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Sortir du nucléaire n°38



Avril-mai 2008

Niger

Du bois mort pour nos centrales nucléaires

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°38 - Avril-mai 2008

 Uranium et mines  Sites nucléaires
Article publié le : 1er mai 2008


Au nord du Niger, l’extraction de l’uranium a créé deux villes dans une zone désertique. Les besoins en bois de leurs habitants détruisent les ressources forestières de la réserve naturelle voisine de l’Aïr-Ténéré.



Villes champignons

Le géant du nucléaire français Areva exploite l’uranium au nord du Niger depuis les années 70. A cette époque, la découverte de gisements dans la région saharienne du pays provoque la “sortie de terre” de deux usines d’extraction du minerai. Des bâtiments permettant de loger les employés des mines sont construits dans cette zone inhospitalière, au milieu de nulle part, là où pratiquement aucun arbre n’est capable de pousser. C’est le point d’ancrage de deux nouvelles villes sœurs : Arlit et Akokan. Le “boom de l’uranium” provoque alors un appel de population de toute l’Afrique de l’Ouest. On pense pouvoir facilement faire fortune dans cet eldorado nigérien. Arlit est ainsi bientôt surnommé “Deuxième Paris”, en référence aux espoirs que cette ville suscite auprès des populations. Arlit et Akokan totalisent aujourd’hui environ 80 000 habitants.

Une réserve naturelle exceptionnelle

A 120 km à l’est de ces deux villes induites, existe l’une des plus vastes zones protégées d’Afrique, d’une surface équivalente à 3 régions françaises. La Réserve Naturelle Nationale de l’Aïr et du Ténéré est constituée par une partie des montagnes de l’Aïr et du désert du Ténéré. Plusieurs milliers de touaregs vivent dans cette aire protégée. Elle est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité et fait partie du réseau des réserves de biosphère de l’UNESCO (1). Elle abrite une faune et une flore sahariennes remarquables mais fragiles comme le mouflon à manchettes, la gazelle dorcas, le babouin, diverses espèces d’acacias ou le rare olivier sauvage. L’altitude du massif de l’Aïr engendre d’avantage de précipitations que dans les zones alentours. Ces conditions climatiques favorables permettent l’existence de zones boisées, notamment dans les fonds de vallées.

Forte pression sur les ressources en bois

Selon la FAO (2), le bois de feu représente au Niger 90 % de la consommation énergétique globale, essentiellement utilisé pour cuisiner au quotidien. Les habitants d’Arlit et d’Akokan vivant dans une zone désertique, sont totalement dépendants des ressources naturelles provenant de l’extérieur. Le bois nécessaire pour ces deux villes est donc en grande partie exploité dans les vallées de l’Aïr. Il s’agit de bois mort accumulé au sol. Une étude de l’Institut de Recherche pour le Développement montre que l’exploitation est maintenant largement entrée dans la réserve naturelle. Le LUCOP (3) estime qu’en 20 ans, les zones d’approvisionnement se sont étendues sur un rayon de plus de 100 km vers l’est. Les quantités de bois exportées du massif avoisineraient les 45 000 stères/an. Après que des bûcherons locaux ont débité la ressource dans les vallées, une vingtaine de camions et de nombreux 4x4 acheminent le bois jour et nuit de la brousse vers la ville. L’exploitation est de plus en plus sauvage et elle commence à concerner le bois vivant.

Une ressource vitale

Le bois mort joue un rôle important dans le fonctionnement des écosystèmes arides. Il permet un apport en matière organique dans des sols généralement très pauvres. Ceci favorise la régénération de nouveaux arbres et de pâturages nécessaires au bétail et aux herbivores sauvages. Pendant la saison des pluies, le bois mort accumulé dans les koris (cours d’eau temporaires) joue le rôle de mini-barrages et permet une meilleure infiltration de l’eau dans les nappes phréatiques. Enfin, les accumulations de bois freinent la désertification en retenant le sable amené par les vents. Ces tas de bois augmentent la “rugosité du paysage”.
Le bois mort est aussi vital pour les habitants des vallées de l’Aïr. Outre son utilisation pour cuisiner, il sert aussi à construire des puits, des clôtures et des objets de la vie quotidienne. Autour des gros villages, le bois a totalement disparu. C’est le cas à Timia, en périphérie de la réserve, où il est très difficile de s’en procurer et où le prix des fagots est monté en flèche ces dernières années. Par manque de moyens, la plupart des femmes sont obligées d’aller loin du village pour en ramasser. Elles y passent plusieurs heures par jour, au détriment d’autres activités.

