Le groupe allonge de dix ans la durée de vie de ses centrales.
EDF, avec la complicité de lEtat, met lAutorité de sûreté nucléaire devant le fait accompli.
A loccasion de la conférence de presse de présentation des comptes semestriels dEDF, le journaliste de lagence Bloomberg News, pourtant au fait de la chose financière, en a été réduit à avouer son impuissance. Est-ce que cest la dernière fois que lentreprise change de normes comptables ?, a-t-il demandé à François Roussely, le patron dEDF, avec la voix lasse et fatiguée de celui qui va devoir aller se plonger pendant des heures dans les arguties juridico-comptables pour comprendre (un peu) les résultats financiers dEDF.
En un mot comme en mille, ces comptes semestriels sont bons, avait professé, quelques minutes auparavant François Roussely. Avec un bénéfice semestriel de 728 millions deuros (contre 231 millions pour lensemble de lannée 2002), le diagnostic est a priori incontestable. Mieux, pour donner une meilleure visibilité des comptes du groupe, lentreprise a décidé de rapatrier dans ses comptes une partie des 5 milliards deuros de provision jusqualors abandonnés subtilement en hors bilan. Et notamment 900 millions deuros relatifs à la prise de contrôle contestée de lélectricien italien Edison et 175 millions pour lacquisition de Fenice. Au total, EDF aura passé, au cours du premier semestre 2,4 milliards de provisions supplémentaires, pour tenter de nettoyer une partie de ses écuries et compenser la dépréciation des filiales allemande (EnBW) et brésilienne (Light) achetées trop cher.
Mais alors comment afficher un résultat net positif ? Où diable trouver deux milliards deuros pour compenser ces monceaux de provisions ?
Cest là que lopération transparence de François Roussely se transforme en un magnifique numéro de magie comptable. Comme révélé par le Figaro, la direction financière a fait sortir de son chapeau 1,8 milliard deuros de bénéfice (et 5,4 milliards de capitaux propres tout frais), grâce au rallongement de 30 à 40 ans, de la durée de vie des 58 réacteurs nucléaires dEDF.
Cest quoi le truc ? Pour faire face au futur démantèlement de ses centrales nucléaires arrivées en fin de vie, EDF avait provisionné 28 milliards deuros dans ses comptes. En rallongeant la vie des centrales de dix ans et donc leur durée damortissement, EDF gagne du temps et peut récupérer un joli petit paquet dargent. Habile. Sauf quEDF nest absolument pas habilité à décider si oui ou non ses centrales nucléaires peuvent durer 30 ou 40 ans. Seule, lAutorité de sûreté nucléaire, placée sous la coupe du ministère de lIndustrie, a le pouvoir de décerner un certificat de longévité à lissue de ses visites décennales. Hier, François Roussely a dailleurs reconnu que cette décision ne préemptait pas le jugement de lAutorité de sûreté. Mais dajouter illico, il est légitime en tant quexploitant de donner notre vision de lévolution du parc nucléaire.
Et de mobiliser lexemple des Etats-Unis dont une partie du parc a été autorisée à fonctionner jusquà 60 ans. Etonnant, car on avait jusquà présent connu un Roussely plus distant avec les modes américaines, et notamment le modèle dEnron. Surtout, la sortie de Roussely a réveillé les associations, comme Greenpeace, accusant EDF, avec la complicité de lEtat, de mettre lAutorité de sûreté devant le fait accompli. De quoi compliquer la tâche du gouvernement qui espère faire passer, dans sa future loi dorientation énergétique, la relance du nucléaire en autorisant la construction du fameux EPR. Dailleurs, EDF avait à cur de justifier une décision urgente sur ce dossier prétextant que ses centrales vieillissaient à vue dil (Fessenheim la plus vieille aura 30 ans en 2008). Les voilà qui reprennent, comme par enchantement, un très bénéfique coup de jeune.
Le saviez-vous ?
Depuis cette année, toute éolienne de plus de 25 m doit faire lobjet dune enquête publique, dune enquête dimpact et dun permis de construire. Le Centre de stockage de la Manche qui a accueilli lensemble de déchets nucléaire de la France depuis 20 ans, na, lui, fait lobjet daucune enquête publique. Cherchez lerreur !
(Source : Jean-Yvon Landrac)
Et encore
Quand EDF gagne de largent avec des renouvelables (les barrages hydroélectriques produisent du courant à environ 1 c/kWh), EDF sen sert pour financer ses centrales nucléaires. Quand EDF doit payer un peu plus cher quelle ne voudrait de lélectricité dorigine renouvelable (éolien, photovoltaïque), elle pousse des cris dorfraie. Cherchez lerreur !
(Source : Jean-Yvon Landrac)
Grégoire Biseau
paru dans Libération du 3 octobre 2003
Tous les 3 mois, retrouvez 36 pages (en couleur) de brèves, interviews, articles, BD, alternatives concrètes, actions originales, luttes antinucléaires à l’étranger, décryptages, etc.