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Sortir du nucléaire n°31



Juin 2006

Tournée ukrainienne

Des moments forts pour le 20e anniversaire de Tchernobyl

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°31 - Juin 2006

 Tchernobyl
Article publié le : 1er juin 2006


André Larivière, salarié du Réseau "Sortir du nucléaire" s’est rendu en Ukraine du 22 au 27 avril 2006. Il a accompagné la Diagonale de Tchernobyl (performance artistique de théâtre, musique et spectacle). Voici son compte rendu. Emouvant.



 23-25 avril 06 : conférence internationale d’ONG (avec plus de 200 participants) pour contrer les mensonges de l’AIEA (Agence Internationale pour l’Energie Atomique) sur Tchernobyl. De nombreux experts indépendants (surtout anglo-saxons, ukrainiens et russes) viennent annoncer des chiffres inquiétants sur cette catastrophe.

- 24-26 avril : l’AIEA tient aussi, à un coin de rue de là, sa conférence officielle pour les 20 ans de Tchernobyl. Nous en profitons pour aller manifester à l’entrée de leur conférence avec des banderoles et slogans disant : “Honte à l’AIEA” et “Un Tchernobyl a suffi ; on ne veut plus de centrales nucléaires” et encore “il n’y a pas de centrales sûres dans un monde instable”.

- 25 avril : je rejoins la Diagonale de Tchernobyl (composée de comédiens de Brut de béton et de musiciens français) dans l’école d’art du village de Krasiatychi qui se situe juste en-dehors de la zone interdite et qui est considéré comme faiblement contaminé en permanence. Ce lieu leur sert pour répéter et gérer la vie quotidienne du groupe. Ils y séjourneront pendant les deux prochaines semaines et y monteront un chapiteau pour créer l’événement avec les gens du village. Région à la vie rurale simple d’antan : partout des piétons, des vélos et des chevaux attelés à des charrettes. Silence et lenteur tels que cela n’existe plus depuis belle lurette dans l’occident riche.

- 25 avril à 13h30 : après des mois de tergiversations, la Diagonale obtient une autorisation verbale au téléphone pour jouer le soir même devant la centrale de Tchernobyl de 18 à 20 heures. Rendez-vous pris à l’un des postes-frontières de la zone interdite à 15 heures pour être guidés et encadrés jusqu’au pied de la centrale. Par le même appel, nous apprenons que celle (Rima) qui suivait ce dossier depuis des mois vient de décéder.

- 25 avril à 15 heures : en attente au poste-frontière pendant une heure. Le guide n’arrive pas. Sachant combien lourde est cette bureaucratie post-soviétique (il aura fallu 21 heures d’attente au bus de la Diagonale pour franchir la frontière d’Ukraine depuis la Pologne), nous ne savons encore si l’entente verbale sera vraiment suivie d’effets. Au poste-frontière se tiennent aussi deux cinéastes payés par l’AIEA (!) Pour recueillir les impressions des gens sur Tchernobyl. Après qu’on leur eut expliqué notre projet, ils ne s’attardent plus guère avec nous…

- 25 avril après 16 heures : notre guide arrive enfin. Elle semble stressée et sévère. Probablement craint-elle une bande de farfelus aux gestes inconsidérés. En passant, je salue ici Bruno Boussagol, metteur en scène et artisan principal de cette Diagonale qui, par ses attitudes très “zen“, a su allier détermination, souplesse et humilité pour franchir et déplacer des montagnes d’embûches. En chemin, sur le long de la route, des villages abandonnés et littéralement avalés par la forêt nouvelle. Arrivée sur le site du réacteur qui continue de cracher par les nombreuses fissures du sarcophage. Nos compteurs Geiger crépitent et atteignent des sommets. Ne pas quitter le bitume. Ne pas marcher sur l’herbe et le sable alentour. Et sur le bitume, ne pas s’asseoir au sol. Roland, pompier à la retraite formé à la prévention des risques radiologiques, a confectionné des recouvrements plastiques pour toutes nos chaussures ; et la scène s’installe sur une grande bâche plastique que nous laisserons sur place.