Une mobilisation locale difficile

Aucune mesure efficace n’est mise en place pour contrer ce problème humain et écologique. Les services des eaux et forêts percevant des taxes sur le bois exploité ont probablement peu intérêt à ce que cette filière économique soit régulée. Malgré plusieurs actions organisées par des habitants des vallées, par les chefs traditionnels et par les autorités communales de la région, la situation a tendance à empirer. Le LUCOP et le COGERAT (4) se sont attaqués au problème mais ces programmes ont été quasiment paralysés par la reprise récente des conflits armés dans la région.

Areva ne bouge pas le petit doigt

Areva communique actuellement sur son “management environnemental performant en plein cœur du désert” (5) et la multinationale annonce vouloir investir une trentaine de millions d’euros pour le développement de la région (6). Mais elle ne semble pas se soucier du problème de dégradation des ressources naturelles qu’elle provoque. Depuis une quarantaine d’années, presque aucune initiative n’a été prise pour trouver une alternative au bois de feu pour les villes d’Arlit et d’Akokan. La société a bien encouragé ses employés à utiliser du gaz ou de l’électricité pour cuisiner mais l’impact de ces mesures reste insignifiant. Le nord du Niger est pourtant l’une des régions les plus ensoleillées au monde et une mine de charbon produisant de l’électricité existe à Tchirozérine, au Sud d’Arlit. Malgré ces atouts, pratiquement aucun panneau solaire n’est visible dans la ville et aucune promotion du charbon n’est menée pour qu’il puisse remplacer le bois de feu. Areva n’a même pas engagé, comme cela se fait couramment ailleurs, de programme de plantation d’arbres ou d’utilisation des foyers dits “améliorés”, qui permettent d’économiser le bois.

Le pire est à venir !

Ce problème risque de s’aggraver dans les années à venir puisque Areva compte exploiter un nouveau gisement. Le site d’Imouraren “sera le plus grand projet jamais mené en Afrique pour l’extraction d’uranium” (5). Son ouverture va créer un nouvel afflux de population aux abords de l’Aïr. La pression sur le bois de la réserve naturelle va s’intensifier.
Si rien n’est fait rapidement, l’exploitation aura bientôt atteint les sables du Ténéré et on peut penser qu’il n’y aura plus de bois mort disponible dans la région d’ici quelques années. On ramasse déjà plus de bois qu’il n’en tombe au sol.

Du bois mort pour nos ampoules

Finalement, il s’agit là d’un “effet ricochet” des choix énergétiques français. On peut presque considérer que chaque fois qu’on allume une ampoule électrique en France, on brûle un bout de bois nigérien. Il a été prouvé que les activités d’Areva sont nocives pour la santé des habitants d’Arlit et d’Akokan (7). On voit aussi qu’elles mettent en danger les populations rurales et la biodiversité saharienne. Trop souvent, les industries françaises passent outre leurs responsabilités sociales et environnementales à l’étranger (8). La filière nucléaire semble être particulièrement concernée par ce phénomène.

Dimitri de Boissieu
dimidb@free.fr

1 : Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

2 : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture

3 : Programme nigéro-allemand de lutte contre de la pauvreté

4 : Projet de “Cogestion des Ressources de l’Aïr-Ténéré”, gestionnaire de la réserve naturelle et de sa périphérie

5 : sur les sites Internet d’Areva : https://www.areva.com et https://niger.areva.com

6 : voir l’article du Républicain du 24 janvier 2008 : https://www.republicain-niger.com

7 : voir les travaux des associations SHERPA, CRIIRAD et Aghir In’Man, différents articles dans la revue “Sortir du nucléaire” et dans Le Monde ainsi que le film “Arlit, deuxième Paris” d’Idrissou Mora Kpaï.

