux. Et nous obtenons des résultats ! Mais cette action nous demande évidemment d’engager des moyens humains et financiers.
Parce que nous souhaitons pouvoir continuer à mener cette guérilla juridique, nous avons besoin de votre soutien !

Faire un don





Thèmes
 Fessenheim