- à 18 heures, la veillée artistique débute avec bougies, clochettes, harmonium, harpe, flûtes traversières et clavier. Des extraits de La Supplication (témoignages de victimes de Tchernobyl) sont dits. L’Ave Maria de Schubert est chanté. Un texte de l’Apocalypse est aussi lu où il est question de l’absinthe qui rend 1/3 des eaux de la terre amères. En ukrainien, Tchernobyl signifie “absinthe”. Pendant certains silences, on entend distinctement le vent (qui vient du côté de la centrale) chanter tout seul au travers de la harpe. Le tout avec, comme arrière-scène et ligne d’horizon, le monstre de Tchernobyl qui respire encore. L’émotion est à son comble. Les comédiens retiennent leurs larmes pour arriver à dire leur texte jusqu’au bout. Presque tous pleurent à un moment ou l’autre. Pas de public. Quelques télés : France 2, une allemande et une ou deux ukrainiennes. Des caméramen qui marchent sur la pointe des pieds en faisant attention pour ne pas troubler la gravité et le recueillement de ce moment unique. Quand nous repartons, notre guide monte sur le bus pour nous dire merci et que ce que nous avons fait était vraiment très bien. Elle a perdu son masque de sévérité. Nous apprenons après coup que la personne décédée qui gérait ce dossier avant elle était à la fois une amie personnelle et que la nouvelle guide avait eu à cœur de mener correctement ce dossier à terme. Son amie décédée avait à peine plus de 40 ans et les causes du décès n’ont pas été éclaircies. On sait qu’elle vivait dans la zone comme si la radioactivité n’existait pas ; jusqu’à faire son jogging en forêt…

- 26 avril : commémoration des 20 ans de la catastrophe de Tchernobyl avec les villageois de Krasiatychi où nous séjournons. Ce bourg a été atteint de plein fouet car 14 villages relevant de cette commune ont été évacués de force, en partie rasés et se retrouvent maintenant en zone interdite. Les noms des 14 villages sont écrits sur un mur ; et autant de bougies piquées chacune dans une tranche de pain bis rappellent probablement que l’Ukraine était considérée comme le grenier à blé de l’URSS. Des villageois viennent chaleureusement nous saluer. Nous apprenons par nos interprètes que certains de leurs enfants bénéficient de “vacances” en France grâce aux bons soins de l’association "Enfants de Tchernobyl". Par nos interprètes, nous apprenons aussi que le gardien de l’école où nous sommes installés a été l’un des premiers liquidateurs appelés à Tchernobyl et qu’il a aidé à évacuer en urgence les habitants de Pripyat (encore aujourd’hui largement polluée au plutonium). Depuis, plusieurs de ses collègues sont morts. Il se sent abandonné par l’Etat et survit en faisant du gardiennage. Nous lui montrons des photos prises la veille dans la zone. Il est très ému car il n’était pas retourné sur place et n’avait pas idée de quoi cela avait l’air maintenant. Le reste de la soirée et une partie de la nuit se passent en échanges musicaux avec quelques amis ukrainiens.

Merci à la Diagonale de m’avoir permis de les rejoindre dans cette belle grande expérience.
BD : Tchernobyl, mon amour

Chantal Montellier, la grande dame de la BD, l’auteure de Wonder city, des Damnés de Nanterre et beaucoup d’autres ouvrages salués en leur temps, notamment, dans "Métal Hurlant" vient de sortir sa dernière BD : Tchernobyl, mon amour aux éditions Actes Sud.