8 : voir la campagne “L’Europe mine l’Afrique” des Amis de la Terre : https://www.amisdelaterre.org

Villes champignons

Le géant du nucléaire français Areva exploite l’uranium au nord du Niger depuis les années 70. A cette époque, la découverte de gisements dans la région saharienne du pays provoque la “sortie de terre” de deux usines d’extraction du minerai. Des bâtiments permettant de loger les employés des mines sont construits dans cette zone inhospitalière, au milieu de nulle part, là où pratiquement aucun arbre n’est capable de pousser. C’est le point d’ancrage de deux nouvelles villes sœurs : Arlit et Akokan. Le “boom de l’uranium” provoque alors un appel de population de toute l’Afrique de l’Ouest. On pense pouvoir facilement faire fortune dans cet eldorado nigérien. Arlit est ainsi bientôt surnommé “Deuxième Paris”, en référence aux espoirs que cette ville suscite auprès des populations. Arlit et Akokan totalisent aujourd’hui environ 80 000 habitants.

Une réserve naturelle exceptionnelle

A 120 km à l’est de ces deux villes induites, existe l’une des plus vastes zones protégées d’Afrique, d’une surface équivalente à 3 régions françaises. La Réserve Naturelle Nationale de l’Aïr et du Ténéré est constituée par une partie des montagnes de l’Aïr et du désert du Ténéré. Plusieurs milliers de touaregs vivent dans cette aire protégée. Elle est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité et fait partie du réseau des réserves de biosphère de l’UNESCO (1). Elle abrite une faune et une flore sahariennes remarquables mais fragiles comme le mouflon à manchettes, la gazelle dorcas, le babouin, diverses espèces d’acacias ou le rare olivier sauvage. L’altitude du massif de l’Aïr engendre d’avantage de précipitations que dans les zones alentours. Ces conditions climatiques favorables permettent l’existence de zones boisées, notamment dans les fonds de vallées.

Forte pression sur les ressources en bois

Selon la FAO (2), le bois de feu représente au Niger 90 % de la consommation énergétique globale, essentiellement utilisé pour cuisiner au quotidien. Les habitants d’Arlit et d’Akokan vivant dans une zone désertique, sont totalement dépendants des ressources naturelles provenant de l’extérieur. Le bois nécessaire pour ces deux villes est donc en grande partie exploité dans les vallées de l’Aïr. Il s’agit de bois mort accumulé au sol. Une étude de l’Institut de Recherche pour le Développement montre que l’exploitation est maintenant largement entrée dans la réserve naturelle. Le LUCOP (3) estime qu’en 20 ans, les zones d’approvisionnement se sont étendues sur un rayon de plus de 100 km vers l’est. Les quantités de bois exportées du massif avoisineraient les 45 000 stères/an. Après que des bûcherons locaux ont débité la ressource dans les vallées, une vingtaine de camions et de nombreux 4x4 acheminent le bois jour et nuit de la brousse vers la ville. L’exploitation est de plus en plus sauvage et elle commence à concerner le bois vivant.

Une ressource vitale

Le bois mort joue un rôle important dans le fonctionnement des écosystèmes arides. Il permet un apport en matière organique dans des sols généralement très pauvres. Ceci favorise la régénération de nouveaux arbres et de pâturages nécessaires au bétail et aux herbivores sauvages. Pendant la saison des pluies, le bois mort accumulé dans les koris (cours d’eau temporaires) joue le rôle de mini-barrages et permet une meilleure infiltration de l’eau dans les nappes phréatiques. Enfin, les accumulations de bois freinent la désertification en retenant le sable amené par les vents. Ces tas de bois augmentent la “rugosité du paysage”.
Le bois mort est aussi vital pour les habitants des vallées de l’Aïr. Outre son utilisation pour cuisiner, il sert aussi à construire des puits, des clôtures et des objets de la vie quotidienne. Autour des gros villages, le bois a totalement disparu. C’est le cas à Timia, en périphérie de la réserve, où il est très difficile de s’en procurer et où le prix des fagots est monté en flèche ces dernières années. Par manque de moyens, la plupart des femmes sont obligées d’aller loin du village pour en ramasser. Elles y passent plusieurs heures par jour, au détriment d’autres activités.

