Des cadres anonymes s’organisent en interne pour lutter contre la "braderie du service public"
« EDF est une entreprise qui nappartient pas à lEtat. Lentreprise appartient aux citoyens usagers. » Les opposants à la privatisation dEDF et de GDF, à lintérieur de lentreprise, se taisaient, attendant la fin de la négociation sur les retraites. Depuis la victoire du non au référendum du 9 janvier, les inhibitions sont tombées.
Dautant que le gouvernement a décidé de ne pas tenir compte du résultat du vote. Et a annoncé, dans la foulée, une réforme prochaine du statut des deux entreprises, véritable prélude à louverture du capital.
Aujourdhui, les appels à la lutte contre le passage dans le privé se multiplient. Ils prennent une forme inédite. Des pétitions et des études critiques sur la privatisation circulent et sont discutées dans les couloirs. Les opposants se retrouvent sur le forum dun site Internet, Résistances électriques et gazières (REG), créé par de hauts responsables, qui veulent rester anonymes (1). Lidée de ces « résistants » est daller chercher des soutiens en dehors de lentreprise, pour convaincre lopinion que la privatisation dépasse les enjeux purement corporatistes. Tout cela se passe souvent en dehors de la voix officielle des syndicats, dont le premier dentre eux, la CGT, est ressorti très divisé des négociations sur les retraites. Du côté de la direction dEDF, on affirme regarder cette agitation de très loin. « Je nai quun problème de fonds propres à résoudre », affirme François Roussely quand on lui parle de privatisation. Le PDG dEDF y voit un débat « interne à lentreprise ». La contribution dun collectif baptisé Jean Marcel Moulin a lancé le mouvement. En référence à Jean Moulin et à Marcel Paul, lun des fondateurs dEDF. Le texte parle de « spoliation » en cas de privatisation et porte le débat au-delà de lidéologie marché contre entreprise publique. Les tableaux chiffrés, la bonne connaissance des structures dEDF montrent que les auteurs sont proches de la direction et ont probablement eu en main des projets de transformation de lentreprise. Cet appel a été largement repris sur le site Résistances électriques et gazières. REG a choisi de combattre les partisans de la privatisation par lhumour, ce qui lui permet une grande liberté de ton. Personne nest épargné : la direction, les syndicats trop timorés ou la presse jugée trop libérale. François Roussely est la tête de Turc de REG. Il a été surnommé « Napoléon le minuscule », pour avoir raté son OPA sur lItalien Montedison en 2001. Mais le site nen reste pas à la dénonciation. Il se veut le défenseur dune certaine idée dEDF. « Nous sommes conscients quEDF est une entreprise qui nappartient pas à lEtat, dit-il. Lentreprise appartient aux citoyens usagers. »
On veut brader le service public et on méprise le client
Cette idée mûrit petit à petit, cassant le « corporatisme » qui règne à EDF. « Jusque-là, on faisait toujours corps avec lentreprise, raconte un cadre. En interne, on sengueulait. Pour lextérieur, tout le monde était daccord. Tout cela se fissure. » Premier accroc à cette belle unité, quand certains élus de la CGT ont critiqué publiquement laugmentation des tarifs pratiqués par EDF et GDF. « On pouvait être solidaires tant quEDF voulait dire service public et respect des clients, poursuit ce cadre. Aujourdhui, alors quon veut brader le service public et quon méprise le client, il est logique quon prenne du champ. » Les agents ont été déboussolés par la stratégie menée par la direction, faite de conquêtes à prix dor à létranger alors quaucun projet industriel de taille ne se dessinait sur le territoire français. Et la culture de la part de marché a du mal à prendre chez les ingénieurs, qui nont jamais fondé leurs calculs sur la rentabilité financière.
La mobilisation essaie maintenant de sortir de lentreprise. Chacun lance sa pétition. LUnion des cadres au sein de la CGT Energie, opposée à Denis Cohen, secrétaire général, a lancé la sienne. « Contre toute forme de privatisation, pour un véritable développement industriel et de service public... », réclamant aussi la fusion dEDF et de GDF. Une autre, anonyme, renvoyant à une boîte aux lettres électronique, insiste sur la propriété publique dEDF, appelant à un « vrai débat national sur la privatisation ». La fondation Copernic, proche dAttac, a repris la note de Jean Marcel Moulin pour la diffuser largement. Yves Salesse, conseiller dEtat et président de la fondation, relaie le débat dans le réseau altermondialiste. Avec succès. « Au forum social de Florence, lan dernier, les débats sur lavenir du service public faisaient salle comble », dit-il.
La faillite du courtier en énergie Enron, les problèmes électriques de la Californie ou la quasi-faillite de British Energy en Angleterre ont fait évoluer les mentalités. « On voit bien que les privatisations dans le domaine de lénergie sont avant tout un choix idéologique », tranche Yves Salesse.
Nicolas CORI et Muriel GREMILLET
Article paru dans Libération du 4 février 2003
(1) www.globenet.org/aitec/reg/
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