La sortie de cette BD coïncide, et ce n’est pas un hasard, avec les 20 ans de la catastrophe de Tchernobyl, de même importance à ses yeux, pour les dommages causés, qu’Hiroshima, d’où le titre. Dans cet ouvrage, elle lance une héroïne déjà apparue dans une autre BD dans une enquête sur cette tragédie qui l’a particulièrement touchée et qui, dans ses suites les plus actuelles, la révolte. C’est une œuvre sensible, documentée et de fiction, où l’humour n’est toutefois pas absent. Définitivement engagée, Chantal Montellier signe là un manifeste antinucléaire sans compromis.
André Larivière

Pour le Réseau "Sortir du nucléaire"
Pour en savoir plus sur la Diagonale de Tchernobyl : https://diagonaletchernobyl.free.fr/

 23-25 avril 06 : conférence internationale d’ONG (avec plus de 200 participants) pour contrer les mensonges de l’AIEA (Agence Internationale pour l’Energie Atomique) sur Tchernobyl. De nombreux experts indépendants (surtout anglo-saxons, ukrainiens et russes) viennent annoncer des chiffres inquiétants sur cette catastrophe.

- 24-26 avril : l’AIEA tient aussi, à un coin de rue de là, sa conférence officielle pour les 20 ans de Tchernobyl. Nous en profitons pour aller manifester à l’entrée de leur conférence avec des banderoles et slogans disant : “Honte à l’AIEA” et “Un Tchernobyl a suffi ; on ne veut plus de centrales nucléaires” et encore “il n’y a pas de centrales sûres dans un monde instable”.

- 25 avril : je rejoins la Diagonale de Tchernobyl (composée de comédiens de Brut de béton et de musiciens français) dans l’école d’art du village de Krasiatychi qui se situe juste en-dehors de la zone interdite et qui est considéré comme faiblement contaminé en permanence. Ce lieu leur sert pour répéter et gérer la vie quotidienne du groupe. Ils y séjourneront pendant les deux prochaines semaines et y monteront un chapiteau pour créer l’événement avec les gens du village. Région à la vie rurale simple d’antan : partout des piétons, des vélos et des chevaux attelés à des charrettes. Silence et lenteur tels que cela n’existe plus depuis belle lurette dans l’occident riche.

- 25 avril à 13h30 : après des mois de tergiversations, la Diagonale obtient une autorisation verbale au téléphone pour jouer le soir même devant la centrale de Tchernobyl de 18 à 20 heures. Rendez-vous pris à l’un des postes-frontières de la zone interdite à 15 heures pour être guidés et encadrés jusqu’au pied de la centrale. Par le même appel, nous apprenons que celle (Rima) qui suivait ce dossier depuis des mois vient de décéder.

- 25 avril à 15 heures : en attente au poste-frontière pendant une heure. Le guide n’arrive pas. Sachant combien lourde est cette bureaucratie post-soviétique (il aura fallu 21 heures d’attente au bus de la Diagonale pour franchir la frontière d’Ukraine depuis la Pologne), nous ne savons encore si l’entente verbale sera vraiment suivie d’effets. Au poste-frontière se tiennent aussi deux cinéastes payés par l’AIEA (!) Pour recueillir les impressions des gens sur Tchernobyl. Après qu’on leur eut expliqué notre projet, ils ne s’attardent plus guère avec nous…

- 25 avril après 16 heures : notre guide arrive enfin. Elle semble stressée et sévère. Probablement craint-elle une bande de farfelus aux gestes inconsidérés. En passant, je salue ici Bruno Boussagol, metteur en scène et artisan principal de cette Diagonale qui, par ses attitudes très “zen“, a su allier détermination, souplesse et humilité pour franchir et déplacer des montagnes d’embûches. En chemin, sur le long de la route, des villages abandonnés et littéralement avalés par la forêt nouvelle. Arrivée sur le site du réacteur qui continue de cracher par les nombreuses fissures du sarcophage. Nos compteurs Geiger crépitent et atteignent des sommets. Ne pas quitter le bitume. Ne pas marcher sur l’herbe et le sable alentour. Et sur le bitume, ne pas s’asseoir au sol. Roland, pompier à la retraite formé à la prévention des risques radiologiques, a confectionné des recouvrements plastiques pour toutes nos chaussures ; et la scène s’installe sur une grande bâche plastique que nous laisserons sur place.