Une mobilisation locale difficile

Aucune mesure efficace n’est mise en place pour contrer ce problème humain et écologique. Les services des eaux et forêts percevant des taxes sur le bois exploité ont probablement peu intérêt à ce que cette filière économique soit régulée. Malgré plusieurs actions organisées par des habitants des vallées, par les chefs traditionnels et par les autorités communales de la région, la situation a tendance à empirer. Le LUCOP et le COGERAT (4) se sont attaqués au problème mais ces programmes ont été quasiment paralysés par la reprise récente des conflits armés dans la région.

Areva ne bouge pas le petit doigt

Areva communique actuellement sur son “management environnemental performant en plein cœur du désert” (5) et la multinationale annonce vouloir investir une trentaine de millions d’euros pour le développement de la région (6). Mais elle ne semble pas se soucier du problème de dégradation des ressources naturelles qu’elle provoque. Depuis une quarantaine d’années, presque aucune initiative n’a été prise pour trouver une alternative au bois de feu pour les villes d’Arlit et d’Akokan. La société a bien encouragé ses employés à utiliser du gaz ou de l’électricité pour cuisiner mais l’impact de ces mesures reste insignifiant. Le nord du Niger est pourtant l’une des régions les plus ensoleillées au monde et une mine de charbon produisant de l’électricité existe à Tchirozérine, au Sud d’Arlit. Malgré ces atouts, pratiquement aucun panneau solaire n’est visible dans la ville et aucune promotion du charbon n’est menée pour qu’il puisse remplacer le bois de feu. Areva n’a même pas engagé, comme cela se fait couramment ailleurs, de programme de plantation d’arbres ou d’utilisation des foyers dits “améliorés”, qui permettent d’économiser le bois.

Le pire est à venir !

Ce problème risque de s’aggraver dans les années à venir puisque Areva compte exploiter un nouveau gisement. Le site d’Imouraren “sera le plus grand projet jamais mené en Afrique pour l’extraction d’uranium” (5). Son ouverture va créer un nouvel afflux de population aux abords de l’Aïr. La pression sur le bois de la réserve naturelle va s’intensifier.
Si rien n’est fait rapidement, l’exploitation aura bientôt atteint les sables du Ténéré et on peut penser qu’il n’y aura plus de bois mort disponible dans la région d’ici quelques années. On ramasse déjà plus de bois qu’il n’en tombe au sol.

Du bois mort pour nos ampoules

Finalement, il s’agit là d’un “effet ricochet” des choix énergétiques français. On peut presque considérer que chaque fois qu’on allume une ampoule électrique en France, on brûle un bout de bois nigérien. Il a été prouvé que les activités d’Areva sont nocives pour la santé des habitants d’Arlit et d’Akokan (7). On voit aussi qu’elles mettent en danger les populations rurales et la biodiversité saharienne. Trop souvent, les industries françaises passent outre leurs responsabilités sociales et environnementales à l’étranger (8). La filière nucléaire semble être particulièrement concernée par ce phénomène.

Dimitri de Boissieu
dimidb@free.fr

1 : Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

2 : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture

3 : Programme nigéro-allemand de lutte contre de la pauvreté

4 : Projet de “Cogestion des Ressources de l’Aïr-Ténéré”, gestionnaire de la réserve naturelle et de sa périphérie

5 : sur les sites Internet d’Areva : https://www.areva.com et https://niger.areva.com

6 : voir l’article du Républicain du 24 janvier 2008 : https://www.republicain-niger.com

7 : voir les travaux des associations SHERPA, CRIIRAD et Aghir In’Man, différents articles dans la revue “Sortir du nucléaire” et dans Le Monde ainsi que le film “Arlit, deuxième Paris” d’Idrissou Mora Kpaï.

8 : voir la campagne “L’Europe mine l’Afrique” des Amis de la Terre : https://www.amisdelaterre.org



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