- à 18 heures, la veillée artistique débute avec bougies, clochettes, harmonium, harpe, flûtes traversières et clavier. Des extraits de La Supplication (témoignages de victimes de Tchernobyl) sont dits. L’Ave Maria de Schubert est chanté. Un texte de l’Apocalypse est aussi lu où il est question de l’absinthe qui rend 1/3 des eaux de la terre amères. En ukrainien, Tchernobyl signifie “absinthe”. Pendant certains silences, on entend distinctement le vent (qui vient du côté de la centrale) chanter tout seul au travers de la harpe. Le tout avec, comme arrière-scène et ligne d’horizon, le monstre de Tchernobyl qui respire encore. L’émotion est à son comble. Les comédiens retiennent leurs larmes pour arriver à dire leur texte jusqu’au bout. Presque tous pleurent à un moment ou l’autre. Pas de public. Quelques télés : France 2, une allemande et une ou deux ukrainiennes. Des caméramen qui marchent sur la pointe des pieds en faisant attention pour ne pas troubler la gravité et le recueillement de ce moment unique. Quand nous repartons, notre guide monte sur le bus pour nous dire merci et que ce que nous avons fait était vraiment très bien. Elle a perdu son masque de sévérité. Nous apprenons après coup que la personne décédée qui gérait ce dossier avant elle était à la fois une amie personnelle et que la nouvelle guide avait eu à cœur de mener correctement ce dossier à terme. Son amie décédée avait à peine plus de 40 ans et les causes du décès n’ont pas été éclaircies. On sait qu’elle vivait dans la zone comme si la radioactivité n’existait pas ; jusqu’à faire son jogging en forêt…

- 26 avril : commémoration des 20 ans de la catastrophe de Tchernobyl avec les villageois de Krasiatychi où nous séjournons. Ce bourg a été atteint de plein fouet car 14 villages relevant de cette commune ont été évacués de force, en partie rasés et se retrouvent maintenant en zone interdite. Les noms des 14 villages sont écrits sur un mur ; et autant de bougies piquées chacune dans une tranche de pain bis rappellent probablement que l’Ukraine était considérée comme le grenier à blé de l’URSS. Des villageois viennent chaleureusement nous saluer. Nous apprenons par nos interprètes que certains de leurs enfants bénéficient de “vacances” en France grâce aux bons soins de l’association "Enfants de Tchernobyl". Par nos interprètes, nous apprenons aussi que le gardien de l’école où nous sommes installés a été l’un des premiers liquidateurs appelés à Tchernobyl et qu’il a aidé à évacuer en urgence les habitants de Pripyat (encore aujourd’hui largement polluée au plutonium). Depuis, plusieurs de ses collègues sont morts. Il se sent abandonné par l’Etat et survit en faisant du gardiennage. Nous lui montrons des photos prises la veille dans la zone. Il est très ému car il n’était pas retourné sur place et n’avait pas idée de quoi cela avait l’air maintenant. Le reste de la soirée et une partie de la nuit se passent en échanges musicaux avec quelques amis ukrainiens.

Merci à la Diagonale de m’avoir permis de les rejoindre dans cette belle grande expérience.
BD : Tchernobyl, mon amour

Chantal Montellier, la grande dame de la BD, l’auteure de Wonder city, des Damnés de Nanterre et beaucoup d’autres ouvrages salués en leur temps, notamment, dans "Métal Hurlant" vient de sortir sa dernière BD : Tchernobyl, mon amour aux éditions Actes Sud.

La sortie de cette BD coïncide, et ce n’est pas un hasard, avec les 20 ans de la catastrophe de Tchernobyl, de même importance à ses yeux, pour les dommages causés, qu’Hiroshima, d’où le titre. Dans cet ouvrage, elle lance une héroïne déjà apparue dans une autre BD dans une enquête sur cette tragédie qui l’a particulièrement touchée et qui, dans ses suites les plus actuelles, la révolte. C’est une œuvre sensible, documentée et de fiction, où l’humour n’est toutefois pas absent. Définitivement engagée, Chantal Montellier signe là un manifeste antinucléaire sans compromis.
André Larivière

Pour le Réseau "Sortir du nucléaire"
Pour en savoir plus sur la Diagonale de Tchernobyl : https://diagonaletchernobyl.free.fr/



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